Comment améliorer la santé pour tous et toutes? Cette question est au cœur d’une recherche portant sur l’apport méconnu à la santé des cliniques communautaires réalisée par Jean-Pierre Girard, chargé de cours au Département organisation et ressources humaines de l’ESG UQAM, en collaboration avec le professeur de l’Université de Montréal Jean Nikiema. Cette recherche, dont les résultats ont été présentés à l’Assemblée mondiale de la santé tenue à Genève, en Suisse, en mai dernier, porte sur la clinique communautaire de Pointe-Saint-Charles, créée à Montréal en 1968, la coopérative de solidarité SABSA, fondée à Québec en 2011, et la clinique Quartier Santé Lemasson née à Montpellier (France) en 2022.
«Ces cliniques ont en commun de penser la santé en dehors du cadre dominant, observe Jean-Pierre Girard, membre associé de l’Institut Santé et société. Elles critiquent l’hospitalocentrisme et l’approche strictement biomédicale de la santé, prennent en compte les déterminants sociaux de la santé – environnement, logement, alimentation, exercice physique –, refusent le paiement à l’acte, tissent des liens forts avec les populations locales et manifestent une ouverture aux groupes marginalisés.»
Chargé de cours à l’UQAM depuis 1992, Jean-Pierre Girard cumule plus de 35 ans d’expérience à titre de consultant, d’enseignant et de chercheur dans le domaine de l’entrepreneuriat collectif. Depuis 20 ans, il s’intéresse à l’économie sociale dans le secteur socio-sanitaire, notamment à l’émergence des coopératives de services de santé et des cliniques communautaires au Québec. Grâce à une bourse de perfectionnement de l’Université destinée aux personnes chargées de cours, Jean-Pierre Girard a pu documenter l’histoire et le rôle joué par trois cliniques communautaires.
«La clinique de Pointe-Saint-Charles a toujours tenu compte de ce qu’on appelle aujourd’hui les déterminants sociaux de la santé, montrant, par exemple, que les problèmes respiratoires d’un individu peuvent être liés aux conditions insalubres de son logement.»
Jean-Pierre Girard,
Chargé de cours au Département organisation et ressources humaines
Un peu d’histoire
Au Québec, les premières cliniques communautaires sont apparues à la fin des années 1960 dans des quartiers populaires de Montréal. C’est le cas de la clinique de Pointe-Saint-Charles, la plus ancienne, qui fait aujourd’hui figure de référence dans le milieu communautaire. «Ces cliniques, rappelle le chercheur, s’inspiraient de celles qui œuvraient dans les quartiers pauvres de certaines grandes villes américaines, où se concentraient les communautés afro-américaines.»
La clinique de Pointe-Saint-Charles, créée par un noyau d’étudiants de l’Université McGill, a cherché dès le départ à impliquer les citoyennes et citoyens du quartier dans sa structure de gouvernance. «Autre caractéristique, elle a toujours tenu compte de ce qu’on appelle aujourd’hui les déterminants sociaux de la santé, montrant, par exemple, que les problèmes respiratoires d’un individu peuvent être liés aux conditions insalubres de son logement», note Jean-Pierre Girard.
À l’époque où apparaissent les premières cliniques communautaires, les travaux de la Commission Castonguay-Nepveu (1967-1972) sur l’avenir du système de santé au Québec recommandaient la création à grande échelle de cliniques de première ligne. Des cliniques proches des besoins de la population et engagées non seulement dans des activités curatives, mais aussi de prévention et de promotion de la santé.
«Cela s’est traduit par la mise en place des CLSC, qui ont alors intégré les cliniques communautaires existantes, sauf celle de Pointe-Sainte-Charles, souligne le chargé de cours. Par la suite, d’une réforme à l’autre, les CLSC se sont institutionnalisés et bureaucratisés, perdant leur identité d’origine, une voie rejetée par la clinique de Pointe-Saint-Charles, qui a réussi à maintenir son indépendance, sa mission d’accessibilité aux soins et sa gouvernance citoyenne.»
Reconnaître les infirmières pratiquantes
La coopérative de solidarité SABSA, qui regroupe des infirmières praticiennes, des travailleuses et travailleurs sociaux ainsi que quelques médecins, représente un autre cas intéressant. À l’origine, la volonté de la coopérative était de prendre en charge des personnes vulnérables souffrant de l’hépatite C et du VIH/sida, des clientèles délaissées par le réseau public de santé. Encore aujourd’hui, cette volonté demeure la vocation première de la coopérative.
«Desservant les quartiers populaires de Saint-Roch et de Saint-Sauveur à Québec, SABSA reconnaît le rôle des infirmières praticiennes spécialisées en soins de première ligne, remarque Jean-Pierre Girard. Depuis 2011, elle a démontré qu’il était possible d’offrir des premiers soins de qualité à des patientes et patients sans la présence quotidienne de médecins, une innovation importante.» Aujourd’hui, la coopérative dispose également d’une clinique mobile qui intervient auprès de toxicomanes, de Portneuf à la grande région de Charlevoix, en passant par la Ville de Québec. La coopérative est également cogestionnaire, avec le CIUSS-CN de l’Interzone, du premier site de consommation supervisée dans la Ville de Québec.
La clinique Quartier Santé Lemasson, à Montpellier, est aussi implantée dans un quartier populaire où les services de santé de proximité étaient absents. Elle travaille, notamment, avec des sages -femmes et des infirmières dites de «pratique avancée», soit l’équivalent des infirmières praticiennes au Québec.
«Les personnes formant la clientèle de ces cliniques ne sont pas de simples consommateurs de services. On les invite à siéger au conseil d’administration ou à d’autres instances décisionnelles afin qu’elles puissent influencer les orientations et le développement de l’organisation.»
Pas de paiement à l’acte
Les trois cliniques communautaires rejettent le paiement à la carte. À Pointe-Saint-Charles, par exemple, la clinique accueille de nouveaux arrivants qui n’ont pas encore de carte d’assurance-maladie et leur offre des services entièrement gratuits. C’est aussi le cas de Quartier Santé Lemasson, qui est fréquemment en contact avec des immigrants ayant traversé la Méditerranée pour s’établir dans le sud de la France.
«Les personnes formant la clientèle de ces cliniques ne sont pas de simples consommateurs de services, poursuit Jean-Pierre Girard. On les invite à siéger au conseil d’administration ou à d’autres instances décisionnelles afin qu’elles puissent influencer les orientations et le développement de l’organisation.»
Dans ses études de cas, le chargé de cours s’est aussi intéressé aux conditions de travail au sein des cliniques communautaires. «À Pointe-Saint-Charles, depuis les années 1960 et quel que soit le gouvernement en place, la clinique a été capable d’assurer à ses quelque 130 personnes employées des conditions équivalentes à celles prévalant dans le réseau public de santé.»
En accord avec les consensus internationaux
Le travail des trois cliniques communautaires s’inscrit dans la perspective des grands consensus internationaux en matière de santé, souligne Jean-Pierre Girard. En 1978, la Déclaration d’Alma-Ata à la conférence de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) stipulait que l’état de bien-être physique, mental et social est un droit fondamental qui suppose la participation de nombreux acteurs socio-économiques autres que ceux de la santé. «Cela signifie que la société civile doit avoir un droit de regard dans le domaine de la santé», relève le chercheur.
En 1986, la Charte d’Ottawa, présentée à une autre conférence de l’OMS, rappelait l’importance de la promotion de la santé et du renforcement de l’action communautaire. Puis, en 2008, un rapport de l’OMS sur les déterminants sociaux de la santé soulignait que les facteurs influençant la santé des individus dépassent les seuls services offerts par un hôpital, un médecin ou une clinique. «Ce rapport reconnaissait l’impact sur la santé publique de la qualité du milieu de vie, d’un environnement sécuritaire ou encore de la capacité d’accès aux études, et donc aux savoirs.»
Selon Jean-Pierre Girard, le principal défi auquel sont confrontées les cliniques communautaires est celui de la reconnaissance. «Les deux cas que j’ai étudiés au Québec demeurent, malheureusement, marginaux. La clinique de Pointe-Saint-Charles et SABSA reçoivent du financement, mais celui-ci reste précaire, même si le modèle qu’elles incarnent correspond aux consensus internationaux sur ce que doit être un système de santé proche des besoins de la population.»
En France, la situation est fort différente. Quartier Santé Lemasson, par exemple, fait partie de la Fédération nationale des centres de santé, qui regroupe quelque 300 cliniques de proximité.
Un consortium de recherche
Grâce à sa bourse de perfectionnement, le chargé de cours a mis sur pied un consortium de recherche avec des antennes à l’Université Lumière 2 à Lyon et à l’Université de Reims ainsi qu’à l’Université libre de Bruxelles et à l’Université de Genève. «L’objectif est de créer une banque d’études de cas et de faire des analyses comparatives de cliniques ayant une vocation communautaire.»
Jean-Pierre Girard a collaboré à la première édition de l’Encyclopédie de l’économie sociale et solidaire, publiée en 2023 par l’Institut de recherche des Nations Unies pour le développement social (UNRISD), dans laquelle il a signé un chapitre consacré au secteur de la santé et des soins. Trois autres Uqamiens ont collaboré à cet ouvrage: le professeur émérite du Département de sociologie Benoît Lévesque, fondateur du Centre de recherche sur les innovations sociales (CRISES), la professeure associée du Département d’organisation et ressources humaines Marie J. Bouchard et le professeur du Département de sociologie Jean-Marc Fontan.