À l’occasion d’une conférence sur la santé mentale au travail organisée à Bruxelles par le Conseil de l’Union européenne (UE), la professeure du Département d’organisation et ressources humaines de l’ESG UQAM Hélène Sultan-Taïeb a présenté les résultats d’une recherche portant sur le fardeau socioéconomique des maladies cardiovasculaires et de la dépression résultant de l’exposition à des facteurs de risque psychosociaux au travail. La conférence s’est déroulée le 30 janvier dernier devant plusieurs ministres de pays membres de l’Union, des secrétaires d’État, le vice-président de la Commission européenne et le commissaire européen pour l’emploi et les droits sociaux.
Codirigée par Hélène Sultan-Taïeb et Isabelle Niedhammer, épidémiologiste à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), en France, l’étude amorcée en 2019 et portant sur les 28 pays membres de l’UE était financée par l’European Trade Union Institute (ETUI), avec l’appui du Service des partenariats et du soutien à l’innovation (SePSI) de l’UQAM. Soutenu financièrement par la Commission européenne, l’ETUI a pour mandat de fournir aux syndicats nationaux des données scientifiques sur tous les sujets touchant leur rayon d’action, dont celui de la santé et de la sécurité au travail.
«Nous nous sommes intéressées à deux types de pathologies, les maladies cardiovasculaires et la dépression, pour lesquelles on dispose de données dans la littérature épidémiologique, les plus récentes portant sur l’année 2015, explique Hélène Sultan-Taïeb. L’objectif de la recherche consistait, notamment, à mesurer l’impact sur la santé physique et mentale de l’exposition à des facteurs de risque psycho-sociaux en milieu de travail et à établir dans quelle mesure cela peut constituer une priorité en matière de prévention.»
Cinq facteurs de risques psychosociaux
Un volet de la recherche portait sur la fraction (en pourcentage) des cas de maladies cardiovasculaires (maladies coronariennes et accidents vasculaires cérébraux) et de dépression attribuables à cinq facteurs de risque psychosociaux: la pression au travail, le déséquilibre effort-récompense, l’insécurité de l’emploi, le temps de travail prolongé (plus de 55 heures hebdomadaires) et le harcèlement psychologique.
«Nos résultats montrent que 8 % des cas de maladies coronariennes sont attribuables aux quatre premiers facteurs de risque, alors que 26 % des cas de dépression sont associés à l’ensemble des facteurs, relève la professeure. Il s’agit d’estimations statistiques concernant la population employée en âge de travailler, qui résultent d’un calcul basé sur deux types de données. Les premières concernaient la prévalence de l’exposition aux facteurs de risque et provenaient de l’enquête européenne sur les conditions de travail (EUROFOUND), basée sur un échantillon représentatif de la population dans les pays de l’UE. Nous avons aussi utilisé des données de la littérature épidémiologique qui concernent le risque relatif de développer une maladie quand on est exposé à des facteurs de risque psychosociaux.»
Par ailleurs, la recherche visait à déterminer le fardeau en années de vie en incapacité et en années de vie perdues (décès prématurés) dû à l’exposition aux facteurs de risque psychosociaux, en utilisant l’indicateur Disability Adjusted Life Years (DALY). On a aussi calculé les coûts financiers associés à ce fardeau pour les employeurs et les systèmes nationaux de sécurité sociale.
«Pour l’année 2015, le fardeau économique des maladies coronariennes attribuables à quatre des cinq facteurs de risque est d’environ 12 à 14 milliards d’euros, alors que celui de la dépression attribuable aux cinq facteurs de risque se situe entre 45 et 103 milliards d’euros», indique Hélène Sultan-Taïeb. Ces chiffres prennent en compte les coûts en santé assumés par les systèmes d’assurance-maladie des différents pays et ceux liés à l’absentéisme au travail, au présentéisme et à la valeur des années de vie perdues.»
Disparités nationales et de genre
L’étude révèle que le fardeau humain et financier des maladies cardiovasculaires est plus élevé dans les pays d’Europe centrale et de l’Est que dans ceux d’Europe de l’Ouest. «Le fait que la prévalence et la morbidité des maladies cardiovasculaires soient plus élevées en Europe orientale contribue à ce fardeau des risques psychosociaux dans ces pays», note la professeure.
En ce qui concerne le fardeau de la dépression, la situation varie selon les facteurs de risque étudiés. «La France, par exemple, est le pays où le pourcentage des cas de dépression attribuables au harcèlement psychologique, soit 19 %, est le plus élevé de l’ensemble de l’UE, ce qui n’est pas le cas pour la dépression liée à l’Insécurité de l’emploi, dit Hélène Sultan-Taïeb. C’est aussi en France que le coût financier de la dépression, pour 100 000 travailleurs et travailleuses, est le plus élevé.»
Le coût des maladies cardiovasculaires est plus élevé chez les hommes, tandis que celui de la dépression, associée à la pression au travail, à l’insécurité d’emploi et au harcèlement psychologique est plus élevé chez les femmes, et ce, dans l’ensembles des pays de l’UE. «Nous n’avons pas pu analyser de manière détaillée toutes les différences entre les hommes et les femmes, en raison d’un manque de données», précise la chercheuse.
Les responsables politiques européens présents à la conférence ont manifesté un vif intérêt envers les résultats de la recherche, confie Hélène Sultan-Taïeb. «Cétait la première fois que de telles données étaient produits pour les pays de l’UE, avec une méthodologie permettant de les comparer entre eux et tenant compte de plusieurs facteurs de risque en même temps. Les différences entre les pays ont interpellé la Commission européenne quant à la nécessité de développer des actions en vue de les réduire.»
Les enjeux associés à cette cherche sont importants dans la mesure où ils nourrissent la réflexion au moment où les pays membres de l’Union européenne discutent de la création d’une directive cadre pour prévenir les risques psychosociaux en milieu de travail. «Une telle directive permettrait d’inciter les différents pays à élaborer une réglementation nationale dans ce domaine», conclut la professeure.