Considérée comme l’année la plus chaude de l’histoire, 2023 s’est terminée avec la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques, qui s’est déroulée aux Émirats arabes unis du 30 novembre au 12 décembre. Les pays réunis sont parvenus à un consensus pour inscrire dans la déclaration finale de la conférence l’objectif d’une «transition» hors de toutes les énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon), à l’origine de 75% du réchauffement climatique. «C’est un immense pas en avant, même si cela demeure insuffisant», soutient le doctorant en sociologie Charles Berthelet (M.A. science politique, 2022), l’un des deux Uqamiens à avoir participé à la COP28, l’autre étant le professeur Mark Purdon, du Département de stratégie, responsabilité sociale et environnementale de l’ESG UQAM.
Charles Berthelet reconnaît que cette déclaration, feuille de route internationale pour lutter contre la crise climatique, constitue un compromis entre une sortie des énergies fossiles réclamée par plusieurs États et l’absence de mention de ces énergies souhaitée par de nombreux pays producteurs de pétrole. «Cela dit, depuis le Sommet sur la Terre de Rio, en 1992, jamais une conférence internationale n’avait réussi à établir le lien entre l’exploitation des énergies fossiles et le réchauffement climatique, rappelle le doctorant. C’est la première fois qu’un texte adopté à une COP mentionne explicitement la nécessité de réduire concrètement notre dépendance au pétrole, au gaz et au charbon, condition essentielle pour atteindre l’objectif de l’Accord de Paris, soit limiter le réchauffement à un maximum de 1,5 °C.»
Le jeune chercheur craint, toutefois, que les progrès réalisés à la COP28 ne constituent, paradoxalement, un frein à des avancées futures. «Il ne faudrait surtout pas sombrer dans une forme de complaisance ou d’autosatisfaction», prévient-il. D’autant plus que le document final n’a rien de contraignant et ne comporte pas de calendrier précis de retrait des énergies fossiles, laissant aux États le soin de décider de la marche à suivre selon leur propre rythme et leurs besoins de développement.
Par ailleurs, Charles Berthelet dit se réjouir de la création à la COP28 d’un fonds de compensation des pertes et dommages climatiques pour les pays les plus vulnérables. Cette décision historique, saluée par les délégués, concrétise le principal résultat de la COP27 en Égypte, l’an dernier, où ce fonds avait été approuvé sur le principe, mais dont les contours, très débattus, n’avaient pas encore été définis. Le Canada a annoncé qu’il débloquerait 16 millions de dollars pour ce nouveau fonds mondial.
Le rôle de la société civile
Se déroulant dans des pavillons disséminés sur un site immense, la COP28 a rassemblé durant deux semaines des délégations de près de 200 pays et quelque 90 000 participants et participantes. Si les lobbyistes du secteur des industries fossiles étaient nombreux, les organisations de la société civile – groupes écologistes, syndicats, ONG, groupes autochtones et de jeunes – assuraient aussi une forte présence.
«Au cours de la COP28, j’ai pris davantage conscience de l’importance de ces organisations dans le cadre de tels sommets et de l’influence bénéfique qu’elles peuvent exercer sur les débats, note le doctorant. Leurs membres n’étaient pas là pour profiter de vacances dans un pays exotique, mais pour porter des préoccupations nationales et locales.»
À la COP, les observateurs de la société civile ont davantage accès aux séances de discussions que les médias, indique Charles Berhelet. «Ils échangent sur leurs pratiques et alertent l’opinion publique sur divers dossiers. Ils ont aussi l’occasion d’exercer des pressions durant les négociations et d’interpeller les responsables politiques, ministres comme chefs d’État, pour exiger des comptes. Enfin, ils peuvent témoigner de ce qu’ils ont vu et entendu lorsqu’ils retournent dans leur pays.»
La place des villes et des régions
Avant même qu’elle ne débute, la COP28 a soulevé plusieurs questions. D’abord parce qu’elle se tenait aux Émirats arabes unis, cinquième pays le plus émetteur de CO2 par habitant, et parce qu’elle était présidée par Sultan Ahmed Al Jaber, directeur général de la compagnie nationale d’hydrocarbures des Émirats.
«Je partageais ces inquiétudes, dit le doctorant. Mais je tenais à être présent à la conférence parce que mes intérêts de recherche concernent le rôle au niveau international des acteurs politiques infranationaux non souverains représentant des villes, des municipalités et des régions. Pour la première fois, ces acteurs avaient voix au chapitre à une COP.»
Charles Berthelet cherche à comprendre les discours et les actions que ces entités développent sur les enjeux environnementaux et climatiques, et comment ils s’en servent pour s’affirmer sur le plan politique et identitaire. «Le gouvernement québécois, par exemple, se distingue du gouvernement canadien en jouant la carte d’un Québec vert dans un Canada brun. C’est aussi le cas d’un État comme la Californie, représentée à la COP28, qui essaie de se démarquer du gouvernement fédéral américain en se présentant comme un champion du combat pour l’environnement.»
Selon le chercheur, le Québec est perçu à l’international comme l’un des États les plus avancés dans la lutte contre les changements climatiques, constituant même une sorte de référence pour certains pays. «Le gouvernement québécois a mis un terme, il y a deux ans, à l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures sur le territoire de la province. À la COP28, le Québec a annoncé qu’il devenait coprésident de la Beyond Oil and Gaz Alliance (BOGA), qui réunit divers pays et régions, dont la France, l’Italie, la Suède, le Costa Rica et les États de Washington et de Californie. Cette alliance incite les pays à réduire la production et l’extraction de pétrole et de gaz, et à planifier leur élimination progressive.»
Nationalisme environnemental
La recherche doctorale de Charles Berthelet, dirigée par le professeur du Département de sociologie Jean-François Côté et menée en cotutelle avec l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), à Paris, s’inscrit dans le champ de la sociologie de l’environnement, au carrefour de la sociologie culturelle et de la sociologie politique. «Elle porte sur le développement du nationalisme environnemental au Québec depuis le début des années 2000. Mon but est de comprendre comment ce type de nationalisme cherche à faire valoir la personnalité distincte du Québec et à la faire rayonner, sur la scène internationale, à travers des enjeux environnementaux.»
Au cours des 20 dernières années, le discours éco-nationaliste au Québec a été véhiculé par différents partis politiques, au pouvoir comme dans l’opposition, observe le chercheur. «Des ténors du mouvement indépendantiste, tels qu’André Boisclair et Martine Ouellet, en ont fait un cheval de bataille face au Canada, en particulier face au gouvernement conservateur de Stephen Harper, pour montrer comment le Québec ferait les choses différemment en matière d’environnement, et de manière plus efficace, s’il devenait un pays souverain.»
Le nationalisme environnemental s’est aussi manifesté dans le domaine culturel, poursuit Charles Barthelet. «Pensons, par exemple, au rôle joué par l’auteur et metteur en scène Dominic Champagne, qui s’est opposé à l’implantation de l’industrie du gaz de schiste au Québec et qui a été le maître d’œuvre d’importantes manifestations à l’occasion du Jour de la Terre. Par ailleurs, plusieurs chansons des Cowboys Fringants ont relié écologisme et nationalisme, contribuant à la prise de conscience environnementale de toute une génération.»
Le doctorant estime que sa participation à la COP28 à titre d’observateur lui a permis de nourrir sa recherche doctorale. «J’ai recueilli des données de première main, notamment grâce aux rencontres auxquelles j’ai assisté et aux discussions plus ou moins formelles que j’ai pu avoir avec différents acteurs politiques québécois.»