Il y a trop de voitures sur nos routes. Ce constat fait de plus en plus l’unanimité, et pas seulement au sein des organisations environnementales ou des partis de gauche. Le ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie Pierre Fitzgibbon a déclaré, à l’été 2023, que le Québec devra réduire de moitié son parc automobile s’il souhaite atteindre la carboneutralité en 2050. Selon un rapport du Forum économique mondial, une baisse de 75 % du nombre total de voitures sera nécessaire au cours du prochain quart de siècle pour atteindre les cibles de réduction des émissions de gaz à effet de serre prévues par l’Accord de Paris.
Est-ce possible de réduire de façon radicale le nombre de voitures, alors que celui-ci continue d’augmenter chaque année? Comment faire pour y parvenir? Ces questions ont fait l’objet d’une discussion à l’occasion d’un Bar des sciences, auquel ont participé près de 200 personnes, le 31 janvier dernier, au Cœur des sciences de l’UQAM. Quatre expertes ont pris la parole durant la soirée: les professeures Florence Paulhiac (Département d’études urbaines et touristiques), Anne-Sophie Gousse-Lessard (Département de communication sociale et publique), Catherine Morency (Polytechnique Montréal) et la journaliste Raphaëlle Derome, qui a publié un article sur la question dans la dernière édition de Québec Science. La modératrice de l’événement était Sophie-Andrée Blondin (B.A. communication, 1985), animatrice des Années lumière, à Radio-Canada. On peut d’ailleurs réécouter les échanges de la soirée diffusés lors de l’épisode du 11 février.
Culture de la voiture
La voiture est omniprésente dans nos sociétés. Au Québec, où le nombre de voitures par habitant a augmenté de 7 % au cours de la dernière décennie, on compte quelques cinq millions de voitures privées et deux millions de véhicules commerciaux. «L’auto ne répond pas seulement à des besoins utilitaires, note Anne-Sophie Gousse-Lessard. On s’y attache, on aime conduire, elle apporte une certaine forme de liberté et d’indépendance, et elle est liée à un statut social. Les publicitaires l’ont bien compris et cognent sur le clou de la virilité et de la liberté.»
La dépendance collective à l’automobile s’est construite sur des décennies, ajoute Florence Paulhiac. «Nos choix économiques, d’organisation du territoire et d’urbanisation pénalisent grandement les personnes qui n’ont pas de voiture, déplore la professeure. Ce système n’est pas réversible du jour au lendemain.»
Dans les régions, où les solutions alternatives à l’auto sont moins développées que dans les grandes villes, la voiture paraît incontournable. «Les infrastructures régionales étaient, jusqu’à tout récemment, dédiées à 100% à l’automobile, mentionne Florence Paulhiac. Mais depuis quelques années, on observe des mobilisations d’acteurs locaux qui réfléchissent à la mobilité des personnes qui ont moins accès à la voiture, comme les jeunes, les personnes âgées et les populations immigrantes.»
Gratuité du transport en commun: une bonne idée?
Certains avancent la gratuité du transport en commun comme une solution pour réduire le nombre de voitures. «Ce n’est pas une recette miracle, nuance Anne-Sophie Gousse-Lessard. Plusieurs personnes ont des attitudes négatives par rapport aux transports en commun et ne l’utiliseraient pas même si c’était gratuit. Si ces attitudes ne changent pas et qu’il n’y a pas de contraintes à l’utilisation de la voiture en parallèle, la gratuité ne va pas améliorer les choses.»
«Il faut avoir les reins solides pour proposer la gratuité, puisque les recettes commerciales couvrent jusqu’à 40 % des coûts des transports en commun, précise Florence Paulhiac. La gratuité ne règlerait pas tout, puisque les personnes qui utiliseraient les transports en commun ne seraient pas que des automobilistes, mais aussi beaucoup de marcheurs et de cyclistes.»
Courage politique
Durant la soirée, les expertes ont avancé plusieurs pistes pour réduire la place de l’automobile. Pour Catherine Morency, la solution passe par un réseau multimodal où la marche, le vélo, les transports en commun et les transports à la demande sont bien intégrés et faciles d’accès. Raphaëlle Derome mentionne que plusieurs ménages ayant deux ou trois véhicules pourraient se débarrasser d’une ou deux voitures, et utiliser les options de location ou d’autopartage pour leurs besoins ponctuels. Florence Paulhiac souligne que la nationalisation du transport interurbain permettrait d’assurer un minimum de services à l’échelle du territoire.
Ce qui est certain, c’est que la dépendance à la voiture ne se réglera pas uniquement par des mesures incitatives. «Dans certaines villes européennes, des lois interdisent l’accès aux véhicules polluants au centre-ville, affirme Florence Paulhiac. D’autres contraignent l’accès à l’automobile en instaurant des péages urbains ou en augmentant les coûts des assurances. Ces solutions provoqueraient assurément de la résistance chez nous. Ça prend donc beaucoup de courage politique pour y arriver.»