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Réduire les inégalités sociales en santé

La chaire de Janie Houle intervient sur les milieux de vie, les politiques publiques et le pouvoir d’agir des personnes vulnérables.

Par Claude Gauvreau

25 janvier 2024 à 11 h 41

Mis à jour le 31 janvier 2024 à 12 h 06

Résultant d’une répartition inégale des ressources – emploi, revenu, logement –, les inégalités sociales en santé continuent de s’accroître au Québec et ailleurs. «Pendant plusieurs années, les études dans le domaine de la santé des populations ont beaucoup décrit les inégalités et leur ampleur, sans investiguer nécessairement des solutions, rappelle la professeure du Département de psychologie Janie Houle. Les recherches consistant à produire des interventions et à les évaluer afin de réduire ces inégalités constituent un champ en émergence.»

La professeure est titulaire de la Chaire de recherche-innovation sur la réduction des inégalités sociales de santé, dont l’objectif principal est de favoriser le développement de la recherche dite interventionnelle en santé des populations, en collaboration avec des personnes de milieux socio-économiques défavorisés. «Nos premiers partenaires sont les personnes en situation de pauvreté et d’exclusion sociale, les plus affectées par les inégalités de santé, souligne Janie Houle. Nous collaborons aussi étroitement avec des chercheuses et chercheurs de différents horizons disciplinaires ainsi qu’avec des personnes intervenantes des milieux communautaire et de la santé et des services sociaux.»

L’équipe de la Chaire intervient sur deux facteurs pouvant diminuer l’impact des inégalités sociales sur la santé: le pouvoir d’agir des populations vulnérables et leur capital social. «Il s’agit de permettre à ces populations d’exercer un pouvoir sur leur milieu de vie pour qu’il réponde à leurs besoins et aspirations, de développer en leur sein un réseau de relations et de leur donner accès à des intervenants professionnels, à des décideurs publics et à des personnes du monde la recherche», explique la professeure. Pour ce faire, la Chaire développe trois axes d’intervention portant sur les déterminants sociaux de la santé, les politiques publiques et la participation des personnes en situation de pauvreté et d’exclusion aux prises de décision les concernant.


Environnements résidentiels

La réduction des inégalités sociales en santé doit s’appuyer sur une amélioration des déterminants sociaux de la santé, soit les conditions de vie matérielles et économiques des personnes vivant en milieu défavorisé. Le logement (abordabilité, qualité, salubrité) et le quartier (espaces verts, services accessibles, loisirs), par exemple, sont reconnus comme des déterminants puissants de la santé et du bien-être.

La Chaire s’intéresse aux mécanismes par lesquels les programmes de logement social sont susceptibles de contrer la pauvreté. Elle mène un projet, Logement social et ses effets, qui consiste à comparer les impacts de programmes québécois dans ce domaine. «Nous analysons l’expérience de vie de personnes ayant accès à un logement social, dont le coût du loyer correspond à 25 % de leur revenu», explique Janie Houle. Au Québec, on peut avoir accès à un programme de HLM géré soit par un Office d’habitation, un OSBL d’habitation ou une coopérative d’habitation, ou encore à un programme de supplément au loyer (PSL) sur le marché locatif privé. «Nos recherches montrent que les programmes d’habitation à loyer modique gérés par des organismes sans but lucratif sont supérieurs à ceux offerts sur le marché privé. Ils procurent aux personnes davantage de sécurité, contribuent à diminuer leur stress et favorisent leurs interactions sociales», indique la professeure

Le projet de recherche a débouché sur des recommandations portant sur la nécessité de préserver la diversité des programmes, d’accroître le nombre de logements sociaux et d’améliorer leur entretien, d’investir dans le soutien communautaire à ce type de logements et d’inciter le ministère de la Santé et des Services sociaux à s’impliquer dans ces dossiers.

Un autre projet, présentement sur la planche à dessin, concerne les comités consultatifs de résidents en HLM, qui existent depuis 20 ans. «Nous nous intéressons au rôle joué par les locataires au sein de ces comités, dit Janie Houle, et à leur influence sur les décisions prises par les Offices d’habitation au Québec.»

La Chaire a mené à terme deux projets d’intervention impliquant des locataires dans l’amélioration de leur environnement résidentiel: Flash sur mon quartier et Synergie. Le premier consistait à créer une trousse de facilitation, dont l’objectif était de soutenir une démarche collective de planification et d’amélioration des conditions de vie de personnes habitant dans des HLM. Le second était une recherche participative en milieu HLM axé sur des actions de promotion du bien-être.


Influencer les politiques publiques

Agissant directement sur la redistribution des richesses et des ressources au sein de la population, les politiques publiques fédérales, provinciales ou municipales font l’objet du deuxième axe d’intervention. «On sait peu de choses tant sur les barrières que sur les facteurs facilitant l’adoption de politiques permettant de diminuer les inégalités sociales de santé, observe la chercheuse. Nous croyons que les préjugés à l’endroit des personnes vivant dans des conditions socio-économiques difficiles constituent un obstacle important. Plusieurs enquêtes ont montré que les bénéficiaires des prestations d’aide sociale représentent le groupe le plus stigmatisé au Québec.»

Le projet Vers une société plus juste, financé par le ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale et les Fonds de recherche du Québec, vise à développer et évaluer une intervention contribuant à diminuer les préjugés et à augmenter l’appui à l’égard de politiques plus généreuses de soutien au revenu. Le projet sera déployé à travers le Québec et outillera, grâce à des formations, les membres d’organismes de défense des droits des personnes qui reçoivent une aide de dernier recours.

«Pour  approfondir la question des obstacles à l’adoption de politiques publiques et pour aborder différentes approches et pratiques visant à réduire la pauvreté et l’exclusion sociale, nous organiserons, le 30 avril prochain, une journée de réseautage et d’échanges (tables rondes et ateliers) avec l’ex-ministre Louise Harel, qui avait piloté la réforme de l’aide sociale au Québec en 1996», indique Janie Houle. Louise Harel prononcera la conférence d’ouverture intitulée «Comment influencer les politiques de lutte à la pauvreté».


Favoriser la participation citoyenne

Dans leurs travaux, les chercheuses et chercheurs universitaires incluent peu de personnes de milieux défavorisés, les privant d’exercer un pouvoir sur la production de connaissances qui les concernent au premier plan. Ces personnes font également face à des barrières systémiques qui les empêchent de contribuer pleinement aux instances habituelles de participation citoyenne et de faire entendre leur voix pour influencer les décisions.

«Si l’on souhaite réduire les inégalités sociales, il est essentiel que les processus de recherche et de participation citoyenne favorisent l’inclusion des citoyennes et citoyens les moins privilégiés dans la société ainsi que l’intégration de leurs savoirs et expériences», soutient la chercheuse. Dans toutes les études menées par la Chaire, ces personnes sont partie prenante des prises de décision à toutes les étapes des projets, incluant l’élaboration des demandes de subvention, la réalisation des recherches ainsi que l’analyse et la diffusion des résultats.

«L’originalité de la Chaire, note Janie Houle, tient au fait que son comité de gouvernance comprend, entre autres, cinq personnes de milieux socio-économiques défavorisés, qui participent également à l’animation de webinaires et représentent la Chaire à différents comités.» L’équipe de la Chaire travaille aussi à la mise en place d’une communauté de pratique permettant à d’autres citoyens et citoyennes, qui collaborent à des tâches de recherche, de partager leur expérience, de s’entraider et de recevoir des formations sur mesure.

La Chaire entend s’engager, par ailleurs, dans le mouvement de la transition socio-écologique. «On doit être attentif à ne pas séparer l’enjeu de la transition écologique des enjeux de justice sociale, de logement et de lutte contre la pauvreté, souligne la professeure. La transition socio-écologique propose un autre modèle de développement économique et social, qui doit se construire par le bas, notamment à l’échelle des quartiers. Encore là, nous voulons contribuer à ce que les personnes en situation de pauvreté soient incluses dans les processus de prise de décision.»