Les consultations particulières sur le projet de loi 64 – Loi instituant le Musée national de l’histoire du Québec –, annoncé en avril 2024 par le gouvernement du Québec, se sont terminées le 24 septembre dernier à l’Assemblée nationale. Deux mémoires soumis par des chercheuses et chercheurs de l’UQAM soulèvent des questions quant à la nature du projet et à la place accordée aux différentes communautés qui ont contribué à façonner l’histoire du Québec. Le premier, présenté par la Chaire de recherche sur la gouvernance des musées et le droit de la culture, est cosigné par les professeurs Yves Bergeron (histoire de l’art), titulaire de la Chaire, Lisa Baillargeon (sciences comptables) et Pierre Bosset (sciences juridiques) ainsi que par Michèle Rivet, vice-présidente du conseil d’administration du Musée canadien pour les droits de la personne. Le second mémoire a été soumis par Camille Robert, chargée de cours et doctorante en histoire, et Catherine Larochelle (M.A. histoire, 2013), professeure au Département d’histoire de l’Université de Montréal.
Établir un consensus social
Le mémoire de la Chaire de recherche sur la gouvernance des musées et le droit de la cuture rappelle dans un premier temps que la création d’un musée national contribue à changer le réseau muséal, comme l’ont fait le Musée d’art contemporain au milieu des années 1960 et le Musée de la civilisation à la fin des années 1980. Par conséquent, la Chaire recommande une consultation nationale afin d’établir un consensus social sur les grandes orientations que devrait adopter le Musée national de l’histoire du Québec.
La membres de la Chaire estiment qu’il faut distinguer les missions du Musée de la civilisation et du futur Musée national de l’histoire du Québec, lesquelles sont analogues, voire équivalentes. Aussi, ils proposent de redéfinir l’énoncé de mission du Musée de la civilisation dans la Loi sur les musées nationaux pour éviter que les deux musées ne se retrouvent en conflit pour le développement de leurs activités et de leurs collections.
Parce que l’étude de l’histoire du Québec relève de diverses disciplines, telles que la sociologie, la littérature, la géographie, l’anthropologie, l’éducation et les arts vivants, le mémoire recommande que le Musée national d’histoire du Québec favorise une approche pluridisciplinaire.
La médiation de l’histoire dans les musées, ici comme ailleurs dans le monde, pose la délicate question de la mémoire collective, jamais fixe et traversée par différents courants, soulignent les membres de la Chaire. Pour cette raison, ils recommandent que, d’un point de vue éthique, «les musées tiennent compte des différentes dynamiques de mémoire collective afin de demeurer des espaces crédibles aux yeux des communautés qu’ils servent».
Le mémoire rappelle que l’histoire du Québec ne peut pas faire l’économie des peuples qui ont parcouru et occupé son territoire pendant près de 12 000 ans. Cette perspective doit se traduire par une approche tenant compte du mouvement international de décolonisation, lequel traverse la communauté muséale internationale et conduit les gouvernements à envisager la restitution et le partage de biens culturels. C’est pourquoi, soutient la Chaire, le projet de loi doit préciser que «le Musée national de l’histoire du Québec s’inscrit dans une perspective décoloniale et collaborative avec les Premières Nations, les communautés culturelles et les citoyens».
Les membres de la Chaire jugent, par ailleurs que le projet loi doit protéger le futur musée national de toute influence politique dans sa programmation et dans ses manières de faire, une condition sine qua non pour créer un lien de confiance avec les citoyens.
Enfin, selon les membres de la Chaire, il y a urgence de planifier la création d’un musée national de sciences et de culture scientifique permettant de compléter le réseau de musées nationaux avec une institution ayant pour mandat d’aborder les grands enjeux liés à l’environnement, au développement durable et aux changements climatiques.
Pour une histoire plurielle
Pour Camille Robert et Catherine Larochelle, il est essentiel que le nouveau Musée national adopte une vision de l’histoire du Québec qui soit plurielle, multidimensionnelle et ouverte aux interprétations concurrentes, qui ne soit donc pas «ethnique» et centrée sur un seul groupe «de langue et de culture françaises».
La conception dominante de la nation québécoise a longtemps exclu certains groupes qui ont pourtant joué un rôle important dans l’histoire de ce qu’on nomme aujourd’hui le Québec, soutiennent les deux chercheuses. «Nous pensons bien sûr aux nations autochtones, mais aussi aux communautés juives, aux communautés noires, ou aux communautés d’origine italienne, chinoise ou irlandaise, pour ne nommer que celles-ci. Les individus appartenant à ces groupes, même s’ils sont établis au Québec depuis plusieurs générations – ou plusieurs millénaires dans le cas des Autochtones –, peinent encore souvent à se retrouver dans l’histoire du Québec telle qu’elle est enseignée dans les écoles ou présentée dans les musées.»
Certains pans du passé ne peuvent ainsi être compris qu’à travers les liens avec ces communautés, observent Camille Robert et Julie Larochelle. «On ne peut pas raconter l’histoire des Rébellions sans tenir compte des anglophones qui y ont participé; le développement des chemins de fer doit être compris à travers les ouvriers qui l’ont construit, ou les porteurs noirs qui travaillaient dans les trains; la grève des midinettes, ces ouvrières juives et canadiennes-françaises, s’inscrit dans les résistances à ce qu’on a appelé la “Grande Noirceur”; on ne peut pas présenter le développement d’Hydro-Québec sans inclure les points de vue des Cris et des Inuits (…)».
Pour mettre en scène une histoire plurielle, les chercheuses insistent sur l’importance d’établir des liens non seulement avec le réseau muséal québécois, comme le précise le projet de loi, mais aussi avec les nombreux centres d’archives et sociétés d’histoire. «Avant d’être dans les musées, l’histoire du Québec est dans les archives, dans les centres de recherche universitaires, dans les sociétés d’histoire et dans les communautés», écrivent-elles. Leur mémoire cite, notamment, le travail réalisé autour de l’histoire du Quartier chinois de Montréal, les initiatives pour valoriser les archives de la Maison d’Haïti, les archives des congrégations religieuses, la conservation d’écrits personnels des «gens ordinaires», ou encore le classement de fonds d’archives syndicaux, indispensables pour comprendre l’histoire ouvrière.
Conséquemment, Camille Robert et Julie Larochelle recommandent que la structure de gouvernance et les comités consultatifs du Musée soient composés de spécialistes de l’histoire et du patrimoine provenant des milieux universitaires et de divers organismes (sociétés d’histoire, centres d’archives, OBNL), tout en reflétant les réalités régionales, linguistiques, ethnoculturelles et socio-économiques du Québec.
Les deux chercheuses concluent leur mémoire en soulignant que le futur musée sera vivant et porteur de sens pour tous dans la mesure où il explorera de manière approfondie et nuancée «les multiples identités, expériences et héritages qui ont façonné notre histoire».
On prévoit que le nouveau Musée national de l’histoire du Québec sera logé au pavillon Camille-Roy du Séminaire de Québec. Il doit ouvrir ses portes au printemps 2026 et coûtera 92 millions de dollars.