La crise du logement qui sévit dans plusieurs grandes villes occidentales est abondamment documentée par les médias. «En parcourant les articles et reportages sur le sujet, j’ai développé un intérêt pour les témoignages des travailleuses et travailleurs de la classe moyenne qui ne parviennent plus à se loger dans les villes où ils travaillent. J’ai voulu cerner l’ampleur du phénomène», souligne le professeur du Département des sciences économiques de l’ESG UQAM Florian Mayneris.
Le chercheur a obtenu une subvention Développement Savoir du CRSH de près de 70 000 dollars afin de réaliser un projet de recherche sur la question avec son collègue Kristian Behrens, en collaboration avec Miren Lafourcade, professeure en économie à l’Université Paris-Saclay.
La distance domicile-travail
Florian Mayneris et son équipe s’intéressent aux grandes villes canadiennes que sont Vancouver, Toronto et Montréal, ainsi qu’à des villes françaises comme Paris, Bordeaux, Marseille, Lyon, Nantes, Toulouse, Strasbourg et Lille. «Nous utilisons les bases de données du recensement au Canada et en France, explique le chercheur. On y consigne le lieu de domicile et le lieu de travail des répondantes et répondants. Dans la première partie de notre projet, à teneur plus descriptive, nous pouvons déterminer si la distance domicile-travail a augmenté ou diminué au cours des 10, 15 ou 20 dernières années.»
Le professeur et ses collègues comptent également analyser si ces distances fluctuent en fonction des villes étudiées, des professions, du genre et de la situation familiale.
Bien qu’anecdotique, la réalité statistique fait sourire: entre le recensement de 2016 et celui de 2021, la distance moyenne domicile-travail au Canada a connu une forte baisse… en raison du télétravail. «Pour certaines personnes, la distance domicile-travail est passée de quelques kilomètres à quelques mètres», note en riant Florian Mayneris.
Pouvant bénéficier du télétravail, plusieurs travailleuses et travailleurs ont choisi de migrer de la ville vers les banlieues. Comment savoir si ces personnes ont décidé de déménager hors de la ville par choix, pour se rapprocher de la nature, par exemple, ou parce qu’elles n’avaient plus les moyens d’habiter en ville? «C’est impossible et c’est pourquoi nous devrons exclure les télétravailleurs de notre échantillon», explique le professeur.
Une fois les télétravailleurs écartés, les analyses préliminaires ne laissent pas entrevoir de changements significatifs au niveau de la distance domicile-travail chez les Canadiennes et Canadiens au cours des dernières années, observe Florian Mayneris. «Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas de variations importantes pour certaines villes et certaines professions, mais nous pourrons le vérifier lorsque nous aurons réalisé une analyse plus poussée.»
L’impact de la flambée immobilière
Dans la deuxième partie du projet, Florian Mayneris et son équipe détermineront si la fluctuation de la distance domicile-travail est liée, pour certaines professions, à l’augmentation des prix de l’immobilier durant les 20 dernières années. «Nous comptons ensuite vérifier si, pour un secteur géographique donné, une partie de la flambée immobilière est attribuable à l’augmentation des inégalités de salaire, ajoute-t-il. Par exemple, si plusieurs personnes habitant au centre-ville œuvrent dans le domaine de la finance et ont des salaires très élevés, il est probable que la hausse des prix de l’immobilier y soit plus marquée qu’ailleurs.»
Des ruptures de services à l’horizon?
Dans une phase ultérieure, l’équipe analysera les résultats obtenus en parallèle avec l’offre de services publics pour les résidents d’une même ville. «Si des travailleuses et travailleurs appartenant à certains groupes d’emploi – en enseignement, en restauration ou en soins infirmiers, par exemple – doivent sortir de la ville pour des raisons économiques et changer d’employeur, il viendra un moment où il risquera d’y avoir une rupture de services», craint le spécialiste.
L’exemple qu’il offre à cet égard est documenté. La Régie autonome des transports parisiens (RATP), responsable des transports collectifs dans la capitale française, éprouve des difficultés à assurer la continuité de ses services, car on ne parvient plus à recruter et à retenir des chauffeuses et chauffeurs d’autobus, illustre-t-il. «Cela tient principalement à deux facteurs: des enjeux de sécurité – l’incivilité des passagers, notamment – mais aussi une offre salariale trop faible pour que ces travailleuses et travailleurs puissent habiter en région parisienne.»
Inévitablement, l’étude abordera l’effritement de la classe moyenne. «Les phénomènes d’embourgeoisement et de gentrification affectent non seulement les personnes les plus pauvres, mais aussi les gens de la classe moyenne. Il nous reste à déterminer dans quelle proportion et à esquisser les impacts que cela aura éventuellement sur la dynamique économique des villes», conclut Florian Mayneris.