Au Nunavut, la prévalence du suicide est 10 fois plus élevée que dans le reste du Canada. Si les facteurs de risque du suicide dans cette région nordique de 36 000 habitants ont déjà fait l’objet de plusieurs recherches, très peu ont porté sur les facteurs de protection et de résilience au sein des communautés inuites. Pour contribuer à combler cette lacune, la doctorante en psychologie Léa Plourde-Léveillé s’est intéressée à la résilience des jeunes Inuits âgés de 15 à 25 ans, qui sont les personnes les plus à risque d’avoir des comportements suicidaires.
«Mon projet de recherche doctorale avait pour objectif de dresser un portrait des facteurs de protection et des stratégies d’adaptation, dans la perspective de contribuer au développement de plans locaux et régionaux de prévention du suicide, ancrés dans la culture inuite et répondant aux besoins identifiés par les membres des communautés», explique Léa Plourde-Léveillé. Intitulée «Étude exploratoire descriptive des facteurs qui favorisent la résilience des jeunes Inuit au Nunavut», sa recherche a été menée sous la supervision du professeur du Département de psychologie Brian L. Mishara, directeur du Centre de recherche et d’intervention sur le suicide, les enjeux éthiques et les pratiques de fin de vie (CRISE).
Le haut taux de suicide au Nunavut s’explique par la combinaison de multiples facteurs de risque, indique la doctorante. «Différentes recherches ont montré que les traumatismes découlant de la colonisation, exacerbés par des conditions socio-économiques précaires, ainsi que les difficultés d’accès à des ressources, en particulier le logement, constituent autant de facteurs ayant favorisé une hausse progressive du taux de suicide au Nunavut, notamment depuis les années 1970.» Quant à savoir pour quelles raisons les adolescents et jeunes adultes sont davantage à risque, cela demeure nébuleux. «Diverses hypothèses – dépendance à l’alcool et aux drogues, absence de perspectives d’avenir, ruptures amoureuses – sont avancées pour expliquer le phénomène, mais elles demandent à être creusées», note Léa Plourde-Léveillé.
L’approche axée sur l’identification des facteurs de risque du suicide fait l’objet de critiques au sein des communautés inuites. «On la qualifie de pathologisante, parce que trop centrée sur les problèmes, précise la doctorante. Aux yeux des Inuits, cette approche ignore l’esprit de cohésion des communautés locales, les ressources et programmes mis en place pour prévenir le suicide, de même que les forces de leur culture. Les Inuits souhaitent plutôt approfondir les connaissances sur la résilience de leurs jeunes.»
Créer un lien de confiance
Afin d’identifier les facteurs favorisant la résilience des jeunes Inuits à risque suicidaire, Léa Plourde-Léveillé a effectué sa recherche en partenariat avec deux communautés du Nunavut, celles d’Arviat et de Pangnirtung. «Cette collaboration était une condition clé du succès du projet, dit-elle. Établir un lien de confiance avec les communautés et les organismes partenaires exigeait un investissement personnel, une disponibilité physique et émotive ainsi qu’une sensibilité aux réalités locales. J’ai effectué une dizaine de séjours dans la région, dont la durée variait entre deux et six semaines.»
La chercheuse a réalisé des entrevues individuelles avec 32 jeunes Inuits, garçons et filles, appartenant aux deux communautés. Pour la guider dans son projet et pour déterminer les questions à aborder dans les entrevues, elle a travaillé avec deux comités aviseurs, composés de membres des communautés. «Les entrevues ne portaient pas sur le suicide ou les idées suicidaires, mais sur ce que les jeunes faisaient concrètement pour surmonter les difficultés rencontrées dans le quotidien, sur ce qui les rendait heureux et donnait un sens à leur vie.»
Les jeunes Inuits ont relevé, entre autres, les apprentissages réalisés grâce au temps passé avec leurs aînés, indique Léa Plourde-Léveillé. «Les personnes aînées racontent des histoires qui mettent en relief la capacité des Inuits à relever les défis associés à la vie dans l’Arctique, leur force et leur persévérance. Cela nourrit la confiance des jeunes, leur fierté et leur sentiment d’appartenance. Ils apprécient également les contacts avec les plus jeunes qu’eux, comme si ces relations les aident à prendre conscience qu’ils ont un rôle d’exemple à jouer.»
Le rapport au territoire revêt une grande importance dans le processus de résilience. Le fait de s’immerger dans la nature par le biais d’excursions dans les forêts et les montagnes, seul ou avec quelques amis, permet aux jeunes Inuits de faire une pause, de prendre un recul par rapport aux défis auxquels ils sont confrontés dans la vie quotidienne au sein de leur communauté. «C’est aussi une façon pour eux et pour elles de se connecter à quelque chose de grand, qui fait partie de leur culture, de leur identité autochtone», insiste la doctorante.
À la suggestion des comités aviseurs, les jeunes Inuits ont participé à des ateliers de photographie pour décrire leur vie quotidienne. «Ils ont été invités à prendre des photos de personnes et d’actions significatives, qui les aident à traverser les moments difficiles», dit Léa Plourde-Léveillé.
Renforcer la prévention locale
Il existe au Nunavut quelques services de prévention du suicide au niveau régional, comme un centre d’écoute et des organismes finançant des activités en matière de prévention. «Cela dit, les services sont peu nombreux, remarque la jeune chercheuse. Il importe de consolider les services locaux, lesquels reposent en grande partie sur la disponibilité et les initiatives des communautés inuites, notamment celle d’Arviat, où des programmes d’activités intergénérationnelles ont été mis en place.»
Sur le plan scientifique, Léa Plourde-Léveillé souhaite que sa recherche contribue à l’avancement des connaissances en intégrant les savoirs inuits aux concepts reconnus en suicidologie et en promotion de la santé mentale. Elle plaide en faveur du développement de programmes de prévention et de services de santé mentale spécialisés, mais en lien avec les stratégies d’adaptation ancrées dans la culture inuite. «Ces stratégies peuvent diminuer l’impact des facteurs de risque du suicide», affirme la doctorante.
Pour mener ses recherches, Léa Plourde-Léveillé a bénéficié du soutien financier des Instituts de recherche en santé du Canada, du Fonds de recherche du Québec – Société et culture, du Programme uqamien de formation scientifique dans le Nord (PFSN), du CRISE et de l’Association universitaire canadienne d’études nordiques (AUCEN). Actuellement en phase de rédaction, elle compte soutenir sa thèse l’automne prochain.
Lauréate en 2020 de la médaille du Lieutenant-gouverneur du Québec pour la jeunesse en raison de son engagement dans différents projets communautaires au Nunavut et au Nunavik, la doctorante dit hésiter entre une carrière de professeure-chercheuse et celle de psychologue clinicienne. «Chose certaine, j’ai envie de continuer de travailler avec les populations autochtones dans le Nord du Québec. J’y ai tellement appris et on a tellement été généreux à mon égard. Des liens forts ont été noués et je veux aider à répondre aux besoins, qui sont immenses.»