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France: la lourde tâche de Michel Barnier

Le nouveau premier ministre a pour mission de rassembler un pays plus divisé que jamais.

Par Jean-François Ducharme

10 septembre 2024 à 16 h 49

La France vit l’une de ses plus importantes crises politiques des 50 dernières années. Les élections législatives du 7 juillet dernier ont montré que le pays était profondément divisé en trois blocs – la droite radicale, le centre et la gauche –, qui ont obtenu à peu près le même nombre de voix et de députés élus. Michel Barnier, nommé premier ministre par le président Emmanuel Macron le 5 septembre, aura la lourde tâche de rallier ces blocs.

Bien que campé à droite, Michel Barnier a la réputation d’être un homme rassembleur. Il a d’ailleurs été le négociateur en chef de l’Union européenne lors du Brexit, entre 2016 et 2020. À 73 ans, ce politicien d’expérience est le plus vieux premier ministre de la Ve République, ce qui contraste avec son prédécesseur Gabriel Attal, qui, à 35 ans, en était le plus jeune. «C’est un fin négociateur capable d’asseoir son autorité et de faire discuter des personnes qui, d’ordinaire, ne se parlent pas, commente le professeur du Département de science politique Jean-Pierre Beaud. Même ses adversaires politiques disent du bien de lui.»

Le nouveau premier ministre aura bien besoin de ces appuis, car son mandat s’annonce ardu. «Il aura certes le soutien implicite des 126 députés du Rassemblement national (extrême droite) et des 47 députés de la droite républicaine, mais c’est loin d’être suffisant pour obtenir une majorité, affirme Jean-Pierre Beaud. La gauche va le censurer, alors que les députés centristes vont le surveiller de très près.» Les hostilités entre le premier ministre et le bloc du centre ont d’ailleurs été déclenchées par Gabriel Attal durant son discours amer prononcé lors de la passation des pouvoirs, le 6 septembre, remarque le professeur.

Budget, immigration et sécurité

Au moment d’écrire ces lignes, Michel Barnier n’avait toujours pas réussi à former un gouvernement, cinq jours après sa nomination. Il s’agit de l’un des plus longs délais pour constituer un gouvernement depuis 1959, le délai étant en moyenne d’une journée et demie. «Son premier défi consistera à rallier quelques députés de la gauche et du centre qui, en retour d’un fauteuil de ministre, pourraient accepter un compromis, souligne Jean-Pierre Beaud. S’il est habile, il peut bâtir un gouvernement avec des gens de divers horizons.»

Combien de temps ce gouvernement tiendra-t-il? Jean-Pierre Beaud s’attend à ce qu’il soit dissout assez rapidement, peut-être même aussitôt qu’au printemps 2025. «Michel Barnier pourrait faire durer le gouvernement plus longtemps s’il parvient à passer à travers les motions de censure sans trop de dommages et s’il séduit les Français, mais j’en doute.»

La première mission du nouveau gouvernement sera budgétaire. L’Union européenne surveille de près les déficits accumulés par la France, et avec un premier ministre de droite, pas question d’augmenter les impôts. «Il y aura certainement des coupes sévères dans certains postes budgétaires, ce qui fera rugir la gauche et incitera peut-être les syndicats à descendre dans la rue», anticipe Jean-Pierre Beaud.

L’immigration sera aussi un thème cher au nouveau premier ministre, lui qui a déjà mentionné que la France comptait trop d’immigrants et qu’elle devrait renvoyer les illégaux. Michel Barnier fera aussi de la sécurité un de ses principaux enjeux.

Pour rendre la situation encore plus complexe, la nomination du premier ministre survient alors que des élections présidentielles se préparent à l’horizon de 2027. «Michel Barnier n’a pas d’ambitions présidentielles, mais une pléthore d’autres candidats ont déjà commencé la course, mentionne Jean-Pierre Beaud. Certains d’entre eux pourraient refuser de faire des compromis pour ne pas que ça nuise à leurs espoirs présidentiels.» Le mandat du nouveau premier ministre ne s’annonce pas de tout repos.