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Les arbres de la planète dévoilent leurs secrets

Les différents écosystèmes forestiers ne réagissent pas tous de la même façon aux changements climatiques, révèle une étude.

Par Pierre-Etienne Caza

15 février 2024 à 11 h 58

Mis à jour le 19 février 2024 à 9 h 25

On reconnaît généralement que la hausse des températures liée aux changements climatiques a un effet sur les arbres à l’échelle mondiale. Mais attention! «On ne peut pas mettre tous les écosystèmes forestiers dans le même panier quand on parle de sensibilité aux changements climatiques», affirme la doctorante en biologie Élise Bouchard, première autrice d’une étude d’envergure publiée récemment dans la revue Global Ecology and Biogeography. Les professeurs du Département des sciences biologiques Alain Paquette et Pierre Drapeau figurent parmi les cosignataires de l’article.

En matière de distribution mondiale des forêts, les scientifiques ont réparti depuis longtemps les grands groupes de végétation, appelés biomes, selon leur latitude: la forêt boréale, la forêt tempérée et la forêt tropicale. «Nous savons que plus nous approchons de l’Équateur, plus nous observons un nombre élevé d’espèces d’arbres. Mais on ne sait pas en quoi ces espèces sont différentes, en quoi leurs stratégies vitales diffèrent. C’était l’objectif de mon mémoire de maîtrise», précise Élise Bouchard.

Il s’agit de l’une des premières études à analyser en détail les impacts des contraintes environnementales sur les stratégies de survie, d’acquisition des ressources et de reproduction des différentes communautés d’arbres sur la planète, explique Élise Bouchard à propos de ses recherches, issues d’une collaboration de plus d’une centaine de scientifiques provenant de 110 pays et des données de millions d’arbres appartenant à 7 250 espèces distribuées sur tous les continents, à l’exception de l’Antarctique.

La forêt tropicale méconnue

L’étude révèle notamment que les arbres des forêts tropicales sont particulièrement sensibles aux changements dans les régimes de précipitations et de propriétés des sols, tandis que ceux des forêts tempérées sont plutôt affectés par les fluctuations de température. La forêt boréale offre, quant à elle, des réponses plus nuancées et variables selon les caractéristiques des arbres étudiés.

«Ce constat est une première, souligne Élise Bouchard. On s’aperçoit que les forêts tropicales sont méconnues et qu’elles sont les plus riches de la planète en matière de diversité d’espèces. En étudiant les forêts mondiales d’un point de vue macro, on passe à côté des spécificités des forêts tropicales.»

Puisqu’il fait chaud près de l’Équateur, les fluctuations de température liées aux changements climatiques ont peu d’effets sur les espèces d’arbres de la forêt tropicale. «Mais le régime de précipitations, lui, a des impacts, car les longues périodes de sécheresse et les sols acides sont les principaux “stresseurs” des arbres qui y vivent», précise la doctorante.

Densité du bois

Afin de mieux comprendre les différentes stratégies de survie, d’acquisition des ressources et de reproduction, Élise Bouchard s’est intéressée plus spécifiquement à la densité du bois, à la surface des feuilles et à la masse des graines produites par chaque espèce. «Nos résultats indiquent que les arbres ont besoin d’une grande quantité d’énergie – suivant la latitude – pour produire des semences et du bois massif, tandis que les feuilles les plus légères par rapport à leur surface sont concentrées dans les forêts tempérées, en adaptation à leur chute saisonnière», souligne-t-elle.

La densité du bois est liée à la sécurité hydraulique des arbres, explique Élise Bouchard. «Dès que le climat est aride, la densité du bois augmente afin d’éviter les embolies – ces bulles d’air qui peuvent entraver la circulation hydraulique – causées par la sécheresse.» En forêt boréale, par exemple, le climat est difficile et le bois des arbres est peu dense. «Ce sont surtout des conifères qui doivent résister au froid», illustre celle qui est également ingénieure forestière.

Production de graines

Quand l’environnement est trop «stressant», les arbres n’investissent pas dans la reproduction, a-t-elle constaté. «Leurs semences seront légères et le vent les transportera. C’est le cas dans la forêt boréale, mais pas dans la forêt tropicale, où les arbres produisent de gros fruits qui sont dispersés par les animaux.»

Surface des feuilles

En forêt boréale, les feuilles des arbres doivent survivre à l’hiver. «Elles sont peu efficaces pour la photosynthèse, mais très résistantes», précise Élise Bouchard. À l’inverse, et c’est l’une des découvertes de son étude, les espèces de la forêt tempérée n’investissent pas beaucoup dans leurs feuilles, mais celles-ci sont efficaces pour la photosynthèse, ce qui est cohérent avec le cycle saisonnier et la chute des feuilles. «L’arbre sait que ses feuilles ne resteront pas longtemps. Il a besoin qu’elles soient efficaces mais pas nécessairement résistantes aux différents agents pathogènes.»

Tout le contraire de ce qui se trame en forêt tropicale, qui regorge d’herbivores. «Les espèces d’arbres qui s’y trouvent ont développé des mécanismes de défense avec des feuilles coriaces, moins efficaces pour la photosynthèse mais plus résistantes», observe la chercheuse.

L’analyse de ces relations entre l’environnement et les fonctions des arbres constitue une avancée majeure dans l’étude de l’impact des changements climatiques sur les forêts mondiales, se réjouit la doctorante.

Les mystères de l’érable à sucre

Après un mémoire de maîtrise sur les forêts mondiales, la thèse de doctorat d’Élise Bouchard porte sur l’érable à sucre. «Je suis passée de 7 250 espèces d’arbres à une seule», observe-t-elle en riant.

La chercheuse étudie les mouvements d’eau et de sucre à l’intérieur de l’érable à sucre. «Même si le Canada est le plus grand producteur de sirop d’érable de la planète, nous connaissons très peu le mécanisme par lequel l’eau circule dans l’érable à sucre au printemps, souligne-t-elle. C’est un mystère et un procédé unique quand on y pense, car l’eau circule dans un arbre qui n’a pas de feuilles!»

La chercheuse souhaite percer les mystères de ce processus fondamental afin, notamment, de s’assurer que les pratiques actuelles soient durables. «Avec les nouvelles technologies comme les pompes à vide, on retire trois fois plus d’eau et de sucre des arbres que par le passé avec les chaudières. Il importe de comprendre quels sont les impacts de ce pompage intensif sur les érables à sucre», conclut Élise Bouchard, que l’on peut entendre à titre de chroniqueuse à l’émission Moteur de recherche, à la radio de Radio-Canada.