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Le Bâtiment 7: du rêve à la réalité

Une BD conçue par des Uqamiens raconte comment un bâtiment industriel abandonné dans Pointe-Saint-Charles est devenu une fabrique d’autonomie collective.

Par Claude Gauvreau

6 mai 2024 à 15 h 43

Mis à jour le 8 mai 2024 à 12 h 22

Comment un bâtiment industriel de 90 000 pieds carrés, vétuste et abandonné, s’est-il transformé en un espace offrant une diversité de services et de projets communautaires à la population du quartier Pointe-Saint-Charles? C’est l’histoire que raconte la bande dessinée En quête d’autonomie: une visite au Bâtiment 7, dont le lancement a eu lieu le 17 avril dernier. La BD décrit une visite dans le Bâtiment 7, vestige patrimonial des ateliers ferroviaires du Canadien national, et dresse à travers celle-ci le récit de la mobilisation sociale ayant permis d’en faire une fabrique d’autonomie collective. Les illustrations sont signées par Alexis Curadeau-Codère (M.A. sciences de l’environnement, 2024), qui a aussi collaboré au scénario et aux textes avec le doctorant en sociologie David Grant-Poitras et le professeur du Département de stratégie, responsabilité sociale et environnementale de l’ESG UQAM Sylvain A. Lefèvre.

«Avec le Service aux collectivités (SAC), qui a soutenu le projet, nous nous sommes dit qu’une BD serait un outil de vulgarisation original et vivant, favorisant le transfert de connaissances, explique Sylvain A. Lefèvre, également directeur du Centre de recherches sur les innovations sociales (CRISES). Le projet du Bâtiment 7 est particulièrement inspirant. Beaucoup de gens, au Québec et ailleurs, veulent savoir comment il s’est développé et concrétisé.»

Cette bande dessinée s’inscrit dans la foulée de différentes recherches menées ces dernières années sur l’expérience du Bâtiment 7, dont les résultats ont été publiés, notamment, dans un article de la revue Recherches sociographiques (2023): «L’utopie très concrète du Bâtiment 7: un commun face aux défis de son autonomie financière», cosigné par Sylvain A. Lefèvre et David Grant-Poitras.

Utopie libertaire

La bande dessinée parle d’une «utopie libertaire» pour désigner l’appropriation et la transformation du Bâtiment 7 au bout de deux décennies de mobilisation citoyenne dans Pointe-Saint-Charles. «Une alliance s’est créée dans le quartier entre des militants anarchistes et des acteurs et actrices provenant de l’économie sociale, des réseaux communautaires autour de la Corporation de développement Acton Gardien et du milieu culturel, explique Sylvain A. Lefèvre. Cette coalition a d’abord permis de lutter avec succès contre des projets visant à transformer le bâtiment en casino, puis en complexe de condos. Après avoir obligé le propriétaire à négocier la cession du site, elle a participé à la remise en état de l’édifice et à la décontamination des sols sur lesquels il était construit.»

L’Alliance donne naissance, en 2009, à un organisme à but non lucratif, le Collectif 7 à nous, composé de citoyennes et citoyens ainsi que de personnes représentant des organismes communautaires, culturels et d’économie sociale. Celui-ci devient propriétaire du Bâtiment 7, qui ouvre ses portes en 2018. À ses débuts, l’organisme offre à la population du quartier des ateliers où les gens peuvent réparer leur vélo ou leur voiture, une épicerie solidaire appelée Le détour et une microbrasserie artisanale.

Une gouvernance basée sur l’autogestion

Le Collectif 7 à Nous se donne pour mission d’élaborer une structure de gouvernance démocratique basée sur le principe de l’autogestion, c’est-à-dire horizontale, décentralisée et évolutive, tout en visant l’efficacité.

«Organiser l’autogestion à plus de 100 personnes, en évitant de produire un système de pouvoir hiérarchisé, c’est complexe et ça prend du temps, dit Sylvain A. Lefèvre. Cela dit, malgré les tensions et les conflits, le défi a été miraculeusement relevé. Le noyau militant du collectif, formé de gens qui se connaissaient bien, a su développer des projets en fonction de leurs retombées sociales et de leur résonance avec les valeurs définies à l’origine.»

Les projets ne sont pas tous gérés de la même manière. Certains reposent sur l’engagement bénévole des membres, dont les disponibilités, les capacités et les attentes sont différentes. «De projet en projet, c’est toujours un travail de négociation et une gymnastique pour faire cohabiter des initiatives, des modes de fonctionnement et des besoins diversifiés», note le chercheur.

En quête d’autonomie financière

L’autonomie financière représentait un autre défi important. Comment financer un projet de cette envergure sans trahir l’esprit et les valeurs l’ayant vu naître? Certains membres du collectif, ne voulant pas rendre des comptes à n’importe qui, exprimaient une méfiance à l’égard de certains bailleurs de fonds.

«L’épine dorsale du projet reposait sur l’idée de créer une fabrique collective autonome. Quand on cherche un appui financier externe, on risque de créer une forme de dépendance, observe Sylvain A. Lefèvre. Comment, aussi, générer des revenus? Comment établir un équilibre entre le bénévolat et le salariat, alors que plusieurs personnes au Bâtiment 7 faisaient 30 à 40 heures de travail gratuit? Toutes ces questions ont soulevé plusieurs débats au sein de l’organisation.»

Pour trouver du financement, le Collectif 7 à nous s’est tourné vers la Fondation philanthropique Béati, dont les liens avec les organismes communautaires et les mouvements sociaux sont bien connus. «Cette fondation a aussi joué un rôle d’intermédiaire pour aider le collectif à trouver différentes sources de financement, tout en respectant son autonomie, relève le professeur. Elle a ainsi approché d’autres fondations philanthropiques, comme la Fondation Lucie et André Chagnon et la Fondation McConnell. Par ailleurs, le collectif a obtenu des subventions publiques, notamment de la Ville de Montréal, qui s’intéressait à ses projets, comme celui de la gestion écologique des eaux de pluie grâce à la création de ruelles bleues-vertes.»

Services de proximité

Aujourd’hui, le Bâtiment 7 offre à la population du quartier divers services et activités, dont des ateliers de poterie, de céramique, de menuiserie, de soudure et d’impression numérique, un studio photo, la coopérative Press Start, soit une arcade gérée par et pour les jeunes, et l’école d’art de Pointe-Saint-Charles. Par ailleurs, un vaste projet immobilier est en chantier sur l’ancien terrain du CN, qui comprendra des logements sociaux et une coopérative d’habitation, mais aussi des espaces verts, une place publique et une fermette rattachée à l’épicerie Le détour, où travaillent quelque 250 bénévoles. On parle aussi de l’arrivée d’un Centre de la petite enfance.

Le Collectif 7 à Nous se trouve maintenant dans une position intermédiaire, entre la mise en commun des tâches et leur professionnalisation, remarque Sylvain A. Lefèvre. «Certaines tâches sont plus faciles à partager et à déléguer, alors que d’autres requièrent des compétences particulières.» Le collectif a ainsi créé un atelier de littératie financière servant à former les membres pour qu’ls puissent travailler sur la comptabilité de l’organisme.

Le succès du Bâtiment 7 tient à plusieurs facteurs, poursuit le professeur. «On doit souligner la longue tradition de militantisme dans le quartier, l’habitude de travailler ensemble des membres de diverses organisations, l’attachement profond au territoire, le jeu d’alliances entre des acteurs et actrices aux compétences complémentaires et la volonté de transparence concernant les difficultés et les embûches, tant auprès des membres que des bailleurs de fonds. Enfin, l’arrivée au pouvoir de Projet Montréal a joué un rôle non négligeable, favorisant l’ouverture des instances politiques à l’expérience du Bâtiment 7.»

Cette expérience peut-elle être reproduite dans d’autres quartiers de Montréal ou dans d’autres villes? Chaque quartier possède son histoire, ses couleurs, son propre écosystème social et ses propres besoins et ressources, rappelle Sylvain A. Lefèvre. «Chose certaine, dit-il, le Bâtiment 7 a permis la réalisation de plusieurs projets en réponse aux besoins de la population et son modèle d’autogestion, expérimenté depuis près de 10 ans, est riche de leçons. Il demeure un chantier en évolution constante qui force le respect et suscite énormément d’intérêt.»