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L’amour avec les robots ou le monde insolite de la sextech

Un congrès international tenu à l’UQAM invite à découvrir la sexualité du futur.

Par Claude Gauvreau

19 août 2024 à 14 h 28

Avoir des interactions érotiques avec des partenaires artificiels, notamment des robots sexuels, relève-t-il du fantasme? «Non, soutient le professeur associé du Département de sexologie Simon Dubé. Avec les progrès fulgurants de l’intelligence artificielle (IA) et de la robotique, les relations intimes entre humains et machines n’appartiennent plus à la science-fiction. Elles font déjà partie de la réalité et sont appelées à se développer.» Bienvenue dans le monde dit de la sextech!

Simon Dubé copréside la neuvième édition du congrès international Amour et sexe avec les robots, qui se déroulera au pavillon J.-A. De Sève (DS), les 24 et 25 août prochains. Organisé par une équipe interdisciplinaire de chercheuses et chercheurs universitaires provenant, notamment, du Canada, des États-Unis et de la Grande-Bretagne, l’événement comporte une vingtaine de conférences couvrant un large éventail de sujets. Le professeur du Département de sexologie David Lafortune-Sgambato, qui compte parmi les organisateurs du congrès, fera une présentation intitulée «Examining Erectile Disorder Manifestations and the Impact of Viewpoint in Virtual Reality Erotica». D’autres communications aborderont les enjeux éthiques et sociaux de l’interaction érotique entre humains et machines.

«Comment les nouvelles technologies sont-elles en train de transformer tous les aspects de notre intimité et de notre sexualité? Voilà le fil conducteur reliant les différentes présentations entre elles, indique Simon Dubé. Des personnes en relation avec des personnages artificiels, comme des poupées sexuelles robotisées, d’apparence humaine, témoigneront de leur expérience.»

Les premiers articles universitaires sur les rapports intimes humains-machines sont apparus en 2006, suivis par la publication, en 2007, de l’ouvrage fondateur Love and Sex with Robots (éditions Harper Collins) du chercheur David Levy, qui sera présent au congrès. «Depuis, nous avons  assisté à une explosion de publications sur la thématique de l’érobotique, en particulier dans le monde anglo-saxon», remarque le professeur associé, également chercheur à l’Institut Kinsey de l’Université de l’Indiana (du nom du chercheur américain Alfred Kinsey, pionnier des études sur la sexualité humaine dans les années 1950). Détenteur d’un doctorat en psychologie de l’Université Concordia, Simon Dubé a fait sa thèse sur l’érobotique, notamment sur les différentes variables influençant le désir d’avoir ou non des relations avec des machines.

«Au cours des 10 dernières années, grâce à la réalité virtuelle augmentée et à l’IA, plusieurs personnes ont développé des relations avec des agents artificiels ayant des fonctions érotiques et prenant la forme, entre autres, d’avatars.»

Simon Dubé,

Professeur associé au Département de sexologie
Une industrie en croissance

Les technologies associées à la robotique sexuelle, bien qu’encore limitées et coûteuses, sont en croissance. «Au cours des 10 dernières années, grâce à la réalité virtuelle augmentée et à l’IA, plusieurs personnes ont développé des relations avec des agents artificiels ayant des fonctions érotiques et prenant la forme, entre autres, d’avatars», souligne Simon Dubé. L’une des applications les plus connues, Replika, est un robot conversationnel conçu par une entreprise californienne en 2017, avec lequel on peut établir une forme de complicité, voire d’intimité.

Nombreuses sont les entreprises de nouvelles technologies dans le domaine de la sextech. «On compte plusieurs start-ups qui croisent le développement de plateformes de vidéos et autres contenus érotiques interactifs et immersifs avec la conception de robots conversationnels de plus en plus sophistiqués, note le professeur. Un nouveau marché est en train d’émerger, qui pourrait intégrer celui des jouets sexuels – vibrateurs, masturbateurs – destinés à procurer du plaisir et dont les femmes et les membres des communautés LGBTQ sont les principaux consommateurs.»

Attitude favorable à l’égard de la sextech

En ce qui concerne les robots, toutefois, les hommes semblent tout aussi intéressés que les femmes, et même plus. Selon un sondage commandé en 2021 par l’entreprise Tidio, spécialisée dans la conception de robots conversationnels, 48 % des hommes aux États-Unis se disaient disposés à avoir des relations sexuelles avec un robot, contre 33 % des femmes. Simon Dubé a lui-même collaboré à des études visant à sonder l’intérêt d’hommes et de femmes à l’égard de la sextech.

Les attitudes des participants et participantes étaient diversifiées et plutôt favorables, relève le professeur. «Certaines personnes évoquaient l’avantage d’explorer leur sexualité et de réaliser des fantasmes en toute sécurité. D’autres soulignaient la possibilité d’avoir un partenaire à l’écoute de leurs besoins émotionnels, érotiques ou sexuels, sans crainte d’être jugées sur leur apparence physique ou leurs préférences. D’autres encore mentionnaient que la technologie pourrait aider à réduire leur anxiété de performance sexuelle.»

«La sextech peut satisfaire des besoins non comblés, donner l’envie d’explorer des avenues différentes en matière de sexualité. On doit se demander comment intégrer les nouvelles technologies de manière harmonieuse dans nos vies, sans qu’elles se substituent aux relations humaines.»

Des enjeux socio-éthiques

La sextech comporte des enjeux socio-éthiques qui suscitent des inquiétudes. Elle pourrait renforcer l’isolement social, reproduire des modèles sexuels normatifs, encourager la surconsommation de pornographie personnalisée ou favoriser l’utilisation compulsive des technologies ainsi que la dépendance à leur endroit.

La sexualité humaine est complexe, diverse et évolutive, rappelle Simon Dubé. Plusieurs personnes sont insatisfaites dans leur vie sexuelle et amoureuse, alors que d’autres, en proie à la solitude affective, n’ont pas accès à des rapports d’intimité ou à des partenaires sexuels. «La sextech peut satisfaire des besoins non comblés, donner envie d’explorer des avenues différentes en matière de sexualité. On doit se demander comment intégrer les nouvelles technologies de manière harmonieuse dans nos vies, sans qu’elles se substituent aux relations humaines. Dans notre monde orienté vers la recherche du profit, le défi consiste à s’assurer que les applications de l’IA, y compris dans le domaine de la sextech, servent à maximiser le bien-être des gens.»

Le chercheur estime aussi que les robots sexuels et autres agents artificiels pourraient offrir des applications bénéfiques dans les domaines de la santé et de l’éducation. «Les robots pourraient être programmés en vue d’une utilisation en contexte clinique ou thérapeutique afin d’aider des individus à surmonter leurs peurs ou leur anxiété relatives à l’intimité et au sexe, ou de soutenir des victimes de traumatismes souhaitant redécouvrir leur corps et leur sexualité. Pensons aussi aux personnes éprouvant des difficultés sur le plan cognitif ou des fonctions sexuelles. Enfin, les robots pourraient contribuer à élargir le champ de l’éducation à la sexualité en présentant des modèles de sexualité alternative.»

Des observateurs se demandent déjà si la perspective d’avoir des rapports intimes avec des agents non humains signifie que nous sommes à l’aube d’une nouvelle révolution sexuelle. D’autres évoquent un changement anthropologique majeur favorisant l’émergence de nouvelles identités sur le plan relationnel. Le débat est lancé.