La séance du cours Communication et journalisme politiques va bientôt débuter. La vingtaine d’étudiantes et étudiants du bac en communication, politique et société entre au compte-goutte dans le petit local du pavillon Hubert-Aquin. Chacun prend soin de récupérer son porte-nom à l’avant de la classe avant de le placer bien en vue à sa place. «Cette astuce facilite les interactions en classe», observe le chargé de cours de la Faculté de science politique et de droit Pierre Duchesne, qui donne le cours depuis quelques années déjà.
La démonstration suit. «Y a-t-il des choses dans l’actualité qui ont attiré votre attention cette semaine?», demande-t-il en s’asseyant sur le coin d’une table. «Oui David?», enchaîne-t-il en donnant la parole à un étudiant assis au deuxième rang. «J’aimerais discuter des menaces de mort proférées à l’endroit de PSPP [NDLR: Paul St-Pierre Plamondon] et de la publication des images de sa conférence de presse contre son gré», annonce ce dernier. «Voilà une question d’éthique journalistique intéressante», observe Pierre Duchesne. «Avant que David nous explique pourquoi il souhaite revenir sur cet événement, pouvez-vous me dire, Maxime, qui est Paul St-Pierre Plamondon?» L’étudiante hésite, mais donne la bonne réponse: «C’est le chef du Parti québécois.»
Pierre Duchesne offre ensuite une mise en contexte de l’événement, vidéo d’un bulletin de nouvelles à l’appui, avant de redonner la parole à David qui expose son analyse à la défense de Paul St-Pierre Plamondon. «Est-ce que tout le monde est d’accord?», interroge ensuite le chargé de cours. Ce n’est pas le cas et la discussion est lancée pendant quelques minutes, chacune et chacun y allant de ses arguments.
«Quel est le seul politicien québécois victime d’une tentative d’attentat dans l’histoire québécoise?», questionne quelques instants plus tard Pierre Duchesne. «Pauline Marois», répondent quelques voix. «Exact, j’y étais avec ma famille, car c’était censé être un moment de fête», rappelle l’ancien ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche, de la Science et de la Technologie. «Et Pauline Marois était cheffe de quel parti?», demande-t-il. «Le Parti québécois», répondent quelques personnes. «Des menaces de mort contre un élu ont presque toujours un lien avec ses positions politiques, analyse le chargé de cours. C’est le cas pour Paul St-Pierre Plamondon. Or, si les menaces de mort à l’endroit d’un élu sont toujours d’intérêt public, le traitement journalistique qu’on en fait peut être critiqué et discuté.»
L’ancien journaliste, qui a passé sept ans à titre de correspondant parlementaire à Québec pour Radio-Canada, explique au groupe qu’aucun média n’accepte de se faire dire ce qu’il peut filmer ou diffuser dans le cadre d’une conférence de presse, incluant ce qui peut s’y dérouler à la marge ou dans les coulisses. «Ensuite, c’est au public de juger si ce qui est montré est acceptable ou pas… et je vous rappelle que le public est voyeur», observe-t-il.
«Autre chose qui vous a marqué dans l’actualité?», demande Pierre Duchesne. Maxime lève la main pour discuter de la nouvelle rapportant que des vitres de l’édifice de Radio-Canada ont été brisées en réaction au reportage de l’émission Enquête sur la transition médicale de genre chez les mineurs. Une discussion s’ensuit sur le code déontologique des journalistes, qui doivent viser l’impartialité et l’équilibre dans le traitement de l’information. L’étudiante est d’avis que ce n’est pas le cas pour ce reportage. C’est l’occasion pour Pierre Duchesne de mentionner l’existence et le rôle de l’ombudsman de Radio-Canada et d’inviter l’étudiante à faire parvenir une plainte en bonne et due forme si elle le souhaite.
Un président sans expérience
Le cours de Pierre Duchesne vise à comprendre les fondements historiques du journalisme politique en remontant jusqu’à ses sources en Angleterre. Après avoir abordé le journalisme parlementaire en France, puis au Québec et au Canada dans les semaines précédentes, la séance à laquelle nous assistons amorce la séquence consacrée au journalisme politique à Washington. «En cette année électorale, je prends le temps de discuter avec le groupe du rapport de Trump avec les médias pour le mettre en relief par rapport à la dynamique qui s’est établie entre les journalistes de la Maison Blanche et les présidents dans l’histoire américaine», précise-t-il.
Historiquement, les présidents américains sont des gens instruits, qui ont occupé différents postes politiques avant de se présenter comme candidats à la présidence, rappelle Pierre Duchesne. «On compare souvent Trump à Ronald Reagan, car ce dernier avait été acteur à Hollywood dans sa jeunesse, mais ce faisant on oublie de mentionner que Reagan a été gouverneur de la Californie de 1966 à 1975. Il avait de l’expérience en politique, contrairement à Trump.»
«En cette année électorale, je prends le temps de discuter avec le groupe du rapport de Trump avec les médias pour le mettre en relief par rapport à la dynamique qui s’est établie entre les journalistes de la Maison Blanche et les présidents dans l’histoire américaine.»
Pierre Duchesne
Chargé de cours à la Faculté de science politique et de droit
Le candidat républicain est diplômé de la Wharton School de l’Université de Pennsylvanie, une école de commerce certes prestigieuse, mais sa spécialisation était en immobilier. «À 18 ans, Donald Trump a reçu un million de dollars de son père qui avait déjà un empire immobilier. L’expérience politique de Trump et sa connaissance de l’administration publique était nulle lorsqu’il a été élu président en 2016», souligne Pierre Duchesne.
Comment expliquer l’ascension de Donald Trump jusqu’au poste d’homme politique le plus puissant de la planète? «Il s’est bâti une notoriété publique», affirme le chargé de cours.
La presse à sensation
Selon plusieurs spécialistes, Donald Trump aurait décidé de se lancer dans la course à la présidence après le dîner des correspondants de la Maison Blanche en 2011. «Ce soir-là, Barack Obama, qui était président, s’est moqué pendant de longues minutes de Donald Trump, qui avait remis en cause sa légitimité présidentielle en avançant des doutes sur sa nationalité américaine», raconte Pierre Duchesne, qui montre au groupe un extrait d’un reportage du magazine américain Frontline consacré à l’événement. On y voit un Donald Trump qui ne rit pas du tout des blagues d’Obama, devant un parterre de gens influents de Washington. Pour plusieurs, c’est ce qui a allumé le feu Trump. Mais la notoriété du personnage, elle, était en construction depuis des décennies.
Plusieurs pages couverture du New York Post et du Daily News des années 1970, 1980 et 1990 témoignent de l’omniprésence de Trump dans les colonnes mondaines.
Pierre Duchesne explique la création de l’image publique de Donald Trump en trois phases, la première étant celle de la presse à sensation. «C’est l’époque des tabloïds, ces journaux populaires misant sur des photos et des manchettes croustillantes, dit-il. On pense notamment au New York Post, acheté par le magnat des médias Rupert Murdoch en 1976. On lui doit l’invention de la page six, cette chronique à potins qui a littéralement mis au monde Donald Trump sur la place publique en relatant ses frasques conjugales et financières.» La fameuse page six est même devenue un site web à part entière.
Pierre Duchesne raconte qu’il est de notoriété publique que John Barron, le porte-parole de Trump qui appelait les médias pour les pister sur l’emploi du temps de son patron, n’était nul autre que… Trump lui-même! «Il faisait son autopromotion en attirant les journalistes à potins là où il allait se trouver. Et toutes ses frasques vendaient de la copie!»
Plusieurs pages couverture du New York Post et du Daily News des années 1970, 1980 et 1990 témoignent de l’omniprésence de Trump dans les colonnes mondaines. «Vous savez ce qui s’est passé le 11 février 1990?, demande Pierre Duchesne. Nelson Mandela a été libéré de la prison sud-africaine où il croupissait depuis 27 ans. Ce jour-là, le Daily News a traité la nouvelle en bandeau sur sa page couverture, préférant consacrer sa une aux troubles conjugaux entre Trump et sa première femme Ivana…»
La téléréalité
La deuxième phase de la construction de l’image publique de Donald Trump se met en branle lorsque ce dernier participe à la nouvelle téléréalité The Apprentice diffusée au réseau NBC. «Les concepteurs cherchaient un personnage plus grand que nature pour présider le “conseil d’administration” de l’émission, qui devait décider du sort des aspirants hommes et femmes d’affaires», rappelle Pierre Duchesne.
La deuxième phase de la construction de l’image publique de Donald Trump se met en branle lorsque ce dernier participe à la nouvelle téléréalité The Apprentice diffusée au réseau NBC.
Le premier épisode, en 2004, cartonne avec quelque 20 millions de téléspectateurs. Trump crevant l’écran, les concepteurs mettent rapidement de côté l’idée d’employer une nouvelle vedette chaque semaine. «La formule d’ouverture de l’émission sera la même pendant 11 ans. On y entend Trump affirmer qu’il est un entrepreneur à succès, le plus grand développeur immobilier de New York, tout cela sur fond d’images de ses tours immobilières et de ses jets privés.» Tout un véhicule promotionnel! «Trump ne cesse de dire qu’il est un féroce négociateur, mais la petite histoire de l’émission veut qu’il ait exigé 1 million de dollars par épisode, raconte Pierre Duchesne. Or, le réseau NBC a refusé et lui a plutôt versé un salaire de 60 000 dollars par épisode. Quel négociateur…»
C’est dans le cadre de cette émission que Trump a développé la formule «You’re fired», accompagnée de l’index qui pointe, signifiant aux participantes et participants qu’ils étaient évincés de la compétition, un geste qu’il reprend régulièrement dans ses rassemblements politiques depuis 2015.
Le phénomène Fox News
La troisième phase Trump s’amorce avec la chaîne télévisée Fox News, créée par Rupert Murdoch en 1996. «La chaîne a dépassé CNN en termes d’auditoire depuis janvier 2002, en raison de son positionnement patriotique suivant les attentats du 11 septembre, raconte Pierre Duchesne. À partir de 2011, elle fait régulièrement appel à Donald Trump pour commenter l’actualité.»
Trump n’a pas investi beaucoup d’argent lors de la campagne de 2016. Mais il a profité de temps d’antenne gratuit plus que tout autre candidate ou candidat.
Selon les mots d’un expert, «Murdoch n’a pas inventé Trump, mais il lui a construit un auditoire de millions de militants», souligne le chargé de cours. Trump, c’est connu, permet aux médias d’engranger les cotes d’écoute. «Trump n’est pas bon pour l’Amérique, mais il est bon pour CBS», affirmait en février 2016, au plus fort de la saison des primaires républicaines, le président de CBS, Leslie Moonves.
Graphiques à l’appui, Pierre Duchesne démontre que Trump n’a pas investi beaucoup d’argent lors de la campagne de 2016. Mais il a profité de temps d’antenne gratuit plus que tout autre candidate ou candidat. «C’est une visibilité démesurée que lui ont offerte les médias, et particulièrement les chaînes de télé qui diffusaient l’intégralité de ses rassemblements politiques», précise-t-il.
«En somme, résume Pierre Duchesne, Donald Trump n’est pas une bête politique. Son premier mandat nous a prouvé qu’il ne connaît rien à l’administration publique et qu’il n’a pas les aptitudes pour être le rassembleur que devrait être le président américain. Il discrédite l’expérience politique en affirmant que les élites politiques sont corrompues. En revanche, c’est un bon communicateur qui excelle dans son autopromotion.»
«Les grands réseaux, sauf Fox News, ont appris de 2016. Ils ne lui donneront plus de couverture en direct intégrale.»
«Pourquoi est-il si critique envers les médias si ceux-ci lui font de la publicité gratuite?», demande avec à-propos Fatoumata. «Il l’est devenu depuis qu’il s’est heurté aux journalistes affectés à la tribune de la presse de la Maison Blanche, explique Pierre Duchesne. Ces journalistes n’ont jamais joué son jeu d’autopromotion et le talonnent sans cesse, relevant ses nombreuses contradictions. Ils sont donc devenus, à ses yeux, ses ennemis. Vous remarquerez lors de la présente campagne que les grands réseaux, sauf Fox News, ont appris de 2016. Ils ne lui donneront plus de couverture en direct intégrale.»
Une présentation orale
Après la pause, Clémence effectue une présentation sur l’incident du golfe du Tonkin et le déclenchement de la Guerre du Vietnam. «J’offre le choix aux étudiantes et étudiants de faire une dissertation ou une présentation orale sur un sujet imposé par tirage au sort durant le trimestre», explique Pierre Duchesne. Une brève discussion se déroule après la présentation de l’étudiante, qui répond à quelques questions du groupe. Le chargé de cours la remercie pour son exposé, qui met en lumière le rôle joué par les médias américains dans la mise au jour des horreurs de cette guerre qui a duré 20 ans et fait plus de 55 000 morts du côté américain.
Les relations entre les journalistes et le président
Contrairement au Québec et au Canada, il y a plusieurs tribunes de la presse aux États-Unis, souligne Pierre Duchesne en reprenant le fil de la séance. «Il y a une tribune de la presse affectée à la Maison Blanche, une au Sénat, une au Congrès, une au Pentagone, une au département de la défense, une au département d’État. Et le fonctionnement de ces tribunes est relativement similaire: on y tient un point de presse quotidien, durant lequel une ou un porte-parole répond aux questions des journalistes. Mais cela n’a pas toujours été ainsi», précise-t-il.
Même si le premier amendement de la Constitution des États-Unis protège, entre autres, la liberté de presse et la liberté de parole depuis 1791, le travail des journalistes affectés à la couverture politique nationale n’a pas toujours été tel qu’on le connaît aujourd’hui, observe Pierre Duchesne. «À l’époque, on couvrait les débats qui se déroulaient au Congrès, où sont votées les lois, mais très peu la présidence», raconte-t-il.
C’est Théodore Roosevelt (président de 1901 à 1909) qui fait entrer pour la première fois une poignée de journalistes à la Maison Blanche. «Mais c’est lui qui parlait, sans répondre à des questions», précise le chargé de cours. Son successeur, William Taft (1909-1913), discute aussi avec les journalistes, mais ne veut pas être cité. On doit à Warren G. Harding (1921-1923) d’avoir permis aux journalistes de poser leurs questions au président. «Mais celles-ci devaient être envoyées à l’avance par écrit, précise Pierre Duchesne. Bref, il s’agissait d’un journalisme soumis à la déférence et à l’humeur du président.»
La dynamique change du tout au tout avec l’arrivée au pouvoir de Franklin D. Roosevelt en pleine Grande Dépression. «On raconte que lors de sa première conférence de presse, le 8 mars 1933, il aurait dit “Posez vos questions, messieurs!” aux journalistes médusés… lesquels l’ont applaudi à la fin de l’exercice», souligne Pierre Duchesne.
Au pouvoir de 1933 à 1945, Roosevelt donnera plus de 1000 conférences de presse. «C’est un président qui a utilisé abondamment les médias pour expliquer les nombreuses réformes de son New Deal visant à relancer l’économie américaine, se faisant au passage plusieurs ennemis parmi les propriétaires d’entreprises… y compris les propriétaires de journaux, puisque certaines réformes favorisaient la formation des syndicats!»
Le président Roosevelt a créé la Federal Communication Commission (FCC), le pendant américain du CRTC canadien, qui forcera le réseau NBC à se débarrasser de l’un de ses réseaux qui deviendra la chaîne ABC.
Les adversaires politiques de Roosevelt tentent de le discréditer pour empêcher sa réélection en 1936, mais celui-ci contre-attaque en créant ses causeries au coin du feu (fireside chats), une série de discours radiophoniques diffusés en soirée entre 1933 et 1944. «À cette époque pré-télévision, la plupart des Américains ne savaient même pas de quoi avait l’air Roosevelt, rappelle Pierre Duchesne. Ces discours lui permettaient donc d’entrer dans leur foyer et d’expliquer ses politiques. Ce faisant, il développait avec les Américains une intimité et il gagnait leur confiance à la grandeur du pays. Il a remporté l’élection avec 523 grands électeurs contre 8 pour son adversaire républicain, obtenant 60 % des voix.»
D’une élection à l’autre, Franklin D. Roosevelt a gagné le cœur des électeurs en prenant le temps de répondre aux questions des différents médias américains et en expliquant ses visées politiques, parvenant à sortir le pays de la crise économique, souligne Pierre Duchesne. Un comportement à des années-lumière de Donald Trump, plus enclin à diviser pour régner.
Pierre Duchesne termine son cours avec un quiz portant sur les notions vues dans les cours précédents. Les étudiantes et les étudiants soumettent leurs réponses sur une application et le chargé de cours demande ensuite à une étudiante ou un étudiant de se prononcer avant de dévoiler les résultats à l’écran. Les acclamations spontanées sont nombreuses, le groupe s’amuse franchement. Prochaine séance: le scandale du Watergate.