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Explorer les liens entre art et typographie

Le Centre de design et Vox présentent ART + TYPO, une exposition réunissant les œuvres intrigantes d’une quinzaine d’artistes.

4 mars 2024 à 11 h 10

Mis à jour le 5 mars 2024 à 16 h 43

Le Centre de design et VOX, centre de l’image contemporaine, s’unissent pour présenter ART + TYPO. Cette exposition sur l’art et la typographie permet de découvrit des œuvres de 15 artistes de la scène nationale et internationale pour lesquels la typographie est une composante centrale de leurs projets de création. Tous et toutes développent un langage artistique à partir de leurs explorations typographiques, remettent en question les normes de lisibilité et innovent dans l’utilisation des médias textuels.

ART + TYPO a été conçue par la photographe et professeure associée de l’École de design Angela Grauerholz et l’artiste visuel Robert Fones. L’exposition témoigne de leur intérêt commun pour l’histoire de la typographie, les expérimentations novatrices, l’art et le design. «L’originalité de l’exposition réside dans l’expérimentation typographique en tant qu’art générant des formes et des expressions, ainsi que dans sa relation significative avec le langage, la matérialité et diverses formes de design», affirme Angela Grauerholz.

Ls œuvres exposées, dont six au Centre de design, reflètent la diversité des formes typographiques utilisées par les artistes dès le début du 20e siècle, notamment par Picasso et Braque, qui ont introduit des lettres dans leurs peintures à l’aide de pochoirs métalliques fabriqués industriellement. La typographie a aussi été une composante essentielle du futurisme, du dadaïsme et du constructivisme russe. Dans les années 1950 et 1960, les artistes du pop art contribuent à la résurgence de la typographie en art, en intégrant la publicité et la signalétique dans leurs œuvres. Enfin, l’exposition témoigne de l’influence exercée sur de nombreux artistes par l’art conceptuel, lequel a eu recours à des textes littéraires, politiques et philosophiques.


Expérimenter et innover

Angela Grauerholz propose Schriftbilder (1999), une série de 20 photogrammes en noir et blanc par lesquels elle s’approprie des caractères de langues et d’écritures anciennes trouvés dans un catalogue publié par l’Imprimerie nationale de France. Ces «images d’écriture» témoignent de l’existence antérieure de langues pratiquement disparues aujourd’hui et les ramènent à la vie sous une autre forme. Les images de la photographe nous rappellent que les caractères ne préservent que l’apparence d’une langue et non la langue elle-même s’il n’y a plus de locuteurs pour la parler. L’interprétation de ces textes et la compréhension de leurs origines demeurent un mystère, un thème récurrent dans plusieurs œuvres d’Angela Grauerholz.

Avec Reconsidering Jack Torrance’s All Work and No Play, l’artiste et éditeur autrichien Klaus Scherübel s’inspire du personnage d’écrivain incarné par l’acteur Jack Nicholson dans le drame d’horreur The Shining (1980) de Stanley Kubrick. Dans ce film, Jack Torrance est un auteur souffrant du syndrome de la page blanche. Compulsif, il écrit toujours la même phrase sur sa dactylo – All work and no play makes Jack a dull boy –, signe d’un échec artistique et symptôme d’une crise psychologique. Dans l’exposition, Klaus Scherübel reproduit cette phrase en la disposant de différentes manières dans une série de 14 textes-images encadrés, constituant autant de tableaux. Chacun d’eux contient des variations graphiques de la phrase et des mots qui la composent, renvoyant aux différentes formes visuelles qu’un texte peut revêtir: une colonne dans un journal, une lettre personnelle, un poème, etc.

La graphiste allemande Anette Lenz propose des animations sur les deux faces d’un grand panneau suspendu au centre de l’exposition. L’une des animations, appelée Constellation voyelles no 1, consiste en une installation interactive où chaque lettre brille telle une étoile dans le firmament typographique. Le public est convié à une déambulation poétique, à laisser son esprit s’égarer parmi les constellations de voyelles et à tisser des liens insoupçonnés entre les lettres, comme s’il s’agissait de corps célestes formant des arabesques de sens. L’œuvre se veut un clin d’œil au poème «Voyelles» d’Arthur Rimbaud, dans lequel le poète attribue des couleurs précises à chacune des lettres.

Le designer Arnaud Maggs s’intéresse aux «différences subtiles entre des choses semblables», différences qui révèlent, notamment, le passage du temps et les détails uniques inhérents aux objets. Cet intérêt l’a conduit, entre autres, à photographier des enseignes d’hôtels parisiens en 1991. Dans Hotel Maquettes Series, Arnaud Maggs a classé ces photographies d’hôtels en fonction de la typographie des leurs enseignes, plutôt que de leur emplacement. Cette méthode reflète la préoccupation de l’artiste pour la taxonomie des caractères, sans oublier pour autant leur effet graphique. Arnaud Maggs a produit de nombreuses œuvres strictement typographiques, comme The Complete Prestige Jazz Series, et présenté des dessins graphiques qui évoquent des histoires sociales, culturelles ou industrielles.

Le co-commissaire de l’exposition Robert Fones présente Tive/Tate/Tile (1997), une étagère en contreplaqué. Tout au long de sa carrière, cet artiste a travaillé avec la forme des lettres et la typographie. Il a utilisé diverses stratégies pour perturber la perception des formes des lettres et le processus de lecture. Ces stratégies comprennent, entre autres, l’augmentation de la taille des caractères à une échelle monumentale, la rotation des lettres et leur peinture avec des couleurs basées sur leurs formes, de même que la possibilité pour les lettres d’un texte de s’enchaîner ou d’être arbitrairement disjointes.

L’artiste cri Joi T. Arcand contribue à l’exposition avec une œuvre in situ dans l’escalier du pavillon de de Design, intitulée ᐁᑳᐏᔭ ᐋᑲᔮᓯᒧ Don’t Speak English, et une enseigne en néon installée à VOX. Toutes deux comportent des caractères syllabiques cris. Joi T. Arcand invite le public, avec humour, à découvrir la langue de sa communauté, le cri des plaines, ainsi que l’état précaire de nombreuses langues autochtones.

Dans le cadre d’ART + TYPO, Vox présente également une œuvre de la professeure de l’École de design Judith Poirier, soit le film d’animation typographique Fraktura. Le travail de création de la professeure se concentre principalement sur la typographie expérimentale dans les domaines de l’édition et de l’animation. Alliant savoir-faire traditionnel et approche contemporaine, elle examine le rythme visuel et sonore des caractères mobiles en imprimant directement sur pellicule cinématographique à l’aide de sa presse typographique. Présentés dans de nombreux festivals internationaux, les films de Judith Poirier ont obtenu plusieurs récompenses.

L’exposition se déroule jusqu’au 14 avril 2024.