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Canal de Lachine: des retombées spectaculaires

La mise en valeur du bassin a eu des effets sociodémographiques et fiscaux importants sur le secteur.

Par Pierre-Etienne Caza

25 janvier 2024 à 8 h 19

Mis à jour le 1 février 2024 à 16 h 05

«Il n’existe pas un canal, mais bien deux», révèle le professeur du Département des sciences économiques de l’ESG UQAM Kristian Behrens. Ce dernier vient de mettre la touche finale à une étude visant à évaluer les impacts socioéconomiques de la mise en valeur du lieu historique national du Canal-de-Lachine. Amorcé en 2019, ce projet de recherche, mené en collaboration avec ses collègues Florian Mayneris et Marlon Seror, est le fruit d’une entente entre Parcs Canada et l’UQAM, par l’entremise du Service des partenariats et du soutien à l’innovation (SePSI).

Depuis 1997, Parcs Canada a investi environ 35 millions de dollars pour la réhabilitation du canal de Lachine, qui s’étend sur 13,5 kilomètres entre le Vieux-Port et le lac Saint-Louis, à Lachine. «Nous voulions savoir, plus spécifiquement, si les améliorations ont eu un impact sur la composition sociodémographique le long du canal, et quantifier dans le temps la hausse des valeurs foncières afin de mesurer les retombées fiscales pour la Ville», précise Kristian Behrens.

Les résultats indiquent une coupure on ne peut plus claire, séparant la zone à l’étude en deux. «L’intégralité des effets sociodémographiques et fiscaux sont concentrés dans la partie est du canal, entre le Bassin Peel et le Marché Atwater, tandis qu’il n’y a aucun impact significatif sur la partie ouest, qui s’étend du Marché jusqu’à Lachine et qui est un secteur davantage industrialisé», observe Kristian Behrens. D’où l’idée qu’il n’y a pas qu’un seul canal.

L’accès à l’ensemble des données foncières de Montréal depuis 1995 a permis à l’équipe d’avoir des comparatifs avec d’autres secteurs. «Nous avons identifié des zones comparables à celle du Canal de Lachine au début des années 2000, mais qui n’ont pas bénéficié du même type d’investissements, et ce, afin de pouvoir apprécier l’augmentation des valeurs foncières», explique le chercheur.

Kristian Behrens et son équipe ont noté une augmentation de l’octroi des permis de construction à partir de l’année 2006 dans la partie est du canal. Cette augmentation est allée de pair avec une hausse des valeurs foncières. «La valeur fiscale est calculée à partir de la valeur des propriétés, rappelle le chercheur. Or, le prix des propriétés et leur nombre peuvent fluctuer. Ce sont les deux variables que nous devions analyser, pour ensuite effectuer un calcul global intégrant les effets de prix et les effets de quantité.»

Dans la partie ouest du canal, la valeur foncière des propriétés a augmenté légèrement, soit de moins de 10 millions de dollars par aire de diffusion (l’unité géographique formée d’un ou de plusieurs îlots dont la population moyenne est de 400 à 700 habitants). Cette augmentation est similaire à celle des zones comparables de la métropole. En revanche, dans la partie est, la hausse a été spectaculaire. «Entre 2007 et 2019, cette hausse atteint 115 M$ en moyenne par aire de diffusion», souligne le professeur.

Retombées fiscales

En se basant sur les taux de taxes foncières en vigueur durant ces années-là, l’augmentation de taxes foncières perçues par la Ville de Montréal entre 2007 et 2019 s’élève à près de 500 millions de dollars, révèle Kristian Behrens. «En ajustant nos calculs pour tenir compte de la tendance générale des quartiers centraux à voir leurs valeurs foncières augmenter plus rapidement pendant cette période, on en arrive tout de même à un surplus de 270 millions de dollars. Et cela est, à mon avis, une estimation très très conservatrice.»

Les sommes consacrées au réaménagement du secteur ont donc créé de la valeur bien au-delà des investissements de Parcs Canada et cela a généré des retombées fiscales pour la Ville. «Cela soulève la question d’une meilleure répartition des coûts et des bénéfices entre la Ville et Parcs Canada», note le professeur.

Inévitable embourgeoisement

Les données analysées par Kristian Behrens et son équipe indiquent que la part des 0-19 ans est en chute libre depuis les années 2006 dans la partie est du canal, tandis que celle des 20-39 ans augmente fortement. «Il s’agit d’une population relativement jeune, célibataire ou en couple, mais sans enfants, note le chercheur. Le nombre de diplômés du postsecondaire, en augmentation partout à Montréal, est particulièrement marqué dans ce secteur et le revenu individuel moyen a considérablement augmenté. Cela correspond tout à fait au phénomène d’embourgeoisement observé dans d’autres quartiers centraux de la ville depuis les années 2000.»

L’étude montre que les gens souhaitent habiter dans des quartiers bien aménagés, près du centre-ville et bordés d’espaces verts. En revanche, l’embourgeoisement de ce type de quartier, qui devient plus riche, plus jeune et plus éduqué, entraîne le déplacement de résidents de longue date, une problématique criante en période de crise du logement.

«Le secteur Bridge-Bonaventure vivra sans doute le même type de phénomène», observe le professeur. Comment maintenir la mixité sociale et quelles sont les mesures à mettre en œuvre pour limiter et freiner les changements sociodémographiques entraînés par ce type d’investissement? «Les acteurs impliqués dans ces dossiers sont sensibles à ces enjeux et travaillent de concert avec la Ville pour trouver des solutions», conclut-il.