L’été dernier, quand les forêts se sont transformées en brasiers, menaçant villes et villages, les inquiétudes étaient vives chez les résidents, mais aussi chez les spécialistes du patrimoine. «Finalement, rien n’a été détruit, dit le professeur du Département d’histoire de l’art Yves Bergeron. Mais cette crise a alimenté la réflexion dans les milieux de conservation du patrimoine. Avec les changements climatiques, tôt ou tard, des villages seront touchés, des bibliothèques et des musées vont brûler.»
Coresponsable, avec Maryse Paquin, de l’Université du Québec à Trois-Rivières, et Nada Guzin Lukic, de l’Université du Québec en Outaouais, du colloque Crises et enjeux contemporains des patrimoines (13 et 14 mai), Yves Bergeron souligne que les patrimoines sont plus que jamais menacés dans le silage des conflits armés, des inégalités, des migrations forcées, des changements climatiques et autres catastrophes naturelles.
Réunissant des chercheurs du Réseau Patrimoines de l’Université du Québec (RéPUQ), le colloque sera l’occasion de débattre du sujet. «Si on ne fait rien pour l’environnement, à quoi ça sert de conserver des collections? demande le professeur. De plus en plus, on s’aperçoit que le patrimoine matériel est indissociable du patrimoine naturel.»
La création d’un DESS interuniversitaire en gestion durable du patrimoine avec les différentes composantes de l’UQ fera aussi partie des discussions. Le programme permettra d’aborder le sujet dans toute sa complexité. «On fait quoi? Qui fait quoi? La conservation du patrimoine est compliquée, souligne Yves Bergeron, car elle est régie par plusieurs législations ainsi que par des conventions internationales comme celles de l’UNESCO sur le patrimoine matériel ou immatériel.»
Le patrimoine est également au cœur d’enjeux politiques. «En Ukraine, les Russes ont détruit des églises, des musées, mais ils protègent des sites qu’ils considèrent importants pour le patrimoine russe, remarque le professeur. On voit que s’attaquer au patrimoine, c’est s’attaquer à l’identité.»
Dans la même veine, Yves Bergeron animera une discussion sur la crise du crucifix qui a secoué l’Assemblée nationale en 2017. «Le retrait du crucifix du Salon bleu constitue une belle étude de cas», observe le professeur. Ce dernier a analysé les discours du gouvernement, qui voulait maintenir le crucifix en tant qu’objet historique et culturel, et de l’opposition, qui considérait que l’objet religieux n’y avait pas sa place. «Finalement, l’opposition a réussi à faire sortir le crucifix. Mais, en même temps, le gouvernement a été habile: on a sorti le crucifix, mais on l’a mis dans une vitrine à côté du Salon bleu. On l’a muséalisé. Et une fois muséalisé, il est inaliénable.»
Parmi les nombreuses présentations, Martin Drouin, professeur au Département d’études urbaines et touristiques, et le doctorant Marc-Olivier Vézina aborderont la question du patrimoine urbain en lien avec les changements climatiques. Yves Jubinville, professeur à l’École supérieur de théâtre, parlera des enjeux patrimoniaux dans le milieu théâtral. Rébéca Lemay-Perreault, doctorante en muséologie, médiation et patrimoine s’intéressera au désengagement des Québécois envers le patrimoine religieux, tandis que sa collègue Léa Le Calvé reviendra sur la controverse entourant les désormais défunts Espaces bleus (remplacés par le futur Musée national de l’histoire du Québec).
«Tout le monde avait compris que les Espaces bleus constituaient un projet politique, souligne Yves Bergeron. Mais un projet de musée, c’est toujours politique, car un musée, ça sert à construire l’identité.»