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Forêt boréale: identifier la pollution pour mieux la contrer

Une recherche-action vise à renforcer la gestion écoresponsable des déchets domestiques et industriels dans le Nord du Québec.

Par Claude Gauvreau

5 juin 2024 à 11 h 45

Mis à jour le 11 juin 2024 à 17 h 14

Les débats autour de l’avenir énergétique du Québec et de la construction de nouveaux barrages soulèvent des questions concernant les impacts de telles infrastructures sur l’environnement en territoire éloigné. C’est dans ce contexte que les finissantes à la maîtrise en sciences de l’environnement Maude Normandin Bellefeuille et Clara Vivin ont réalisé une recherche-action portant sur la gestion des déchets issus des activités industrielles, notamment d’Hydro-Québec, à Radisson, une localité nordique créée en 1974 pour la construction du barrage hydro-électrique La Grande.

«Supervisée par les professeurs du Département de géographie Laurie Guimond et Étienne Boucher, notre recherche met en perspective le lien entre le développement hydro-électrique à Radisson et la pollution de la forêt boréale due à une gestion défaillante des matières résiduelles, domestiques et industrielles, reliées aux activités sur le territoire, expliquent les étudiantes. Cela conduit à la dissémination d’un épais tapis de déchets dans la forêt boréale, qui entoure le dépotoir local.»

La recherche s’est déroulée de juillet à septembre 2022 sur le territoire autochtone Eeyou Istchee Baie-James, habité notamment par la nation crie de Chisasibi, qui vit à proximité du village allochtone de Radisson. Elle a été réalisée en partenariat avec l’Institut des sciences de l’environnement (ISE), la localité de Radisson et l’organisme Mitacs dans le cadre de son programme  Accélération.

Le projet est né en 2021 dans le cadre d’un cours sur le terrain, à Radisson, offert à des étudiantes et étudiants de maîtrise et de doctorat par l’Institut des sciences de l’environnement (ISE). «Ce cours, dit Clara Vivin , visait à nous immerger dans les réalités environnementales et sociales des régions nordiques du Québec. C’est ce qui nous a donné envie d’agir.» Le cours a donné l’occasion aux étudiantes de rencontrer Sylvain Paquin, un citoyen de Radisson engagé dans la protection de l’environnement. «Avec Sylvain, nous avons contacté l’administration locale de Radisson, préoccupée par l’éparpillement des déchets autour du dépotoir, puis nous avons développé notre projet de recherche avec l’appui de nos professeurs et grâce à un financement de Mitacs», poursuit Maude Normandin Bellefeuille.

«Une caractérisation des matières résiduelles présentes dans la forêt entourant le LEET a permis de fournir des données inédites quant à la pollution du territoire adjacent au dépotoir et d’identifier les défaillances majeures.»

Maude Normandin Bellefeuille,

Finissante à la maîtrise en sciences de l’environnement
Établir un diagnostic

La recherche visait à brosser un portrait des enjeux environnementaux, économiques et socioculturels liés à la dispersion et à la gestion des déchets au dépotoir de Radisson, aussi appelé lieu d’enfouissement en tranchée (LEET), et à évaluer les solutions potentielles pour améliorer la situation. Selon le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE), le Québec comptait, en 2021, 27 LEET régis par le Règlement sur l’enfouissement et l’incinération de matières résiduelles (REIMR).

«Notre rapport de recherche comprend d’abord un diagnostic du fonctionnement et des impacts de la gestion actuelle du LEET de Radisson, note Maude Normandin Bellefeuille. Une caractérisation des matières résiduelles présentes dans la forêt entourant le LEET a permis de fournir des données inédites quant à la pollution du territoire adjacent au dépotoir et d’identifier les défaillances majeures.»

Les chercheuses ont recueilli près de 35 000 litres de déchets sur une surface de 2 400 mètres carrés dans la forêt autour du LEET, la plupart composés de matériaux plastiques (sacs et emballages). Les principaux fournisseurs du dépotoir sont Hydro-Québec et la localité de Radisson, incluant le Centre d’hébergement des travailleurs et travailleuses d’Hydro-Québec, suivis par deux entreprises de construction, précise Clara Vivin. La majorité des déchets (75 %) étaient d’origine domestique, auxquels s’ajoutaient des matériaux de construction, tels que le bois, le fer et le styromousse.

Comment expliquer la dissémination de déchets dans la forêt? «La réglementation des LEET prévoit que les déchets soient compactés et ensablés afin d’éviter leur dispersion par le vent, mais elle n’est pas toujours appliquée», répond Clara Vivin. «L’absence de clôture entourant la fosse d’enfouissement jusqu’en 2022 constituait aussi un problème, poursuit Maude Normandin Bellefeuille. Des animaux – des ours, des loups, des oiseaux, par exemple –, allaient s’y nourrir et transportaient des déchets dans la forêt.»

À l’été 2022, une brigade verte a été mise sur pied pour nettoyer les alentours du dépotoir et ramasser une partie des déchets éparpillés dans la forêt. «Clara et moi faisions partie de la brigade, de même que des employés du dépotoir. Des amis à nous sont même venus donner un coup de main.»

«Nous avons pu observer la dégradation dans les sols de microplastiques, des végétaux dont les racines se développent dans du styromousse ou des bâches de plastique, sans parler des excréments d’animaux sauvages contenant des traces de plastique et d’autres matériaux.»

Clara Vivin,

Finissante à la maîtrise en sciences de l’environnement 
Des conséquences sur l’environnement

La présence des déchets dans la forêt boréale entraîne des conséquences environnementales sur la flore et la faune. «Nous avons pu observer la dégradation dans les sols de microplastiques, des végétaux dont les racines se développent dans du styromousse ou des bâches de plastique, sans parler des excréments d’animaux sauvages contenant des traces de plastique et d’autres matériaux, dit Clara Vivin. N’étant pas des biologistes, nous n’avons pas pu approfondir l’analyse des impacts environnementaux, une tâche importante qui mérite d’être accomplie.»

Par ailleurs, le dépotoir se trouve sur le territoire ancestral de trappe et de chasse d’une famille crie, la famille Cox. «Des membres de la communauté de Chisasibi nous ont raconté que le mauvais état de la forêt affectait, notamment, la qualité des champignons et de la viande qu’ils consomment», indique Maude Normandin Bellefeuille.

Pour compléter leur recherche, les étudiantes ont réalisé des entrevues avec des personnes représentant Hydro-Québec, les autorités locales de Radisson, trois entreprises de construction actives sur le territoire ainsi que des citoyennes et citoyens de la municipalité.

«L’objectif était de mieux comprendre les défis et besoins de ces différents acteurs en ce qui concerne la gestion des déchets et l’aménagement du dépotoir pour améliorer ses infrastructures, précise Maude Normandin Bellefeuille. Les échanges ont aussi porté sur une stratégie à plus long terme pour la localité et sur un plan de communication pour sensibiliser la population de Radisson.» Le projet a enfin été présenté aux membres du Conseil de bande de Chisasibi.

Pour une gestion écoresponsable des déchets

Pour optimiser la gestion des déchets, le rapport de recherche comprend plusieurs recommandations destinées aux acteurs clés dans le dossier. L’une d’alles concerne la mise en place éventuelle d’un écocentre évolutif à proximité de la localité de Radisson. L’écocentre permettrait de détourner certaines matières, comme le bois et le fer, de l’enfouissement et du dépôt à ciel ouvert. L’utilisation du LEET serait ainsi limitée aux déchets domestiques.

«Nous nous sommes inspirées des travaux de la Chaire de recherche en éco-conseil de l’UQAC et de communautés sur la Côte-Nord, qui se sont regroupées pour créer un écocentre, relèvent les deux jeunes chercheuses. Le terme évolutif renvoie à l’installation d’infrastructures légères améliorables au fur et à mesure pour collecter en priorité les matières dangereuses ainsi que le bois et le métal, puis à la mise en place de points de dépôt et de stockage de matières recyclables, en plus d’une structure de compostage.»

Le rapport propose également l’installation de clôtures autour du site d’enfouissement ainsi que des tranchées plus profondes et plus étroites pour diminuer la volatilité des matières résiduelles. Parmi les autres recommandations, on suggère la formation d’une brigade verte pour poursuivre sur une base régulière le nettoyage de la forêt, des incitatifs visant à réduire le recours aux plastiques, une planification budgétaire à moyen et long terme de la gestion du LEET et une stratégie de sensibilisation de la population.

Les étudiantes insistent enfin sur l’importance de vérifier la faisabilité et l’acceptabilité sociale d’une collaboration interculturelle entre la communauté allochtone de Radisson et la communauté eeyou de Chisasibi.

Disponible sur le site web de l’ISE, le rapport de recherche a été transmis à l’ensemble des acteurs concernés: la localité de Radisson, le gouvernement régional Eeyou Istchee Baie-James, Hydro-Québec et le ministère de l’Environnement et de la Lutte aux changements climatiques

Les deux finissantes disent avoir eu la piqûre pour la recherche en milieu nordique. Elles espèrent que leur étude aura permis de poser les jalons d’une démarche d’amélioration continue en matière de planification et de gestion des déchets. «Nous souhaitons que notre rapport de recherche serve de référence pour tous les acteurs clés, voire qu’il constitue un outil d’aide à la décision», concluent-elles.