Voir plus
Voir moins

Comprendre et relancer le Quartier latin

Des experts partagent leur vision sur l’avenir du quartier lors d’une conférence organisée par la Faculté des sciences humaines.

Par Claude Gauvreau

18 avril 2024 à 15 h 22

Mis à jour le 23 avril 2024 à 15 h 44

Près de 200 personnes ont assisté à la conférence «Comprendre et revitaliser le Quartier latin par l’approche territoriale, l’histoire et ses acteurs», tenue à l’UQAM et en webdiffusion le 16 avril dernier. Organisé par la Faculté des sciences humaines, l’événement a réuni la vice-rectrice associée à la Relance du Quartier latin Priscilla Ananian, en allocution d’ouverture, la professeure associée du Département d’histoire Joanne Burgess, le professeur du Département de géographie Juan-Luis Klein et Christian Yaccarini, fondateur et chef de la direction de la Société de développement Angus et lauréat de la Médaille de l’UQAM en 2023. Ces experts ont mis en lumière la richesse du Quartier latin et partagé leur vision quant à son avenir.

«Ce quartier, haut lieu de la culture francophone à Montréal, nous l’aimons, a déclaré le recteur Stéphane Pallage dans son mot de bienvenue. Nous ne pouvons pas être des spectateurs de son déclin. Nous voulons être des acteurs de sa relance.»

L’engagement de l’Université envers son quartier s’est traduit récemment par la création du poste de vice-rectrice associée à la Relance du Quartier latin, occupé par la professeure, architecte et urbaniste de formation Priscilla Ananian. Le recteur a souligné que l’UQAM possède les expertises pertinentes permettant de proposer des solutions innovantes pour relancer le quartier et il s’est réjoui que le développement du Quartier latin figure parmi les priorités de la Stratégie centre-ville 2030, dévoilée en janvier dernier par la Ville de Montréal. «Plusieurs initiatives prometteuses sont portées par l’UQAM, le Partenariat du Quartier des spectacles, la Société de développement commercial du Quartier latin et d’autres acteurs pour maintenir et renforcer la vitalité du secteur.»

La vice-rectrice associée Priscilla Ananian a ensuite prononcé l’allocution d’ouverture. Après avoir rappelé différentes initiatives mises en place par l’UQAM depuis plus de 10  ans – animation de la place Pasteur, rénovation du clocher Saint-Jacques, collaboration avec le Partenariat du Quartier des spectacles –, elle a exposé sa vision d’une université mieux intégrée dans son environnement. Pour elle, l’Université doit être connectée aux besoins des communautés locales et agir en moteur de la relance avec ses partenaires culturels et institutionnels, en privilégiant une approche centrée sur l’épanouissement humain, l’éducation tout au long de la vie et la qualité des milieux de vie.

La vice-rectrice associée a présenté sa vision d’avenir articulée autour du quartier apprenant. «À distance de marche du clocher Saint-Jacques de l’UQAM, lieu de repère majeur, on trouve le potentiel de consolider une alliance d’institutions du savoir et de la culture», a souligné la vice-rectrice. «Cette alliance permettra  de redynamiser un pôle économique autour du savoir, de l’industrie culturelle et du divertissement, de consolider un écosystème d’entrepreneuriat social et solidaire en accompagnant des personnes en situation de vulnérabilité, de renforcer un milieu d’accueil, d’intégration et de formation pour les populations, notamment celles de l’international, de façonner un milieu universitaire inclusif au cœur de la métropole en misant sur la mixité sociale, notamment par le logement étudiant, et de créer une destination touristique autour du Quartier latin», a-t-elle affirmé.

Un passé et une identité complexes

Dans sa présentation, l’historienne Joanne Burgess a raconté que l’expression «Quartier latin» serait apparue en 1895 dans Le Journal des Étudiants pour décrire un territoire occupé par le nouveau pavillon de l’Université Laval à Montréal, à l’angle des rues Saint-Denis et Sainte-Catherine. En 1915, une autre publication étudiante présente une cartographie du quartier, représenté par le quadrilatère s’étendant du Vieux-Montréal au sud jusqu’à la rue Cherrier au nord, et d’ouest en est du boulevard Saint-Laurent à la rue Amherst. On y note la présence, entre autres, du boulevard Saint-Laurent, à l’ouest, qui s’affiche déjà comme le corridor de l’immigration à Montréal, d’une zone, à l’est, dominée par les impératifs de l’industrie, puis d’une enclave bourgeoise francophone au cœur du territoire. «Cette bourgeoisie favorise l’implantation des grandes institutions éducatives, culturelles et intellectuelles, et contribue à faire de la rue Sainte-Catherine la grande artère commerciale du centre-ville», a expliqué Joanne Burgess.

La période de l’entre-deux-guerres est marquée par le renforcement du statut de centre-ville francophone du Quartier latin, le déploiement de la vie commerciale le long de la rue Sainte-Catherine, le divertissement dans le Red Light (théâtres, cinémas, cafés, cabarets) et l’expansion industrielle. «La population bourgeoise, toutefois, quitte progressivement les lieux», a observé la professeure. De l’après-guerre jusqu’à la fin des années 1970, le Quartier latin vit une autre étape caractérisée par la déstructuration, causée notamment par les grands projets d’infrastructures de transport et une importante saignée démographique dans ses secteurs anciens.

«À partir de la fin des années 1970, le Quartier latin amorce une renaissance qui passe d’abord par la construction du campus central de l’UQAM à l’angle des rues Saint-Denis et Sainte-Catherine, a souligné Joanne Burgess. Le personnel et la population étudiante de l’UQAM et d’autres institutions éducatives contribuent à la vivacité intellectuelle, sociale et culturelle du quartier.» La période s’étendant des années 1980 jusqu’au début du 21e siècle connaît toutefois son lot de difficultés, alors que les inégalités sociales se creusent et que la vie commerciale demeure fragile. «Tout au long du 20e siècle, le Quartier latin aura connu différentes phases de développement social, économique et culturel, avec des épisodes douloureux d’effritement et de déclin, mais aussi des initiatives ambitieuses visant tantôt sa modernisation, tantôt sa revitalisation», a conclu la professeure.

Pour des interventions intégrées

Christian Yaccarini a commencé son exposé en félicitant l’UQAM pour avoir créé un poste de vice-rectrice associée, dédié au développement d’un territoire comme le Quartier latin. Il a aussi rendu hommage à Georges Coulombe, présent dans la salle, président du groupe immobilier Gestion Georges Coulombe, qui œuvre à la conservation et à la préservation du patrimoine bâti. «C’est lui qui est derrière les projet de restauration de l’édifice où se trouve l’École supérieure de mode de l’UQAM, rue Sainte-Catherine, et de rénovation du Théâtre Saint-Denis.»

Sous le leadership de Christian Yaccarini, la Société de développement Angus (SDA) a contribué au fil des ans à dynamiser différents secteurs de Montréal. Dans le Quartier latin, elle a été le maître d’œuvre du 2-22 et du Carré Saint-Laurent, deux projets d’envergure ayant redéfini l’intersection de la rue Sainte-Catherine et du boulevard Saint-Laurent et l’accès à l’est du Quartier des spectacles. Selon l’entrepreneur, le gage du succès de la relance du Quartier latin tient à une approche fondée sur des interventions multiples et intégrées de la part des grandes institutions et des organismes sociocommunautaires présents sur le territoire. «Trop souvent, on pense au développement immobilier traditionnel quand il s’agit de revitaliser un quartier, alors que ce développement répond à des opportunités de marché plutôt qu’aux besoins des résidents et occupants du territoire.»

L’entrepreneur a rappelé que la rue Saint-Denis dans les années 1970 et 1980, qu’il fréquentait alors comme étudiant, était l’un des secteurs les plus fréquentés par la jeunesse en raison de ses cafés, de ses librairies, de ses bars et de ses cinémas. Qu’est-il arrivé depuis? «Au lieu de préserver l’authenticité de cette artère, des propriétaires se sont mis à louer leurs immeubles à n’importe quel type d’entreprise commerciale. Pour assurer une relance, il faut s’appuyer sur une offre commerciale de qualité susceptible d’attirer une clientèle diversifiée et sur l’acquisition d’immeubles pour les extraire du marché traditionnel.»

Une approche territoriale

Ancien directeur du Centre de recherches sur les innovations sociales (CRISES) et coprésident de l’organisme Territoires innovants en économie sociale et solidaire (TIESS), le professeur Juan-Luis Klein a conclu la conférence avec un plaidoyer en faveur d’une approche territoriale pour faire du Quartier latin un «laboratoire du bien vivre». «S’inspirant des travaux de l’économiste français Michel Aglietta, cette approche cible le bien commun en donnant préséance à la valeur d’usage sur la valeur d’échange et en favorisant la démocratie participative et la justice sociale», a expliqué le chercheur.

Selon Juan-Luis Klein, le Quartier latin offre l’occasion d’expérimenter un modèle de développement urbain axé sur la reconnaissance d’un milieu de vie. «Ce milieu de vie doit être pluriel avec ses institutions, ses commerces, ses résidents, ses étudiantes et étudiants, ses décideurs et ses populations marginalisées. Tous ces usagers ont droit au territoire.» Le professeur a aussi insisté sur la nécessité de se doter d’un modèle de gouvernance dit du commun, fondé sur les différents usages du territoire, notamment la préservation de son patrimoine culturel. La notion de commun renvoie à un mode d’organisation sociale misant sur la production, le partage et la gestion collective de biens, de ressources et de services.

Juan Luis-Klein a enfin proposé l’adoption d’une approche intégrée et intégrale du territoire du Quartier latin. «Cela signifie favoriser les services de proximité, valoriser les spécificités du territoire, culturelles notamment, la durabilité ainsi que les initiatives locales pouvant avoir un effet global. De cette façon, nous pourrons fabriquer un véritable milieu de vie dans le respect des usagers du territoire.»

Une période de questions réunissant les quatre intervenantes et intervenants a suivi les présentations. La conférence s’est déroulée en présence de plusieurs dignitaires mobilisés dans la relance du Quartier latin, dont Éric Labelle, directeur du Service de développement économique de la Ville de Montréal, Éric Lefebvre (B.A. communication, 2003), directeur général du Partenariat du Quartier des spectacles, Rachel Van Velzen, directrice générale de la Société de développement commercial du Quartier latin, Marie Grégoire, présidente-directrice générale de Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ), Philippe Lafrance, directeur principal de Montréal International, Mylène Boisclair, directrice générale du Cégep du Vieux Montréal, Denis Boucher, président du Conseil du patrimoine de Montréal, et Sophie Mayes, directrice générale de la Société québécoise des infrastructures.

Il est possible de voir ou de revoir la conférence en webdiffusion.