Le sauvetage spectaculaire de 12 garçons et de leur entraîneur piégés dans une grotte du nord de la Thaïlande a captivé le monde entier en 2018. En raison des pluies diluviennes qui s’étaient abattues sur la région, le groupe avait passé plus de 15 jours sous terre avant d’être secouru. Trois ans plus tard, National Geographic en tirait un documentaire saisissant, La Grotte, que l’on peut voir sur la plateforme Disney+.
«On tend à l’oublier, mais ce sont des amateurs de plongée lambda, par ailleurs experts de la plongée dans les grottes, qui sont parvenus à sauver ces garçons et leur entraîneur», rappelle la professeure du Département de stratégie, responsabilité sociale et environnementale de l’ESG UQAM Amélie Cloutier.
«Ces plongeurs “amateurs” faisaient partie d’une sous-culture internationale et ils étaient hautement respectés dans leur domaine, poursuit la professeure, mais dans un contexte de sauvetage très médiatisé, avec l’implication des US Special Forces et des Royal Thai Navy SEALs, ils étaient des marginaux.»
Amélie Cloutier s’est intéressée de plus près aux profils de ces leaders non conventionnels et à leur intégration dans l’équipe de sauvetage. Elle a récemment publié dans le Journal of Management Inquiry un article sur le sujet, cosigné par son collègue de l’École nationale d’administration publique Andrew Webb.
Portrait de ces leaders non conventionnels
Embauchée à l’ESG UQAM en 2020, Amélie Cloutier (B.A.A. gestion du tourisme et de l’hôtellerie, 2003) mène des recherches sur la collaboration en innovation, notamment au sein des PME. «J’observe un intérêt croissant dans le monde de la recherche pour les études de cas à partir de données secondaires issues de documentaires, de séries télé et du cinéma, même si celles-ci sont encore marginales dans le champ du management», souligne-t-elle.
C’est justement ce que la chercheuse et son collègue de l’ENAP proposent dans leur étude. «Nous avons analysé en détails le documentaire de National Geographic – un étudiant en a fait un verbatim complet – en plus de consulter des entrevues données aux médias à l’époque par des membres de l’équipe de sauvetage», précise-t-elle.
Les deux chercheurs se sont concentrés sur Rick Stanton (Angleterre), John Volanthen (Angleterre), Jason Mallinson (Angleterre) et Richard Harris (Australie). «Ce sont les protagonistes principaux qui ont activé leur réseau et partagé leur expertise», raconte-t-elle.
«On tend à l’oublier, mais ce sont des amateurs de plongée lambda, par ailleurs experts de la plongée dans les grottes, qui sont parvenus à sauver ces garçons et leur entraîneur.»
Amélie Cloutier
Professeure au Département de stratégie, responsabilité sociale et environnementale
Amélie Cloutier et Andrew Webb ont constaté que ces quatre individus ont été ostracisés sur les lieux même du drame, qui a mobilisé plus de 2000 soldats, 200 plongeurs et des représentants de plus de 100 agences gouvernementales à travers le monde. Dans le documentaire, on assiste aux difficultés des plongeurs à faire valoir leur point de vue auprès de l’armée et du gouvernement thaïlandais, qui menait les opérations. «Il était difficile pour ces plongeurs indépendants de se faire entendre à travers la chaîne de commande traditionnelle», observe Amélie Cloutier.
Pourtant, ce sont eux qui avaient l’expertise et l’équipement requis pour plonger dans ces grottes et atteindre le groupe de jeunes. Ce sont eux également qui ont trouvé une solution pour le sauvetage, soit de convaincre le médecin australien Richard Harris, un plongeur amateur lui aussi, de les rejoindre afin d’administrer un tranquillisant aux garçons. Endormis, il était plus facile de les équiper de bonbonnes pour les ramener sous l’eau jusqu’à la terre ferme.
Le documentaire brosse brièvement le portrait de la demi-douzaine de plongeurs: ce sont tous des hommes qui, enfants, étaient solitaires et peu doués pour les sports d’équipe. Plusieurs avaient été victimes d’intimidation. Ils ont développé la passion de la plongée dans les grottes pour différentes raisons, mais leur dénominateur commun est le plaisir de faire les choses à leur manière, dans une totale maîtrise de leur esprit (car paniquer est synonyme de mort dans ces profondeurs sous-marines).
L’effet Rudolphe
Andrew Webb et Amélie Cloutier ont élaboré un concept pour résumer ce cas bien concret de leadership non conventionnel: l’effet Rudolphe. «On se rappelle tous du renne au nez rouge, mis à l’écart, qui sauve la tournée du père Noël grâce à son nez lumineux, explique Amélie Cloutier. Ce fut la même chose en Thaïlande avec ces plongeurs “amateurs”.»
Ces marginaux présentent une vision du leadership qui contraste avec la vision traditionnelle, observe la professeure. «Le leadership peut émerger de manière inattendue et des compétences atypiques, si elles sont valorisées et encouragées, peuvent conduire à des solutions innovatrices.»
La citation incluse dans le titre de l’article publié dans le Journal of Management Inquiry – «It Had to Be Us» – reflète bien le mantra des plongeurs pendant toute la durée de l’opération: personne d’autre qu’eux n’aurait pu sauver les garçons et leur entraîneur.
Transfert en gestion
Un billet de blogue présentant les résultats de leur étude accumule les visionnements depuis sa mise en ligne à la mi-août. «L’application de l’effet Rudolphe en gestion est intéressante, observe Amélie Cloutier. Il faut que les gestionnaires soient capables d’évaluer leurs options en cas de situation de crise, qu’ils soient ouverts à des solutions innovantes, limite champ gauche. Ils doivent être en mesure de laisser certains employés avoir l’occasion de démontrer leurs capacités uniques.»
Ces leaders non conventionnels, ajoute Amélie Cloutier, présentent la plupart du temps la combinaison suivante: «une compétence particulière, une volonté d’aider ou de régler un problème, et un réseau social auquel ils n’hésitent pas à recourir pour accélérer la sortie de crise», conclut-elle.