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Allier lobbyisme et causes sociales

Des étudiantes et étudiants mettent leurs connaissances au service d’organisations de la société civile.

Par Claude Gauvreau

5 mars 2024 à 11 h 03

L’automne dernier, une expérience inédite a été menée dans le cours «Affaires publiques, relations gouvernementales et lobbying», dispensé par la professeure du Département de communication sociale et publique Stéphanie Yates et destiné aux finissantes et finissants du baccalauréat en communication, profil relations publiques. Ces derniers devaient se regrouper en équipes, identifier un organisme sans but lucratif et lui soumettre une stratégie de lobbyisme afin de représenter ses intérêts auprès d’instances décisionnelles.

«Cette approche faisait partie d’un projet pilote, dit Stéphanie Yates. L’idée était de permettre aux étudiantes et étudiants de travailler sur un cas réel, de mettre leur intelligence, leur imagination et le savoir acquis durant le cours au service d’une organisation de la société civile, pour faire avancer une cause qui leur tenait à cœur.»

Lors d’une première rencontre, les membres de chaque équipe devaient discuter avec des représentants de l’organisme qu’ils avaient choisi des enjeux sur la table et des objectifs poursuivis. Puis, les étudiants repartaient de leur côté élaborer une stratégie. Cette stratégie devait cibler les acteurs ou actrices politiques auprès desquels intervenir, définir des messages clés à diffuser dans l’espace public et identifier des alliés potentiels à mobiliser. «Les équipes étudiantes devaient, enfin, présenter aux organismes partenaires la stratégie qu’ils avent concoctée, note la professeure. Dans tous les cas, les organismes les ont accueillies à bras ouverts.»

L’objectif principal de ce cours obligatoire était de familiariser les étudiantes et étudiants avec les notions d’affaires publiques, de représentation d’intérêts et de lobbyisme, tout en leur fournissant des outils pour comprendre les différentes étapes liées au processus d’adoption des lois et identifier les moments clés où peuvent intervenir des démarches d’influence.

«Les actions de lobbyisme peuvent provenir d’entreprises ou de groupes industriels, mais aussi d’organisations de la société civile et de groupes de citoyennes et citoyens.»

Stéphanie Yates, 

Professeure au Département de communication sociale et publique

«Le cours proposait une vision large du lobbyisme, qui  consiste à influencer les actions, les politiques ou les décisions de titulaires de charges publiques, comme les personnes élues à différents paliers de gouvernement, des membres de leur personnel politique ou des hauts fonctionnaires, explique Stéphanie Yates. Les actions de lobbyisme peuvent provenir d’entreprises ou de groupes industriels, mais aussi d’organisations de la société civile et de groupes de citoyennes et citoyens.»


Un sentiment de méfiance

Bien que le lobbyisme soit encadré au Canada, tant à l’échelle fédérale que dans la plupart des provinces, y compris le Québec, il existe au sein de la population un sentiment de méfiance envers ceux et celles qui le pratiquent. «La méfiance s’explique par les épisodes de corruption que le Québec a connus au cours de 20 dernières années, mais aussi par les rapports de pouvoir inégaux au sein de la société, observe la professeure. Sur le plan socio-économique, certains groupes d’intérêt sont plus puissants que d’autres. Une compagnie pétrolière, par exemple, dispose de ressources plus importantes, financières notamment, et a plus facilement accès aux décideurs et décideuses pour faire valoir ses intérêts qu’un groupe écologiste. On confond aussi le lobbyisme et le trafic d’influence, qui renvoie à des démarches illégales pour obtenir des faveurs de la part de titulaires de charges publiques.»

Le Québec a adopté, en 2002, une loi sur la transparence et l’éthique en matière de lobbysme, qui reconnaît cette activité comme étant légitime dans une société démocratique. Il s’est aussi doté d’un registre public des lobbyistes, qui oblige les personnes entrant en contact avec des institutions gouvernementales ou parlementaires à se déclarer comme lobbyistes et à fournir des renseignements sur leurs mandats et activités. Accessible à tous, ce registre vise à rendre les activités plus transparentes, note Stéphanie Yates. «Les élus ne peuvent pas gouverner en vase clos. Ils doivent connaître les différents groupes d’intérêt en présence et le lobbyisme est un mécanisme permettant à ces groupes de se manifester auprès des décideurs.»

La loi distingue trois types de lobbyistes: les lobbyistes d’entreprises, les lobbyistes-conseils qui, à l’instar des avocats, ont des clients et sont rémunérés en fonction d’un mandat particulier et les lobbyistes d’organisations, une catégorie plus floue qui comprend des représentants de divers types d’associations. «Les organismes sans but lucratif, les groupes communautaires et autres organisations de la société civile mobilisés autour de divers types d’enjeux sociaux, qui cherchent à influencer les décideurs publics, ne sont pas tenus, toutefois, de s’inscrire au registre», précise la professeure.

Le cours de Stéphanie Yates visait aussi à distinguer le lobbysme direct et indirect. Le premier consiste à cogner à la porte d’un titulaire de charge publique, un député ou un ministre, par exemple. Le second utilise les médias, notamment, pour faire pression sur les décideurs et pour rendre visibles dans l’espace public un enjeu, une cause ou des revendications.

«Les élus ne peuvent pas gouverner en vase clos. Ils doivent connaître les différents groupes d’intérêt en présence et le lobbyisme est un mécanisme permettant à ces groupes de se manifester auprès des décideurs.»


Des cas concrets de collaboration

Dans le cadre du cours, deux équipes étudiantes se sont démarquées. La première a collaboré avec le Réseau québécois d’action pour la santé des femmes (RQASF) autour de la campagne «Le fil rouge », visant la fin de la précarité menstruelle, tandis que la seconde équipe a travaillé avec le Comité d’action des citoyennes et citoyens de Verdun afin de le soutenir dans sa démarche pour faire cesser les rénovictions dans l’arrondissement. «Ces équipes se sont distinguées par le sérieux de leur travail et leur créativité», indique Stéphanie Yates.

Créé il y a plus de 20 ans, le RQASF chapeaute quelque 130 membres individuels, groupes communautaires, regroupements de centres de femmes et syndicats représentant près de 300 000 femmes. Depuis 2021, le Réseau mène une campagne de sensibilisation pour un accès gratuit et sécuritaire aux «produits menstruels»: serviettes, protège-dessous, tampons, coupes menstruelles et autres articles réutilisables.

«La stratégie de représentation d’intérêts que nous avons élaborée et soumise au RQASF visait d’abord à contrer, par divers moyens d’action, les différents tabous, préjugés et stéréotypes associés aux menstruations, puis à promouvoir l’accès gratuit et sécuritaire aux produits menstruels dans l’ensemble des établissements scolaires du Québec, du primaire à l’université, explique l’étudiante Jade Michaud. La stratégie consistait aussi à faire pression sur le gouvernement du Québec, en particulier sur la ministre responsable de la Condition féminine Martine Biron.»

En octobre 2020, le Comité d’action des citoyennes et citoyens de Verdun a déposé un mémoire destiné aux élus de l’arrondissement, recommandant d’interdire la fusion de logements dans des immeubles résidentiels, peu importe leur taille, et ce, afin d’empêcher l’éviction de locataires. Depuis, un règlement de l’arrondissement a été adopté prévoyant l’interdiction de fusions uniquement pour les immeubles de plus de six logements.

«Notre stratégie était basée sur une campagne d’information comportant une série de messages clés à partir d’histoires vécues par des locataires, illustre l’étudiante Alex-Ann Lévesque. Nous avons aussi pensé à la création d’alliances stratégiques entre le Comité d’action et d’autres organismes actifs sur le front du logement. Nous proposions enfin d’intervenir auprès d’acteurs et actrices importants dans le dossier, tels que la mairesse de Verdun, la directrice intérimaire de l’arrondissement et la députée de Québec solidaire dans le comté.»

Deux autres équipes ont collaboré avec le Nouveau parti démocratique (NPD) pour la mise en place d’un programme d’alimentation scolaire dans les écoles et avec le Réseau plein air du Québec dans le cadre d’un projet visant à sensibiliser les usagers sur l’importance de préserver les sites naturels.


Une nouvelle perception du lobbyisme

À la fin de la session, les étudiantes et étudiants devaient expliquer en quoi leur perception initiale du lobbyisme avait évolué sous l’éclairage du cours. «Au début du trimestre, j’avais une vague compréhension du lobbyisme, raconte Jade Michaud. Le cours m’a permis de prendre conscience des différentes formes que peut prendre le lobbyisme et de sa nécessité pour que certaines voix soient entendues.»

Pour sa collègue Alex-Ann Lévesque, il était particulièrement enrichissant de collaborer avec un organisme partenaire. «Au départ, le concept de lobbyisme m’était inconnu, mais le cours m’a aidé à saisir les défis auxquels sont confrontés des groupes de citoyens et citoyennes, qui doivent prendre le bâton du pèlerin pour convaincre les décideurs politiques et la population de la pertinence de leur cause.»

À compter de l’automne 2024, le cours s’intitulera désormais «Affaires publiques, influence et représentation d’intérêts». Le programme dans le cadre duquel il sera offert prendra le nom de «Baccalauréat en communication stratégique et relations publiques».