Le mois dernier, le Conseil du patronat, en collaboration avec le ministère de l’Emploi, a lancé un projet visant à favoriser l’embauche et le maintien en emploi des personnes de 60 ans et plus. En cette période de pénurie de main-d’œuvre, on peut de moins en moins se passer de cette force de travail. Pourtant, les milieux de travail sont loin d’être toujours accueillants pour les travailleuses et travailleurs qui ont passé un certain âge, constate la doctorante en psychologie Amélie Doucet. Cette dernière a consacré sa thèse au sujet de l’âgisme et de ses effets sur le bien-être des employés de 50 ans et plus.
«Il existe beaucoup de stéréotypes liés à l’âge en milieu de travail», note la doctorante. Baisse de productivité, incapacité de s’adapter au changement ou d’apprendre de nouvelles choses, perte de motivation… «Cela varie beaucoup selon les milieux et la culture d’entreprise», ajoute Amélie Doucet.
«Dans le domaine des technologies de l’information, des travailleurs peuvent être perçus comme étant âgés avant même d’avoir atteint 40 ans!»
La perception de ce qu’est un travailleur âgé est aussi très variable. «Dans le domaine des technologies de l’information, des travailleurs peuvent être perçus comme étant âgés avant même d’avoir atteint 40 ans!»
Suivant cette idée que l’âge au travail est perçu différemment selon le type de poste et selon la perception de chaque personne, la chercheuse a créé un outil qui mesure l’âge organisationnel, soit la perception qu’a chaque personne de son vieillissement au travail. «Le concept d’âge organisationnel existait déjà, mais il était peu développé», précise la doctorante.
L’outil amène la personne à se questionner sur différents aspects du vieillissement au travail. Se sent-elle âgée pour son poste? A-t-elle l’impression que ses compétences deviennent obsolètes? Se sent-elle au faîte de sa carrière ou plus près de sa retraite? Et quelles sont les normes dans son domaine qui font qu’une personne aura tendance à se sentir plus ou moins âgée pour son poste? L’outil vise à identifier les personnes qui intègrent les stéréotypes liés à l’âge et ainsi à lutter contre les conséquences négatives de l’âgisme.
Est-ce qu’il y a des domaines où l’âge est valorisé? La chercheuse n’a pas fait d’observations en ce sens. «Dans certains milieux, comme la politique, l’âge est souvent perçu comme un gage de sagesse et d’expérience, dit-elle. On peut donc imaginer que dans certains domaines, cela devient un avantage parce que ce sont les stéréotypes positifs qui sont mis de l’avant.»
Car il n’y a pas que des stéréotypes négatifs associés au vieillissement. Il y a aussi des stéréotypes positifs comme la sagesse ou la bienveillance. Or, ce ne sont pas toutes les personnes âgées qui sont sages et bienveillantes! «Nous sommes des individus uniques, souligne la chercheuse, et on ne change pas tant que ça avec le temps qui passe.»
Une thèse, un bébé, des balados…
Après six ans au doctorat, Amélie Doucet s’apprête à déposer sa thèse (et à donner naissance à un premier bébé!). Tout en mettant la dernière main à son troisième article (elle a fait une thèse par articles, dont le premier, qui porte sur l’outil qu’elle a contribué à mettre au point pour mesurer l’âge organisationnel, a été publié dans la Revue canadienne de développement de carrière), elle vient de commencer un contrat en tant qu’analyste chercheuse dans le domaine des ressources humaines pour l’Agence des services frontaliers du Canada. Ce n’est pas sa première expérience sur le terrain. En plus de son stage, qu’elle a fait au CHUM en psychologie du travail, elle a travaillé comme professionnelle de recherche à l’Université de Sherbrooke pendant un an.
Parallèlement à ses études, la chercheuse a aussi collaboré avec l’Association québécoise de défense des droits des personnes retraitées et préretraitées (AQDR) à un projet de recherche sur la motivation des personnes de 65 ans et plus à rester ou à retourner sur le marché du travail. «Certaines personnes avaient besoin de socialiser, d’autres avaient encore envie de contribuer à la société, d’utiliser leurs savoirs acquis ou de les partager», témoigne Amélie Doucet. Une série de quatre balados produite dans le cadre de la campagne La compétence n’a pas d’âge fait partie des retombées de ce projet. La chercheuse, qui a suivi une formation en communication à la Téluq, prend plaisir à ces exercices de communication. La vulgarisation scientifique est une autre corde à son arc.
Un domaine ni très exploré… ni très valorisé
C’est lors de son bac, alors qu’elle assistait à une conférence sur l’âgisme en milieu de travail, qu’Amélie Doucet a décidé d’en faire son sujet de thèse. «Ce n’est pas un domaine très exploré… ni très valorisé», commente la jeune chercheuse au sourire communicatif. La discrimination sur la base de l’âge passe souvent sous le tapis, contrairement aux enjeux d’équité en emploi liés au genre, à l’origine ethnique ou à l’orientation sexuelle, qui font l’objet de beaucoup plus d’études, note la chercheuse: «C’est comme si on se disait que tout le monde va vieillir, que tout le monde va passer par là, et que tout le monde a eu le privilège d’être jeune!»
L’étudiante a toutefois saisi l’occasion qui se présentait. «À l’époque, on commençait à parler de pénurie de main-d’œuvre et du problème de société que cela représentait. L’âgisme en emploi était un sujet d’actualité peu abordé. Je me suis dit que ce serait un enjeu pour le futur.»
Encadrée par la professeure du Département de psychologie Sophie Meunier, directrice de l’Espace T, Laboratoire de recherche en santé psychologique au travail, Amélie Doucet a commencé à explorer son sujet. Elle a eu la chance de trouver une codirectrice spécialiste de l’âgisme, la professeure de communication à l’Université d’Ottawa Martine Lagacé, qui est devenue une mentore.
«On les associe constamment à des stéréotypes de fragilité, de vulnérabilité et de dépendance. Or, même une attitude de bienveillance envers les aînés peut contribuer à l’âgisme.»
Avec cette dernière et d’autres collaboratrices de l’Université d’Ottawa, la doctorante a publié dans La Conversation un article soutenant que la pandémie de Covid-19 a aggravé l’âgisme dans notre société. À partir de l’analyse de 85 commentaires et opinions parus dans La Presse et Le Devoir pendant la première vague de la pandémie, les chercheuses montrent que le discours médiatique a tendance à traiter les aînés comme un groupe homogène (comme si tous et toutes résidaient en CHSLD). Leur contribution à la société est rarement mise de l’avant et leur voix rarement entendue. «On les associe constamment à des stéréotypes de fragilité, de vulnérabilité et de dépendance, soulève la doctorante. Or, même une attitude de bienveillance envers les aînés peut contribuer à l’âgisme.»
La chercheuse a cosigné un rapport sur un sujet connexe pour Emploi et Développement social Canada. Dans A case study on ageism during the COVID-19 pandemic, l’analyse porte, plus largement, sur le discours des médias, des politiciens, des universitaires et des aînés eux-mêmes. Encore une fois, on remarque une tendance à décrire le vieillissement essentiellement comme un processus de perte et à associer les aînés à des victimes. «Ce ne sont pas toutes les personnes âgées qui tombent dans cette catégorie», insiste la chercheuse, qui dénonce ce discours réducteur. «L’âgisme bienveillant peut avoir un impact négatif sans le vouloir.»
Selon Amélie Doucet, il est nécessaire de sensibiliser les milieux de travail sur la question de la discrimination liée à l’âge. «Il faut mettre ses biais de côté et embaucher la personne pour ce qu’elle est, dit-elle. Si des gens sont motivés à travailler, pourquoi se priver de cette richesse?»