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4 M$ pour un nouveau réseau de recherche en économie sociale

Ce réseau financé par le FRQSC vise à soutenir le rôle de premier plan du Québec en ce domaine.

Par Claude Gauvreau

11 mars 2024 à 15 h 37

Mis à jour le 12 mars 2024 à 19 h 18

Le Fonds de recherche du Québec – Société et culture (FRQSC) accorde quatre millions de dollars, sur une période de cinq ans, pour développer le Réseau de recherche en économie sociale et solidaire. Cette nouvelle infrastructure de recherche vise à permettre au Québec de jouer un rôle de premier plan dans ce domaine, tant en Amérique du Nord qu’à l’échelle internationale. Le Réseau est dirigé par quatre chercheuses et chercheurs, dont la professeure du Département d’organisation et ressources humaines de l’ESG UQAM Valérie Michaud (M.A. communication, 2003; Ph.D. administration, 2012). Les autres responsables sont les professeurs Claude André Guillotte (Université de Sherbrooke) et Luc Audebrand (Université Laval) ainsi que la professeure Marie-Laure Dioh (Université du Québec en Outaouais).

L’économie sociale et solidaire au Québec est définie par le FRQSC comme l’ensemble des activités économiques liées à la production, à la vente ou à l’échange de biens ou de services par des entreprises ou des organismes d’action communautaire – coopératives, mutuelles, associations diverses –, dont la mission est sociale, c’est-à-dire centrée sur les services aux membres ou à la collectivité. «Le Réseau couvrira ainsi à la fois l’économie sociale et l’action communautaire, souligne Valérie Michaud. Il s’intéressera aux entreprises collectives non capitalistes, qui ne sont pas axées sur la recherche d’un profit, mais aussi aux organisations à but non lucratif (OBNL) et non étatiques, qui défendent des droits économiques et sociaux.»

Au cours des dernières décennies, un véritable écosystème de recherche s’est développé au Québec autour de l’économie sociale et solidaire, comprenant plusieurs groupes et centres universitaires, en interaction avec les milieux de pratique. Valérie Michaud a d’ailleurs fait sa thèse sous la direction de la professeure associée du Département d’organisation et ressources humaines Marie J. Bouchard, une spécialiste reconnue internationalement dans le domaine, à l’époque titulaire de la Chaire de recherche du Canada en économie sociale.

«Le Réseau vise à devenir  un catalyseur de la recherche en économie sociale et solidaire et à  fédérer les expertises», observe la professeure. Sa mission consiste, notamment, à mettre à jour une cartographie de la recherche, au Québec comme à l’international, à documenter les meilleures pratiques, à mettre en place des activités de veille, à arrimer les recherches aux besoins de connaissances des actrices et acteurs du milieu, et à proposer des indicateurs permettant de mesurer les impacts de leurs activités.

La programmation scientifique du Réseau est articulée autour de quatre grands axes de recherche. Valérie Michaud est responsable de l’axe «Engagement, travail et care en économie sociale et solidaire». Les autres axes s’intitulent «Environnement juridique, institutionnel et gouvernance de l’économie sociale et solidaire», «Modèles d’organisation et d’action soutenables» et «Ancrages, développement et retombées de l’économie sociale et solidaire dans les territoires».

Des contributions importantes

Au Québec, l’économie sociale et solidaire possède une longue et riche histoire. Dès le milieu du 19e siècle, on voit apparaître des mutuelles et des coopératives dans la foresterie, les pêcheries ou l’agriculture. Mais c’est à partir des années 1960 que ce tiers secteur prend de l’ampleur en milieu urbain comme en milieu rural. Plusieurs types d’organisations se forment alors dans divers domaines: centres communautaires, cliniques juridiques, services de garde locaux, groupes d’économie familiale. Dans les années 1970 et 1980, des liens se forgent et se consolident entre différents types d’organismes communautaires et d’entreprises d”économie sociale.

La contribution de l’économie sociale et de l’action communautaire au développement socio-économique du Québec a été particulièrement importante, notamment depuis les décennies 1980 et 1990, rappelle Valérie Michaud. «Le déploiement du réseau des Centres de la petite enfance (CPE) et des entreprises d’économie sociale en aide domestique, par exemple, a constitué des leviers de développement et des outils d’émancipation, notamment pour les femmes. Pensons aussi au rôle des OBNL d’habitation et des coopératives de santé, qui contribuent à assurer une qualité de vie à la population, ou encore aux entreprises d’insertion sociale dans les secteurs du bois, de la métallurgie et de l’imprimerie. Le tissu social bénéficie enfin de la présence d’une panoplie d’organismes d’action communautaire, comme ceux représentant des personnes subissant des inégalités ou vivant des injustices, ou fournissant des services d’aide alimentaire et en santé mentale.»

Il faut attendre la fin des années 1990 avant que la classe politique ne s’intéresse à l’économie sociale et solidaire. Graduellement, les gouvernements décident d’encadrer ses pratiques et d’investir dans son développement de manière plus soutenue: Sommet sur l’économie et l’emploi en 1996, Politique de développement des coopératives en 2003, Plan d’action gouvernemental pour l’entrepreneuriat collectif en 2008, adoption de la Loi sur l’économie sociale en 2013, puis divers plans d’action en économie sociale et en action communautaire.. «Certes, les avancées sont importantes, mais il ne faut rien prendre pour acquis, estime la professeure. Le Réseau de recherche vise justement à mieux faire connaître et reconnaître la place et le rôle de l’économie sociale et solidaire.»

Plusieurs défis

Aujourd’hui, l’économie sociale et solidaire au Québec représente plus de 18 600 organisations dans une trentaine de secteurs d’activités (éducation et formation, services de garde, habitation, santé, loisirs et tourisme, culture et médias, etc.), employant près de 440 000 personnes, majoritairement des femmes, dans toutes les régions du Québec.

Bien que florissante, l’économie sociale et solidaire est confrontée à plusieurs défis. «Comme dans d’autres secteurs économiques, la pénurie de main-d’œuvre constitue un enjeu important, relève Valérie Michaud. Les organisations rencontrent des difficultés de recrutement et de rétention en raison, notamment, d’une rémunération non concurrentielle avec les secteurs public et privé. Elles ont aussi besoin d’un financement pérenne, basé sur leur mission plutôt que sur des projets particuliers dont la durée est limitée.»

Le care, une notion centrale

Dans l’axe de recherche dont la professeure est responsable, la notion de care occupe une place centrale. Valérie Michaud vise à documenter les pratiques permettant d’attirer, de retenir, de reconnaître et de valoriser les personnes qui évoluent dans les entreprises et organisations d’économie sociale et solidaire. L’enquête «Repères», menée en 2023 par le Comité sectoriel de main d’œuvre en économie sociale et action communautaire (CSMO-ÉSAC),  a révélé que 74 % des organisations rencontrent des difficultés de recrutement. Le taux de roulement moyen dans le domaine est de 31 % et le taux de postes vacants de 21 %, lesquels dépassent ceux de l’ensemble des employeurs québécois.

«L’ADN de ces organisations est de prendre soin de communautés particulières, indique la chercheuse. Je veux renverser le regard et examiner comment on prend soin de celles et ceux, salariés et bénévoles, qui tiennent à bout de bras ces organisations dont les ressources sont limitées, dans un contexte où les besoins des populations auxquels ils doivent répondre sont en croissance.»

Valérie Michaud se penchera sur les conditions de travail de ces personnes et les moyens de les améliorer. «On doit s’interroger sur les facteurs favorisant la création de milieux de travail sains, où les personnes salariées et bénévoles en économie sociale et en action communautaire peuvent s’épanouir et acquérir toujours plus d’autonomie.»

Un autre enjeu concerne les modèles de gestion et de gouvernance, lesquels doivent assurer l’essor des entreprises et des organisations, sans les détourner de leur mission sociale. «Le défi, dit la professeure, consiste à faire converger des orientations parfois paradoxales, mais conciliables, comme la viabilité économique et la mission sociale. Les tiraillements qui en découlent sont au cœur des prises de décision. Il faut être ambidextre, développer des outils de gestion adaptés pour l’économie sociale et solidaire, qui assurent à la fois l’efficacité et le fonctionnement démocratique.»

Un réseau en construction

Le Réseau de recherche en économie sociale et solidaire compte sur l’appui du Chantier de l’économie sociale, du Comité sectoriel de main-d’œuvre de l’économie sociale et de l’action communautaire (CSMO-ÉSAC), du Conseil québécois de la coopération et de la mutualité (CQCM) ainsi que de Territoires innovants en économie sociale et solidaire (TIESS). Il a aussi bénéficié du soutien du Centre de recherche sur les innovations sociales (CRISES). Il rassemble une trentaine de chercheuses et chercheurs issus de 9 établissements universitaires et de 3 établissements collégiaux, en plus de 18 cochercheuses et cochercheurs provenant de 15 milieux de pratique ainsi que plusieurs personnes collaboratrices. Parmi les chercheuses universitaires, 10 sont de l’UQAM (issues des départements d’organisation et ressources humaines, de psychologie et de travail social), en plus de Valérie Michaud.

«Nous souhaitons élargir les collaborations du Réseau, notamment en animant un espace de formation de la relève, dit la professeure. Dans cette perspective, à travers divers appels, nous offrirons des bourses aux étudiantes et étudiants intéressés par les axes de recherche du Réseau.»

Membre du CRISES, Valérie Michaud a obtenu, en 2018, le Prix de la relève professorale en recherche décerné par l’ESG UQAM. Ce prix récompense chaque année un ou une professeure en début de carrière qui se démarque par l’excellence de ses travaux.