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Une expérience de justice alternative à Montréal

Une équipe de recherche a accompagné une OBNL dans la mise en place d’un programme de justice conçu par et pour les communautés noires.

Par Claude Gauvreau

24 octobre 2023 à 14 h 21

En septembre dernier, un rapport de recherche intitulé «Justice hoodistique: à l’intersection de la justice réparatrice et transformative par et pour les communautés noires» a été dévoilé lors du forum social d’Hoodstock, un organisme sans but lucratif œuvrant dans le quartier de Montréal-Nord, où une proportion importante de la population est issue de l’immigration, notamment des pays africains et d’Haïti. Le rapport est le fruit d’un projet de recherche partenarial mené par des membres du corps professoral de l’UQAM et Hoodstock, avec le soutien du Service aux collectivités (SAC).

Démarrée en 2019, «la recherche visait à accompagner Hoodstock sur le plan socio-judiciaire dans le développement de son projet pilote Justice hoodistique, qui couvre des quartiers du nord-est de la métropole, dont Montréal-Nord, et qui consiste à mettre en place un programme de justice alternative et réparatrice, conçu par et pour les communautés noires», explique la professeure du Département des sciences juridiques Dominique Bernier, qui a piloté le comité d’encadrement de la recherche. La professeure est aussi co-autrice du rapport de recherche avec Nancy Zagbayou, chargée de projet à Hoodstock, et l’étudiante à la maîtrise en droit Chanel Gignac.

Collectif de citoyens créé en 2009 après la mort du jeune Freddy Villanueva, Hoodstock est un incubateur d’initiatives sociales et culturelles. Depuis quelques années, il organise des forums pour discuter de différents enjeux sociaux touchant la communauté de Montréal-Nord. «Le projet pilote Justice hoodistique est né après la tenue d’un forum social en 2019, rappelle Nancy Zagbayou. Cet événement avait souligné l’importance de créer un programme de justice alternative et réparatrice s’inscrivant dans la lutte contre la stigmatisation des communautés noires, le profilage racial et le racisme systémique. Des consultations ont ensuite été organisées auprès d’organismes communautaires et d’autres partenaires à Montréal-Nord.»

En 2021, l’Agence de la santé publique Canada a accordé à Hoodstok une subvention de 400 000 dollars, sur trois ans, dans le cadre du Fonds pour la santé mentale des communautés noires, afin de réaliser le projet pilote Justice hoodistique.


Encourager la reconstruction de soi

Le projet poursuit plusieurs objectifs, tels qu’identifier les causes conduisant les personnes noires à avoir des démêlés avec la justice, réduire la sur-représentation de ces personnes dans le système de justice criminelle, offrir un espace de réflexion aux personnes accusées d’actes criminels et aux victimes afin qu’elles puissent vivre un processus de guérison, encourager la réintégration des personnes accusées et favoriser leur participation sociale au sein de la communauté ainsi que leur implication auprès des victimes.

Le programme de justice alternative et réparatrice, qui est au cœur du projet pilote Justice hoodistique, est destiné à des personnes, en particulier des jeunes, ayant été accusés d’un crime couvert par le Programme général de mesures de rechange pour adultes (PRMG), un programme de déjudiciarisation du ministère québécois de la Justice. Il s’agit de types de crimes considérés comme moins graves par la loi, tels qu’un vol ou des voies de fait n’ayant pas causé de blessures.

«Ancré culturellement dans les valeurs des communautés noires, le programme de justice alternative et réparatrice mise sur la réconciliation des contrevenants avec les victimes, plutôt que sur les sanctions pénales, souligne Nancy Zagbayou. Il s’agit de réparer le tort causé, de favoriser la guérison des victimes et des contrevenants, d’accompagner ces deniers afin qu’ils assument la responsabilité de leurs actes et de prévenir les récidives.»


Un processus de guérison

D’une durée maximale de sept mois, le programme comporte deux «retraites de guérison» pour les personnes accusées d’actes criminels, lesquelles doivent être référencées par le système de justice. Jusqu’à maintenant, Hoodstock a mis sur pied cinq cohortes composées tout au plus de cinq personnes, en majorité des jeunes dans la vingtaine.

Au cours des retraites de guérison, les personnes font l’objet d’un suivi psychosocial et suivent des ateliers de yoga, de méditation, d’introspection, d’estime de soi ainsi qu’un atelier culturel axé sur la reconstruction personnelle. Par la suite, elles discutent avec les membres d’Hoodstock des meilleures façons de réparer les torts causés. Différentes options sont offertes, comme participer à des activités de médiation avec les victimes, si celles-ci le souhaitent, et faire des activités de bénévolat dans le quartier, notamment en s’impliquant dans des organismes communautaires. «Si les personnes suivent le programme de manière satisfaisante jusqu’au bout, les accusations dont elles faisaient l’objet sont retirées et elles n’ont pas de casier judiciaire», observe Nancy Zagbayou.

«Le programme d’Hoodstock s’inscrit dans le cadre du PRMG, précise Dominique Bernier. Créé en 2017, le PRMG permet à la personne adulte contrevenante d’assumer la responsabilité de ses gestes et d’éviter de faire face au système de justice traditionnel.» La personne peut réparer les torts qu’elle a causés auprès des personnes victimes qui le veulent ou auprès de la collectivité. Le programme vise également à diminuer le risque que ces personnes aient à nouveau des démêlés avec la justice.

La justice réparatrice ne concerne pas seulement les personnes accusées d’un acte criminel, mais l’ensemble des personnes touchées par l’infraction, souligne la professeure. «L’idée est de réparer le tissu social, de concevoir le tort causé comme quelque chose que l’on peut réparer sur les plans individuel et collectif. Au Canada, il existe différents programmes de justice réparatrice, notamment pour les Autochtones.»


Documenter l’acceptabilité du programme

Le projet de recherche avait pour but de comprendre comment le programme de justice alternative et réparatrice pouvait répondre aux besoins des communautés noires et comment il était possible d‘en favoriser l’acceptation au sein de la population de quartiers dans le nord-est de l’Île de Montréal.

«Nous avons transmis des questionnaires à des responsables d’organismes communautaires du quartier, en lien avec l’accompagnement de personnes ayant eu un parcours judiciaire, afin de connaître leur point de vue sur l’implantation du programme», explique la professeure. Les réponses montrent que les personnes judiciarisées, les victimes et leurs proches ainsi que les personnes des organismes les côtoyant vivent de la détresse psychologique. Plusieurs personnes ayant répondu aux questionnaires ont souligné l’inefficacité du système de justice actuel et l’importance d’orienter l’action judiciaire vers un processus de guérison plutôt que de coercition, grâce à un programme de justice réparatrice.

«L’équipe de recherche a réalisé des entretiens avec des personnes ayant vécu un parcours judicaire et a documenté les difficultés et embûches rencontrées par Hoodstock dans la mise en place du programme, notamment durant la pandémie, relate Dominique Bernier. Enfin, son rôle a consisté à accompagner les membres d’Hoodstock dans les rencontres avec les représentants de divers organismes et institutions.»

Projet pilote novateur, le projet Justice hoodistique a le potentiel de faire école auprès du ministère de la Justice du Québec et du ministère de la Santé et des Services sociaux et de leurs organismes partenaires. Dominique Bernier soutient actuellement Hoodstock dans ses démarches auprès de la Direction de la protection de la jeunesse afin que le projet Justice hoodistique soit reconnu comme une sanction extrajudiciaire dans le cadre de l’Entente-Cadre découlant de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Ultimement, l’équipe de recherche souhaite que le projet d’Hoodstock soit étendu à l’ensemble du Québec.

Le rapport de recherche peut être consulté sur les sites web du Service aux collectivités de l’UQAM et d’Hoodstock.