Mécontentes de leur sort ou tout bonnement créatives, certaines personnes outrepassent systématiquement leur description de tâches au sein de l’entreprise qui les emploie, allant jusqu’à proposer de nouvelles avenues susceptibles de bouleverser l’organisation. «Ce sont souvent des personnes plutôt rebelles, qui prennent des initiatives et créent de nouveaux produits, explorent de nouveaux marchés ou établissent de nouvelles stratégies de diversification de leur propre chef, sans l’aval de la direction. Ce phénomène se nomme l’intrapreneuriat», explique la professeure du Département de stratégie, responsabilité sociale et environnementale de l’ESG UQAM Hela Chebbi.
Ces personnes enthousiaste et motivées finissent habituellement par présenter leurs initiatives à la direction. «L’organisation peut alors soutenir le projet ou pas, souligne la chercheuse. Si elle le soutient, elle mettra tout en œuvre pour que cela fonctionne. Si elle refuse, en revanche, il se peut que l’employé décide de créer sa propre entreprise.»
Il arrive aussi qu’une personne qui a essuyé un refus de la part de son organisation poursuive tout de même le développement de ses projets parallèles au sein de l’entreprise pour revenir à la charge ultérieurement. «Les intrapreneurs et les intrapreneures vont au travail chaque jour avec le risque d’être congédiés si leurs patrons sont en désaccord avec leurs agissements», observe la professeure.
Le cas particulier des entreprises familiales
Embauchée à l’UQAM en 2018, Hela Chebbi est une spécialiste en innovation et en stratégie de gestion internationale. Elle s’intéresse depuis peu à l’intrapreneuriat, et plus spécifiquement à l’intrapreneuriat dans les entreprises familiales. «Dès mon arrivée au Québec, je me suis aperçue qu’une grande partie des entreprises québécoises sont des entreprises familiales, dit-elle. Au Canada, elles constituent entre 60 et 65 % de toutes les entreprises – et la majorité sont des PME.»
En nouant des liens avec la Fondation des entreprises familiales, la chercheuse a pris note des nombreuses difficultés et du découragement vécus par les parents qui souhaitent léguer leur entreprise à leurs enfants qui ne s’y intéressent pas. «L’intrapreneuriat peut constituer un moyen d’offrir un espace autonome à la nouvelle génération pour développer de nouveaux créneaux au sein de l’entreprise familiale», explique-t-elle.
Cela implique, bien sûr, que les parents soient ouverts aux nouvelles idées, précise toutefois Hela Chebbi, qui a recueilli, par exemple, le récit d’un fils qui n’avait pas de lien avec l’entreprise familiale, mais qui a décidé de proposer à son père la création d’une nouvelle entité consacrée au bien-être des employés à l’intérieur de l’entreprise existante. «Le père était tellement heureux de pouvoir inclure son fils qu’il a accepté sa proposition», relate-t-elle.
Avec le soutien financier du programme Engagement partenarial du CRSH, Hela Chebbi mène un projet de recherche en collaboration avec la Fondation des entreprises familiales, lequel vise à étudier les processus et les différentes configurations de l’intrapreneuriat dans les entreprises familiales. «Nous comptons analyser à la fois le processus intrapreneurial, la dynamique de mentorat et d’accompagnement qui y est rattachée ainsi que la dynamique relationnelle entre les enfants et les parents», précise-t-elle.
La chercheuse et son collègue Eric Michaël Laviolette, professeur associé à la Toulouse Business School, prévoient réaliser des entretiens avec deux interlocuteurs dans une dizaine d’entreprises, notamment ceux et celles qui ont suivi le programme Initiatives entrepreneuriales lancé par la Fondation des entreprises familiales en 2016.
Une fois le projet complété, Hela Chebbi et ses partenaires comptent présenter un rapport aux entreprises qui auront participé à l’étude. «Pour la Fondation des entreprises familiales, les bénéfices sont évidents: nous leur offrirons l’évaluation de leur dispositif de mentorat ainsi qu’une proposition et des recommandations pour le personnaliser davantage en fonction des profils des entreprises familiales», explique-t-elle. Ce rapport pourra également servir aux différents paliers gouvernementaux, notamment sur la façon de mobiliser des ressources pour financer et accompagner davantage les actions entrepreneuriales, ajoute-t-elle.
Passionnée par son sujet, la professeure souhaite également proposer la création d’un cours de MBA sur l’intrapreneuriat à l’ESG UQAM.