Nora Villeneuve et Yoann Léveillé, qui étudient à la maîtrise en linguistique sous la direction du professeur Richard Compton, ont effectué un stage de recherche d’un mois à Iqaluit, la capitale du Nunavut, l’automne dernier. Leur objectif? Enrichir les connaissances sur la langue inuite, parlée par quelque 40 000 personnes dans le nord du Canada.
«Notre méthode de recherche se nomme l’élicitation, c’est-à-dire que nous incitons les locuteurs et locutrices à statuer sur différentes hypothèses, expliquent Nora Villeneuve et Yoann Léveillé. Notre principal défi consiste à poser les bonnes questions. Lorsque c’est le cas, nous réussissons non seulement à faire émerger les bons mots, mais aussi à obtenir des informations périphériques d’une grande richesse.» Pour ce faire, les linguistes ont recruté des locuteurs et locutrices de l’inuktitut au moyen d’annonces sur les réseaux sociaux. Ils leur ont posé des questions sur des situations tirées de la vie quotidienne et ont enregistré leurs interactions.
Par exemple, Nora Villeneuve a donné à un locuteur ce contexte: vous revenez chez vous et vous vous apercevez qu’il y a un message sur la boîte vocale. C’est votre ami Peeta qui veut vous voir. Vous n’avez pas été là de la semaine, donc vous ignorez à quel moment il a appelé. Dans ce contexte, comment diriez-vous : «Peeta m’a laissé un message»? «Cela permet, explique la linguiste, de savoir quel morphème de passé ce locuteur utiliserait lorsqu’il ignore si un événement s’est produit hier, avant-hier ou une semaine auparavant.»
Ces rencontres ont eu lieu au Nunavut Research Institute, qui est en quelque sorte la plaque tournante des recherches scientifiques effectuées à Iqaluit.
Langue polysynthétique
Les linguistes travaillent sur des composantes différentes de la langue. Nora Villeneuve s’intéresse à la fois au domaine temporel et aux morphèmes, soit les plus petites unités de sens d’un mot. «En inuktitut, le même morphème d’aspect change de sens selon le contexte ou le verbe utilisé, mentionne l’étudiante. L’ordre des morphèmes a aussi une grande importance.» Yoann Léveillé étudie pour sa part les démonstratifs, soit des pronoms ou des adjectifs désignant un être ou un objet évoqué. Si le français et l’anglais comptent à peine une dizaine de démonstratifs, on en dénombre près de 700 en inuktitut! «Ce n’est pas aussi compliqué que ça puisse paraître, rassure l’étudiant. En réalité, il existe une dizaine de racines auxquelles on peut ajouter différents morceaux. On peut trouver une logique derrière ces 700 démonstratifs.»
À l’inverse du français et de l’anglais, qui sont des langues synthétiques, la langue inuite est polysynthétique, c’est-à-dire que les mots sont très longs et morphologiquement complexes. «On peut dire en un seul mot la phrase Je voulais aller chasser, mais je n’ai pas pu parce que quelque chose est arrivé, illustre Nora Villeneuve. Plusieurs morphèmes lexicaux s’ajoutent à une racine verbale et à une conjugaison, ce qui crée un joli casse-tête fort intéressant à étudier.»
L’inuktitut est une langue en pleine transformation. L’anglais est beaucoup parlé dans la capitale du Nunavut, surtout par les jeunes, et la cohabitation des langues fait en sorte que les jeunes utilisent souvent plus de mots que leurs aînés pour décrire la même chose. «Certains éprouvent un sentiment de honte de parler un inuktitut différent de celui de leurs grands-parents, affirme l’étudiante. Quand je vais dans un bar d’Iqaluit et que j’essaie de dire quelques mots en inuktitut, plusieurs jeunes me disent le plus sérieusement du monde que je vais mieux parler qu’eux dans quelques mois! Pourtant, le fait qu’une langue change avec le temps est un phénomène tout à fait naturel.»
Malgré ses transformations, la langue inuite est en bonne santé, croient les deux linguistes. «Certains experts estiment que l’inuktitut est l’une des langues les plus saines et à l’abri des menaces d’extinction à long terme, explique Yoann Léveillé. Bien sûr, la langue change et l’accent varie d’une région à l’autre, mais le grand nombre de locuteurs et la diversité des productions écrites et des journaux contribuent à sa vitalité.»
L’aventure à Iqaluit sur Instagram
Nora Villeneuve et Yoann Léveillé partagent de façon régulière leurs aventures à Iqaluit sur le compte Instagram de la Faculté des sciences humaines. Les personnes qui n’ont pas de compte Instagram peuvent consulter les textes et les images sur le site de la faculté.