Il y a 50 ans, le 11 septembre 1973, un coup d’État militaire renversait le gouvernement démocratiquement élu de l’Unité populaire et entraînait la mort du président Salvador Allende. Pour commémorer cet événement et ses impacts tant au Québec qu’ailleurs dans le monde, l’Écomusée du fier monde présente l’exposition Créer le pouvoir populaire jusqu’au 22 octobre prochain.
Organisée par la professeure du Département d’histoire Geneviève Dorais, une spécialiste de l’Amérique latine, et l’artiste d’origine chilienne Carolina Echeverría, toutes deux mandatées par la Fondation Salvador Allende de Montréal (FSAM), l’exposition propose, notamment, des murales colorées, des affiches, des dessins, des photos d’archives et des vidéos de témoignages de personnes ayant vécu le coup d’État. On y trouve aussi des panneaux explicatifs retraçant l’expérience de l’Unité populaire au pouvoir et les impacts du putsch militaire du général Augusto Pinochet en 1973.
«Il y a un peu plus d’un an, la FSAM m’a approchée pour siéger au comité organisateur du cinquantenaire du coup d’État, explique Geneviève Dorais. Carolina et moi avons eu pour tâche de monter une exposition historique à laquelle ont contribué des artistes de la communauté chilienne au Québec ainsi que le professeur associé du Département d’histoire José del Pozo, qui m’a aidée dans la recherche. Les textes étaient ensuite soumis à des artistes chiliens en arts visuels.»
La Fondation Salvador Allende de Montréal a été créée en 2008 par quatre associations chiliennes: l’Association des Chiliens du Québec, la Protach (qui représente des professionnels, des techniciens et artistes chiliens), le Collectif socialiste et le Comité de solidarité Carlota Van Schowen. Elle vise à faire connaître l’œuvre démocratique de Salvador Allende, qui fut président du Chili de 1970 à 1973. Depuis sa création, elle a mis sur pied plusieurs activités avec des organismes regroupant des Québécoises et Québécois d’origine chilienne.
Une voie démocratique vers le socialisme
Pour comprendre l’impact du coup d’État au Québec, mais aussi dans d’autres pays d’Amérique latine et en Europe, il faut comprendre l’enthousiasme que la voie chilienne vers le socialisme – une voie démocratique et pacifique – avait suscité auprès des organisations syndicales, des mouvements sociaux et des cercles intellectuels progressistes au début des années 1970, rappelle Geneviève Dorais. «Le gouvernement de l’Unité populaire arrive au pouvoir en 1970 par la voie électorale, une première en Amérique latine. Tous les gens qui, au Québec et ailleurs, aspiraient à une société plus juste et plus égalitaire ont vécu son renversement violent comme un choc traumatique.»
Coalition de partis de gauche et de centre gauche, l’Unité populaire s’est maintenue au pouvoir durant trois ans seulement, mais cela n’a pas empêché le gouvernement de Salvador Allende d’entreprendre d’importantes réformes économiques et sociales. «L’Unité populaire a nationalisé des banques, les mines de cuivre et d’autres entreprises industrielles, et a approfondi la réforme agraire, note la professeure. Sur le plan social, elle a élargi l’accès aux soins de santé, à l’éducation et à la culture. Salvador Allende était également un démocrate qui défendait les libertés fondamentales, dont la liberté d’expression, y compris pour ses adversaires politiques.»
En 1972, le président Allende avait prononcé un discours devant l’Assemblée générale des Nations Unies dans lequel il mettait en garde les États contre le pouvoir démesuré des grandes entreprises multinationales. «Sa vision annonçait le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui, observe Geneviève Dorais. On était au début de la restructuration du capital financier. Après le coup de force militaire, le Chili est devenu au cours des années 1970 et 1980 un laboratoire du néolibéralisme.»
Un coup d’État appuyé par les États-Unis
Avec le coup d’état du 11 septembre 1973, le Chili bascule dans la dictature. «De 1970 à 1973, les États-Unis ont d’abord soutenu financièrement les forces politiques opposées à l’Unité populaire, rappelle l’historienne. Puis, lorsque l’armée chilienne s’est mobilisée pour renverser le gouvernement d’Allende, les États-Unis l’ont appuyée.»
Le coup d’État a entraîné la mort et la disparition de plusieurs milliers de personnes au Chili, sans parler des nombreux cas de torture. On peut d’ailleurs voir dans l’exposition des photos de personnes dont on n’a jamais retrouvé la trace, affichées sur l’un des murs de l’Écomusée. «Au fil des ans, les chiffres concernant le nombre de victimes du coup d’État n’ont cessé d’être révisés à la hausse», indique Geneviève Dorais.
Pour fuir la répression, des centaines de milliers de personnes ont quitté le Chili pour se réfugier dans différents pays. Les membres de la diaspora chilienne qui se sont établis au Québec ont cherché à maintenir vivant l’héritage d’Allende et de l’Unité populaire, un héritage associé aux valeurs de solidarité, de justice sociale et de paix. «Ils l’ont fait dans un contexte difficile, malgré les traumatismes et les séquelles de la dictature, relève la professeure. L’important pour eux était d’informer la population de ce qui était survenu au Chili et de développer des liens de solidarité avec les organisations de la société civile québécoise, comme les centrales syndicales.»
Activités de commémoration
Parallèlement à l’exposition, plusieurs activités de commémoration seront organisées par la Fondation Salvador Allende de Montréal. La programmation est disponible sur le site web de l’exposition.
Le 11 septembre 2009, grâce au soutien de la Ville de Montréal, de l’Association des Chiliens du Québec, des centrales syndicales et de citoyennes et citoyens, la Fondation a inauguré au Parc Jean-Drapeau (île Saint-Hélène) un monument à la mémoire de l’ancien président du Chili. Réalisé par Michel de Brouin (M.A. arts plastiques, 1997) et intitulé L’ARC, le monument se présente sous la forme d’un arbre courbé dont les branches descendent et s’enracinent dans la terre. L’œuvre, qui permet d’imaginer un passage vers une utopie restée inachevée, est inspirée des dernières paroles d’Allende au peuple chilien lors de la journée du coup d’État: «La semence que nous livrons à la conscience de milliers de Chiliens ne pourra à jamais être fauchée. Ils ont les armes, ils pourront nous dominer, mais les processus sociaux ne peuvent être arrêtés, ni par le crime ni par la force.»