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Protéger les tourbières, une priorité

Michelle Garneau collabore à un projet pancanadien visant à soutenir des politiques de conservation.

Par Claude Gauvreau

23 février 2023 à 14 h 49

On a cru pendant longtemps que les tourbières étaient des terrains marécageux infertiles et inutiles. Or, le Programme des Nations Unies pour l’environnement reconnaît désormais que la protection des tourbières représente l’une des clés de l’atténuation des changements climatiques. «Les tourbières constituent d’immenses puits de carbone essentiels à la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) dans l’atmosphère, contribuant ainsi à atténuer le réchauffement climatique», rappelle la professeure du Département de géographie Michelle Garneau, membre du Centre de recherche sur la dynamique du système Terre (GÉOTOP).

Au Canada, les tourbières couvrent plus de 12 % de la superficie terrestre et renferment environ 150 à 160 milliards de tonnes de carbone dans les sols, selon les plus récentes estimations.

Michelle Garneau collabore au nouveau projet de recherche pancanadien Can-Peat – «Les tourbières du Canada comme solutions naturelles aux changements climatiques» –, lequel réunit des chercheuses et chercheurs de six universités canadiennes, reconnus internationalement pour leur expertise sur les écosystèmes tourbeux. L’objectif ultime est de contribuer à la définition de politiques de gestion des milieux humides afin de mieux les préserver. D’une durée de cinq ans, le projet est coordonné par trois professeurs de l’Université de Waterloo, en Ontario. Il est financé par le Fonds des solutions climatiques axées sur la nature d’Environnement et Changement climatique Canada.

À court terme, le projet Can-Peat vise à améliorer les connaissances sur la dynamique du carbone dans les tourbières afin d’aider le gouvernement canadien à se doter d’une politique de conservation des milieux humides et à prendre des décisions éclairées sur le plan de l’aménagement et de l’exploitation du territoire. «Le gouvernement fédéral a l’obligation de rendre des comptes concernant les émissions de GES au pays, note la professeure. Chaque année, il doit produire un bilan à l’intention de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, en précisant, par exemple, la quantité de GES générée par l’industrie forestière et l’exploitation des sables bitumineux.»

«Il est important de bien documenter le potentiel de stockage et de séquestration du carbone des écosystèmes, comme celui des tourbières, pour mieux évaluer leur capacité naturelle d’atténuer les émissions de GES.»

Michelle Garneau,

Professeure au Département de géographie 

Stockage et séquestration de carbone

Selon Michelle Garneau, il est primordial de protéger les stocks de carbone que renferment les tourbières pour éviter des émissions supplémentaires de GES dans l’atmosphère. Pour ce faire, on doit mieux connaître la capacité des tourbières de séquestrer le carbone. «Il est important de bien documenter le potentiel de stockage et de séquestration du carbone des écosystèmes, comme celui des tourbières, pour mieux évaluer leur capacité naturelle d’atténuer les émissions de GES, souligne la chercheuse. Cela fait partie des objectifs du projet.»

Il y a une dizaine d’années, les modèles de projection climatique au Canada prédisaient un assèchement généralisé pouvant entraîner le relâchement de carbone dans l’atmosphère. La réalité, toutefois, est plus complexe. «Un bilan doit être réalisé par régions climatiques, remarque Michelle Garneau. On sait que le climat dans l’ouest canadien est de plus en plus sec, causant des perturbations, comme les feux de forêt, qui affectent les tourbières. Dans l’est du pays, par contre, notamment dans le nord du Québec, le climat est plus humide, les températures plus fraîches et les précipitations plus abondantes, ce qui peut favoriser la séquestration du carbone par les tourbières.»

Par ailleurs, les pressions anthropiques associées aux activités des industries forestière et agricole affectent l’intégrité écologique des tourbières. «Les opérations de drainage pour la foresterie, la plantation de végétaux, l’extraction de ressources et le développement d’infrastructures représentent la principale pression anthropique, indique la professeure. Le drainage fait baisser le niveau des nappes phréatiques. Une portion importante de la partie supérieure de la nappe se trouve alors aérée et exposée aux bactéries, entraînant la décomposition des matières organiques et l’émission de CO2 dans l’atmosphères.» De plus, l’exploitation des sables bitumineux en Alberta, qui n’est pas assujettie aux mesures de conservation des milieux humides, a pour conséquence de détruire des tourbières.

«Le Canada, qui abrite plus de 25 % de la superficie mondiale des tourbières, peut être un chef de file à l’échelle internationale dans l’élaboration de politiques de conservation des puits de carbone.»


Quantifier les réservoirs de carbone

Michelle Garneau est responsable de l’un des volets du projet Can-Peat, qui consiste à quantifier et à cartographier les réservoirs de carbone dans les milieux humides à l’échelle du Canada, dans le but d’évaluer plus précisément leur rôle dans la lutte contre les changements climatiques. Les résultats des travaux seront transmis à différents organismes internationaux, dont le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE).

«Nous sommes déjà en train de développer une méthodologie pour la cartographie des réservoirs de carbone au Québec, qui sera utilisée dans le traitement de bases de données existantes et dans la collecte de nouvelles données sur le terrain,  précise la professeure. Cette méthodologie sera partagée avec des chercheurs et chercheuses ailleurs au Canada. Cela permettra de dresser un état des lieux des réservoirs de carbone et de projeter leur devenir à l’aide la modélisation.»

Le projet Can-Peat est mené en collaboration avec Environnement et Ressources naturelles Canada, les gouvernements du Québec, de l’Alberta et du Manitoba ainsi que des communautés autochtones et des OBNL en environnement. L’objectif commun est de préserver les milieux humides dans une perspective de biodiversité.


Pour une politique nationale de conservation

Le gouvernement canadien souhaite élaborer une politique nationale de conservation et de gestion des milieux humides. «Cette volonté se traduit par le fait que beaucoup  d’argent est investi pour documenter des solutions climatiques basées sur la nature, dit Michelle Garneau. Les résultats des travaux menés dans le cadre du projet Can-Peat permettront de fournir au gouvernement des outils d’aide à la décision.»

Les tourbières représentent seulement 3% de la surface terrestre mondiale, mais elles stockent près de 550 milliards de tonnes de carbone, soit deux fois plus que toutes les forêts du monde, ce qui les place en tête de la liste des écosystèmes à protéger, soulignent les Nations Unies. «En Europe, certains pays tels que le Royaume-Uni ont presque totalement détruit les conditions naturelles de leurs milieux humides, observe la professeure. Le Canada, qui abrite plus de 25 % de la superficie mondiale des tourbières, peut être un chef de file à l’échelle internationale dans l’élaboration de politiques de conservation des puits de carbone.»