Les prouesses scientifiques qui ont mené à la création rapide de vaccins efficaces contre la COVID-19 ne doivent pas faire oublier certains angles morts révélés par la pandémie. «On en connaît encore très peu sur l’aérovirologie, c’est-à-dire la détection et la transmission des virus dans l’air», illustre Benoit Barbeau. En partenariat avec ses collègues Geneviève Marchand et Loïc Wingert de l’Institut Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST), le professeur du Département des sciences biologiques et expert en virologie mène depuis quelques mois un projet de recherche unique à Montréal afin de mieux comprendre le phénomène et de tester de nouveaux systèmes d’éclairage ayant le potentiel d’inactiver les virus.
Commentateur très présent dans les médias depuis mars 2020, Benoit Barbeau nous a fait visiter les installations au Complexe des sciences Pierre-Dansereau où se déroule un protocole expérimental.
Financé par le Conseil national de recherches du Canada (CNRC), le projet est réalisé avec l’entreprise privée ADSOL. «Cette compagnie a conceptualisé, développé et fourni les prototypes de systèmes d’éclairage au DEL que nous testons, en plus de faire don à l’UQAM de l’enceinte de confinement sous pression négative dans laquelle nous réalisons l’expérimentation, explique le chercheur. Nous appelons cette enceinte la biobulle, du nom de l’entreprise Biobubble qui l’a créée.»
Installée au printemps dernier, cette biobulle de 16 mètres cubes est constituée de murs en vinyle et est scellée pour pouvoir effectuer des tests après y avoir vaporisé des aérosols du virus bactériophage MS2. «La majorité des virus qui circulent sur la planète, comme le MS2, infectent des bactéries, rappelle Benoit Barbeau . Ces virus sont utilisés depuis de nombreuses années pour comprendre le processus d’infection et évaluer les propriétés virucides de différents composés ou équipements.»
Les aérosols viraux
En février 2022, Benoit Barbeau et ses collègues de l’IRSST ont eu quatre mois pour construire une petite enceinte d’exposition et démontrer l’efficacité de leur protocole et des prototypes d’éclairage d’ADSOL. «Nous avons réalisé des expériences dans une chambre de 0,1 mètre cube, puis nous avons observé une diminution notable de l’activité virale», raconte le professeur.
La phase 2 de la recherche s’effectue désormais dans la biobulle. «Nous utilisons un nébuliseur – un appareil permettant de transformer des liquides, dans ce cas-ci une solution du virus MS2, en aérosols – et nous projetons les aérosols à l’intérieur de la biobulle. Ensuite, un ventilateur homogénéise la circulation du virus. Après avoir activé les systèmes d’éclairage pendant une certaine période de temps, nous prélevons des échantillons d’air que nous analysons pour vérifier si les virus qu’ils contiennent sont activés ou non», explique Benoit Barbeau.
La difficulté de la recherche avec des aérosols réside dans la capacité à les projeter de manière sécuritaire dans une pièce. «Outre les entreprises Biobubble et ADSOL et les collègues de l’IRSST, plusieurs personnes à l’UQAM ont été impliquées dans l’installation de la biobulle pour que tout soit conforme aux standards d’un laboratoire de niveau confinement 1, note le professeur. Une fois nos expériences terminées, nous activons le système de ventilation de manière à ce que l’air s’évacue rapidement à travers un filtre hautement efficace.»
Déterminer les paramètres optimaux
Les tests se poursuivent parallèlement dans la petite enceinte de 0,1 mètre cube, cette fois avec un coronavirus (qui n’est pas le SRAS-CoV-2) afin de tester, là aussi, si la nouvelle technologie d’ADSOL fonctionne et, si oui, quels en sont les paramètres – temps d’exposition, positionnement dans la pièce – optimaux. «Les bactériophages, comme MS2, sont plus résistants et coriaces que les coronavirus tel le SRAS-CoV-2. Si nos résultats indiquent une bonne inactivation, il y a de fortes chances pour que cela fonctionne également avec les coronavirus», indique Benoit Barbeau.
Un outil pour limiter la transmission ?
Advenant des résultats positifs, les retombées d’une telle technologie permettraient d’ajouter un outil de prévention pour limiter la transmission de virus comme le SRAS-CoV-2 ou le virus de la grippe dans certains lieux publics. «Par exemple, on pourrait envisager d’utiliser cette technologie dans les CPE, dans les établissements scolaires ou dans tous les lieux où l’on trouve une forte densité de population», illustre le professeur.
Il faudra toutefois mener de plus amples recherches sur la transmission aérienne des virus chez les humains, note Benoit Barbeau. «La transmission par la projection de salive et de mucus n’est pas forcément identique à ce que l’on observe avec les aérosols projetés dans la biobulle, notamment au niveau de la concentration de virus dans chacune des particules aérosolisées. Il faudra améliorer notre compréhension du phénomène.»
Un formidable laboratoire
Benoit Barbeau ajoute qu’une entente avec l’IRSST est sur le point d’être conclue pour poursuivre le projet au-delà de la prochaine année. «Il s’agit d’une recherche fondamentale sur la circulation des virus, le prélèvement et les conditions qui modifient les aérosols, souligne-t-il. Les entreprises privées qui souhaitent tester leurs produits ou leurs technologies pourraient éventuellement utiliser la biobulle comme plateforme, comme nous le faisons avec ADSOL. Ces équipements pourraient aussi être utiles aux étudiantes et étudiants des cycles supérieurs qui veulent développer des projets de recherche en aérovirologie.»