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Mettre fin au harcèlement sexuel en milieu de travail

Rachel Cox appelle le gouvernement québécois à procéder à une réforme législative dans les meilleurs délais.

Par Claude Gauvreau

5 mai 2023 à 9 h 14

Le ministère du Travail vient de rendre public sur son site web  le rapport du Comité d’expertes chargé d’évaluer la cohérence et l’efficacité des recours dont peut se prévaloir une personne victime d’agression à caractère sexuel ou de harcèlement sexuel au travail et de se pencher sur les mécanismes de prévention. Le Comité, dont les travaux ont débuté en février 2022, est présidé par la professeure du Département des sciences juridiques Rachel Cox. Sa mise en place faisait suite à la recommandation no 138 du rapport «Rebâtir la confiance: Rapport du comité d’experts sur l’accompagnement des victimes d’agressions sexuelles et de violence conjugale».

Les recommandations du nouveau rapport, intitulé «Mettre fin au harcèlement sexuel dans le cadre du travail: se donner les moyens pour agir», font l’objet d’une analyse par le ministère du Travail ainsi que par les autres ministères et organismes concernés.

«J’exhorte le gouvernement à s’engager sur la voie d’une réforme législative dans les meilleurs délais, lance Rachel Cox. La situation actuelle est intolérable pour les personnes victimes, principalement des jeunes femmes. Comme la violence se produit souvent au début d’un nouvel emploi, il est urgent de déployer des actions concrètes afin de mieux protéger ces jeunes.»

Dalia Gesualdi-Fecteau, professeure à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal, et Anne-Marie Laflamme, doyenne de la Faculté de droit de l’Université Laval, toutes deux membres du Comité, ont cosigné le rapport, qui contient 82 recommandations. «Afin qu’un changement réel s’effectue pour le bénéfice des victimes, les recommandations ne doivent pas être dissociées les unes des autres», souligne Rachel Cox.

Au Québec, des centaines de personnes, en majorité des jeunes femmes, sont victimes chaque année de violence à caractère sexuel dans le cadre de leur travail. «Le nombre de victimes est probablement plus élevé, car le harcèlement sexuel est rarement signalé ou dénoncé à l’employeur, rappelle Rachel Cox. Pour obtenir justice, ces personnes doivent mobiliser les recours existants en droit du travail, lesquels sont mal adaptés aux particularités des violences sexuelles et ne répondent pas leurs besoins.» À l’instar des réformes apportées en droit criminel, il faut de toute urgence réformer le droit du travail pour mieux protéger les victimes de violences sexuelles, insiste la professeure.

Le Comité a examiné près de 700 dossiers de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST), soit 477 réclamations pour lésion professionnelle de 2017 à 2021 (excluant les réclamations refusées), 125 plaintes pour harcèlement psychologique à caractère sexuel en 2021 et 77 demandes d’intervention par la CNESST en matière de prévention de la violence à caractère sexuel entre 2016 et 2022.

«Les milieux de travail les plus à risque en matière de harcèlement et d’agressions à caractère sexuel sont ceux historiquement à prédominance masculine», note Rachel Cox. Pour contrer le harcèlement sexuel au travail, le rapport insiste sur l’importance d’agir en amont et de responsabiliser l’ensemble des acteurs du milieu de travail. «Pour reconnaître la spécificité du harcèlement sexuel et s’assurer que des mesures de prévention ciblées soient déployées dans tous les milieux de travail, nous recommandons que la CNESST se dote d’un règlement en cette matière», indique la professeure.


Perte de droits

Dans son rapport, le Comité souhaite que, dorénavant, les personnes victimes choisissant de porter plainte pour harcèlement psychologique à la CNESST ne perdent plus les droits qui leur auraient été reconnus si elles avaient porté plainte en vertu de la Charte des droits et libertés de la personne.

«Quand quelqu’un dépose un recours pour harcèlement sexuel en vertu de la Charte, l’obligation de l’employeur, qui en est une de résultat, est d’avoir fourni un milieu de travail exempt de harcèlement, observe Rachel Cox. Selon la loi sur les normes du travail, qui s’applique dans les cas de plaintes pour harcèlement psychologique à caractère sexuel, l’employeur a uniquement une obligation de moyens. En vertu de cette loi, si une personne n’a pas dénoncé le harcèlement auprès de l’employeur et ne lui pas offert la possibilité de régler la situation, sa demande de recours peut être rejetée par la CNESST.»


Des exigences plus grandes qu’en droit criminel

La chercheuse dit avoir été consternée de découvrir que la CNESST, en matière de preuve, impose des exigences plus grandes qu’en droit criminel aux victimes de harcèlement ou d’agression qui déposent une réclamation pour lésion professionnelle. «Les agents d’indemnisation doivent valider l’événement auprès de l’employeur qui, dans un dossier sur quatre, se trouve être l’agresseur. De plus, il faut une corroboration des faits pour que la réclamation soit acceptée, ce qui n’est plus le cas en droit criminel. Le Code criminel tient compte du fait que la violence sexuelle survient la plupart du temps entre deux personnes quand elles sont seules. Exiger une corroboration traduit une méfiance à l’égard de la parole des femmes.»

Par ailleurs, en matière d’agression sexuelle, la Cour suprême a statué que le fait qu’une victime ait gardé le silence ou ait été passive n’équivaut pas à un consentement, remarque Rachel Cox. «Sans oui, c’est non. Or, la CNESST, selon ses politiques, doit documenter l’absence de consentement. Elle doit aussi enquêter pour savoir si la travailleuse a demandé à l’employeur de faire cesser le comportement. C’est une façon de transférer le poids de la responsabilité sur les épaules de la victime.»

Le rapport souligne aussi que certains règlements de plaintes pour harcèlement psychologique à caractère sexuel impliquent le versement de montants dérisoires aux victimes mineures qui allèguent pourtant des faits gravissimes.


Empêcher harceleurs et agresseurs de sévir

Dans certains dossiers, la Division de la prévention de la CNESST met fin à son intervention dès lors que la personne victime quitte son travail, laissant harceleurs et agresseurs continuer de sévir en toute impunité dans les milieux de travail. «Nous recommandons que le Tribunal administratif du travail (TAT) puisse ordonner la révision par la CNESST du programme de prévention – ou du plan d’action, selon le cas – en santé et sécurité applicable dans le milieu de travail visé, et ce, même si la personne victime a quitté son emploi», relève la professeure.

Pour éviter que des mythes et stéréotypes influent sur leur appréciation de la crédibilité des personnes victimes, les juges du TAT doivent, tout comme ceux de la Cour du Québec et ceux nommés par le fédéral, bénéficier d’une formation en matière de violences sexuelles, recommandent les autrices du rapport. «L’un des mythes les plus répandus est que la violence sexuelle est le fait d’un inconnu, dit Rachel Cox. Dans un contexte de travail, cette violence provient principalement d’un collègue. Le fait que seul le viol constitue une violence sexuelle ou que toute agression est suivie d’une dénonciation spontanée font aussi partie des mythes persistants.»

Alors que les femmes victimes d’une agression à caractère sexuel dans le cadre de leur travail ne peuvent pas bénéficier du régime d’indemnisation des victimes d’acte criminel, le droit du travail devrait leur offrir une protection comparable, souligne le rapport. «En matière d’agression à caractère sexuel, la dénonciation tardive est fréquente, rappelle la professeure. Si l’agression survient dans le cadre du travail, la victime n’a que six mois pour réclamer des indemnités auprès de la CNESST, alors qu’il n’y a pas de limite de temps pour présenter une réclamation dans le cadre du régime d’indemnisation des victimes d’acte criminel. De telles iniquités sont intolérables.»


Pièce centrale de la réforme législative

À l’instar du Tribunal spécialisé en matière de violence sexuelle et de violence conjugale mis sur pied en droit criminel, la création d’une Division spécialisée en matière de violence à caractère sexuel au sein du Tribunal administratif du travail apparaît comme une pièce centrale de la réforme législative préconisée par le Comité. «Dans cette division, les juges recevraient une formation particulière, auraient une sensibilité et un intérêt pour de telles causes», observe Rachel Cox

Selon la professeure et ses collègues, il est temps que le droit du travail oblige les employeurs à prévenir les violences sexuelles au travail et, si celles-ci se produisent, le droit – y compris le droit du travail – devrait offrir un recours approprié aux victimes.  «Les personnes victimes de violences sexuelles au travail méritent mieux. Le Québec doit se donner les moyens d’agir», conclut Rachel Cox.