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Mamadou Yauck, statisticien engagé

Le professeur du Département de mathématiques met son expertise au service du bien commun.

Par Pierre-Etienne Caza

10 février 2023 à 10 h 37

Doué en mathématiques, Mamadou Yauck a su très jeune qu’il souhaitait faire carrière dans ce domaine. «Je voulais toutefois que ce soit des maths utiles. Lorsque j’ai découvert que les statistiques étaient des outils indispensables à la plupart des recherches permettant des percées sur le plan social, notamment en santé publique et en environnement, j’ai su que j’avais trouvé ma voie», raconte celui qui est professeur au Département de mathématiques depuis juin 2021.

Né à Dakar, au Sénégal, Mamadou Yauck y a suivi la formation d’ingénieur statisticien à l’École nationale de la statistique et de l’analyse économique. Majeur de sa promotion, il a traversé l’Atlantique pour amorcer une maîtrise en statistique à l’Université Laval, qui s’est transformée en doctorat dans le même domaine. Après un postdoctorat à l’Université McGill et à l’Université de Chapel Hill, en Caroline du Nord, il a été recruté par l’UQAM.

Données d’activation et géolocalisation

Spécialiste de l’inférence causale, de l’inférence statistique, de la statistique computationnelle et de la théorie des graphes, Mamadou Yauck collabore à plusieurs projets de recherche. «Je travaille notamment avec un chercheur américain œuvrant dans une entreprise de marketing, dont l’un des clients est un grand constructeur automobile, illustre-t-il. Ce type d’entreprise récolte en temps réel des millions de données – les fameuses mégadonnées –, parmi lesquelles des données d’activation générées lorsque vous ouvrez une application sur votre appareil mobile. Toutes ces informations leur sont utiles pour déterminer les stratégies à conseiller à leurs clients et pour évaluer l’effet de leurs campagnes publicitaires.»

Le travail de Mamadou Yauck consiste à créer des algorithmes d’estimation qui réduisent le temps de calcul pour analyser, sur la base de la géolocalisation, les mégadonnées pertinentes à l’évaluation du taux de fréquentation des sites web et du taux d’activation des liens publicitaires.

Méthodes de capture-recapture

Lorsqu’il était au doctorat, Mamadou Yauck a participé avec son directeur Louis-Paul Rivest à l’élaboration d’outils de traitement statistique pour évaluer des populations animales sur un territoire donné. «On appelle cela des méthodes de capture-recapture, explique-t-il. Elles permettent de compter les animaux qui sont capturés et marqués – et parfois recapturés,  – afin d’estimer la taille totale de la population ainsi que les paramètres démographiques liés à la natalité, à la mortalité et à la migration des membres de l’espèce étudiée.»

Le statisticien utilise la même méthode pour un projet portant sur les accidents de la route en Afrique. Les accidents sont généralement rapportés par différentes sources: la police, les services d’urgence (publics ou privés) et les services de santé (publics ou privés). Mais il y a aussi des accidents qui ne sont pas répertoriés. «Avec la méthode de capture-recapture, on peut estimer le nombre d’accidents sur un territoire donné», explique Mamadou Yauck, qui œuvre à titre de consultant pour l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour ce projet.

L’échantillonnage fondé sur les répondants

Son expertise en statistiques est également utile dans les enquêtes dans le domaine de la santé. Il participe, entre autres, à l’étude Engage, dont l’objectif est de brosser un portrait de divers aspects de la santé sexuelle des hommes gais et bisexuels ayant des relations sexuelles avec des hommes afin d’appuyer des interventions de prévention. «Puisque cette étude porte sur des populations dites “cachées”, dont l’échantillonnage se construit à mesure qu’un répondant nous réfère une connaissance – c’est ce que l’on nomme l’échantillonnage fondé sur les répondants –, il reste toujours une part d’ombre dans la population qui nous intéresse. Il faut donc jumeler les données recueillies avec d’autres sources afin d’obtenir un portrait probable de l’ensemble de la population qui nous intéresse. Mon travail est d’élaborer la méthodologie statistique sous-jacente pour y parvenir.»

Son travail a donné lieu à quelques articles, dont un publié dans Statistical Methods in Medical Research. Mamadou Yauck a également créé une librairie – un «entrepôt» de code pré-construit – pour que d’autres programmeurs puissent reproduire les méthodologies qu’il a développées pour cette étude. «Il y a eu près de 3000 téléchargements à partir de cette librairie jusqu’à maintenant», se réjouit-il.

Le professeur est heureux si son travail peut aider à faire avancer le bien commun, et cela ne date pas d’hier. «J’ai participé au Parlement des enfants dans ma jeunesse au Sénégal et je suis même allé aux Nations Unies pour représenter l’Afrique de l’Ouest, en 2005, afin de militer contre la violence envers les enfants», raconte-t-il.

Subventions du CRSNG et du FRQS

Ayant obtenu des subventions du CRSNG et du Fonds de recherche du Québec – Santé à titre de chercheur junior en intelligence artificielle, Mamadou Yauck poursuivra au cours des prochaines années le développement de modèles statistiques pour l’échantillonnage fondé sur les répondants et les expériences de capture-recapture. Il vise à relever les nouveaux défis théoriques et méthodologiques liés à l’analyse de données et à développer des méthodes statistiques pour le traitement et l’analyse de données volumineuses et complexes en santé, collectées auprès de populations dites «cachées».

«Joindre l’utile à l’agréable, voilà comment j’exprime ma passion pour les statistiques, que j’utilise à bon escient pour faire avancer des recherches ayant un impact sur le plan social», conclut-il.