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Les eaux douces de plus en plus salines

Un numéro spécial de Limnology and Oceanography Letters, codirigé par Alison Derry, documente le phénomène.

Par Claude Gauvreau

6 mars 2023 à 16 h 20

Diverses études réalisées ces dernières années montrent une augmentation de la salinité des écosystèmes d’eau douce (lacs, rivières, zones humides) et des zones côtières un peu partout à travers le monde. C’est ce dont témoigne un numéro spécial de la revue Limnology and Oceanography Letters (L & O Letters), codirigé par Alison Derry, professeure au Département des sciences biologiques, Stéphanie Melles, de la Toronto Metropolitan University, et Miguel Cañedo-Argüelles, de l’Institute of Environmental Assessment and Water Research, en Espagne.

«Bien que la pollution par le sel ait été moins étudiée que d’autres problèmes environnementaux, on reconnaît désormais que ce phénomène pose des défis majeurs pour la biodiversité des eaux douces et des régions côtières», souligne Alison Derry, membre du Groupe de recherche interuniversitaire en limnologie (GRIL), le plus grand réseau de recherche en écologie des eaux douces au Canada et l’un des plus importants au niveau international.

Plusieurs facteurs – anthropiques, chimiques, biologiques, géologiques, et environnementaux – sont associés à la salinité des eaux douces. «Cette pollution saline est causée, notamment, par l’utilisation des sels de voirie, comme le chlorure de sodium, mais aussi par le défrichement des terres, les opérations d’extraction minière et les engrais agricoles», précise la professeure. Les sels épandus pour déglacer les routes, les chaussées et autres surfaces – environ 1,5 million de tonnes annuellement au Québec –  finissent par ruisseler jusque dans les lacs et les rivières. Le chlorure s’y accumule, affectant les organismes aquatiques.

«Par ailleurs, l’augmentation des températures et la diminution des précipitations dues aux changements climatiques contribuent à augmenter la fréquence des sécheresses et à abaisser les niveaux d’eau, réduisant ainsi la capacité de dilution du sel de nombreux lacs et zones humides», observe Alison Derry.

Enfin, les écosystèmes côtiers sont confrontés à une salinité accrue en raison de l’élévation du niveau de la mer et des prélèvements d’eau pour l’irrigation et la consommation humaine.


Impacts nocifs sur la biodiversité

«Le numéro spécial de L & O Letters fait état de diverses recherches, dont certaines montrent que la pollution saline génère des impacts majeurs sur la biodiversité dans les écosystèmes d’eau douce, indique Alison Derry. Ainsi, la salinité des lacs entraîne une perte massive de zooplancton. Constitué de plusieurs organismes microscopiques, le zooplancton est une ressource alimentaire essentielle pour presque toutes les espèces de poissons dans les lacs.»

On sait aussi que les sels de voirie perturbent le processus de renouvellement des eaux, diminuant la disponibilité en oxygène dissous dans la couche inférieure des lacs. Cela fait augmenter le stress et la mortalité des organismes, et libère les métaux lourds ainsi que les phosphores des sédiments, lesquels contribuent à nourrir les cyanobactéries (algues bleues), dont les effets toxiques affectent la faune et la flore aquatiques.

«Le zooplancton est un important prédateur d’algues, incluant des cyanobactéries, jouant ainsi un rôle dans le contrôle de leur prolifération, note la professeure. La perte de zooplancton risque donc de favoriser la floraison de cyanobactéries.»


Intensifier les efforts en recherche

 Les études couvertes par l’édition spéciale de L & O Letters insistent sur la nécessité de renforcer les efforts de recherche sur la salinité des écosystèmes d’eau douce et d’établir des réseaux de chercheurs et chercheuses travaillant à différentes échelles, mondiale, nationale et régionale.

«Certaines recherches indiquent qu’il existe des variations régionales, d’où l’importance de coordonner les travaux et de comparer les résultats entre eux», relève Alison Derry.

Le numéro de L & O Letters souligne l’urgence d’établir des normes réglementaires plus sévères pour protéger la biodiversité aquatique. Il appelle les autorités gouvernementales au Canada, aux États-Unis et en Europe à réévaluer et à réduire les seuils existants de concentration de sels considérés comme acceptables.

«Actuellement, la salinité de l’eau douce est réglementée à partir de recommandations fondées sur des essais en laboratoire, rappelle la professeure. Pour s’attaquer au problème de la pollution saline, nous avons besoin de lignes directrices plus rigoureuses qui saisissent la complexité des écosystèmes grâce à des recherches expérimentales effectuées sur le terrain.»

Outre Alison Derry, d’autres membres du GRIL ont collaboré à l’édition de L & O Letters: Beatrix Beisner et Cassandre Lazar, professeures au Département des sciences biologiques, Louis Astorg, doctorant en biologie, Jean-Christophe Gagnon, candidat à la maîtrise en biologie, et Marie-Pier Hébert, doctorante en sciences biologiques à l’Université McGill, dont la thèse est codirigée par Beatrix Beisner.