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Le queer à l’université dans toutes ses dimensions

Un colloque organisé par l’IREF explorera les apports des perspectives queers en recherche et en création.

Par Claude Gauvreau

13 novembre 2023 à 13 h 53

Mis à jour le 14 novembre 2023 à 16 h 35

Bousculer les idées reçues, brasser la cage, provoquer le débat. C’est en ces termes que la professeure du Département d’histoire de l’art Thérèse St-Gelais, directrice de l’Institut de recherches et d’études féministes (IREF), décrit l’esprit du colloque Queeriser, dit-on? Questionnements sur les apports des perspectives queers en recherche et en création». Organisé par l’IREF, cet événement se déroulera à l’UQAM (Salle des boiseries) du 21 au 24 novembre prochains.

De nombreux partenaires collaborent à l’organisation du colloque, soit les facultés des arts, des sciences humaines et de science politique et de droit, les départements d’histoire de l’art et des sciences juridiques, la Chaire de recherche sur la diversité sexuelle et la pluralité des genres, le Bureau de l’inclusion et de la réussite étudiante (BIRÉ) ainsi que le Réseau québécois en études féministes (RéQEF).

Le colloque a été conçu autour de trois questions: «que fait le queer à l’université, que fait l’université au queer et que font les queers à l’université?» «Ces questions interpellent les types de savoirs transmis et promus dans diverses disciplines au sein de l’université, observe Thérèse St-Gelais. Nous offrirons un espace pour que les expériences et subjectivités des personnes queers puisent s’exprimer librement. Enfin, le colloque veut répondre aux préoccupations de plusieurs étudiants et étudiantes, qui souhaitent que les programmes d’étude soient davantage ouverts à la diversité, à des savoirs minoritaires, voire marginaux.»

«Plusieurs personnes de la diversité sexuelle, homosexuelles ou transgenres notamment, se reconnaissent dans l’appellation queer et ce qui lui est associé: l’ouverture, la fluidité et la diversité de pensée.»

Thérèse St-Gelais,

Professeure au Département d’histoire de l’art

Longtemps utilisé de manière péjorative, le mot queer désignait à l’origine ce qui est étrange ou bizarre. «Heureusement, note la professeure c’est de moins en moins le cas aujourd’hui.» Cela dit, beaucoup de gens ignorent la signification du mot queer, maintenant utilisé par des membres de minorités sexuelles qui ne s’identifient à aucune catégorie classique relative à l’identité de genre (homme/femme) ou à l’orientation sexuelle (homosexuel/hétérosexuel), ou qui refusent d’y être cantonnés.

«Plusieurs personnes de la diversité sexuelle, homosexuelles ou transgenres notamment, se reconnaissent dans l’appellation queer et ce qui lui est associé: l’ouverture, la fluidité et la diversité de pensée, souligne Thérèse St-Gelais. Une personne queer est une personne dont l’orientation sexuelle ou l’identité de genre diffère de la vision binaire et normative de la sexualité et du genre.»


Queeriser les objets d’étude

Les approches queers de la création et de la recherche en arts et en sciences sociales et humaines sont au cœur du colloque, qui propose 25 sessions thématiques auxquelles participeront des membres du corps professoral, des étudiantes et étudiants, des artistes ainsi que des personnes rattachées à divers organismes. Il y sera question, entre autres, de la «déconstruction queer en santé mentale», de la «réécriture queer du droit», de la «représentation des femmes queer à la télévision», de ce qu’est une «création artistique queer» ou de «queeriser la science politique» (quelle place pour la sensualité et les émotions dans l’étude du pouvoir?).

«Il s’agit de faire plus de place à des savoirs situés, localisés, afin d’éviter que ne prévale un seul point de vue à prétention universelle.»

Queeriser un objet d’étude ou une problématique peut prendre diverses formes, selon le courant théorique sur lequel on s’appuie ou la discipline dans laquelle on s’inscrit. De façon générale, cela consiste à remettre en question les approches et notions dites dominantes, tant en matière de formation que de recherche. «Il s’agit de faire plus de place à des savoirs situés, localisés, afin d’éviter que ne prévale un seul de point de vue à prétention universelle, illustre Thérèse St-Gelais. Cela peut signifier aussi élargir les corpus d’auteurs dans différentes disciplines, comme en arts, en sociologie ou en science politique.»

Dans les arts visuels, par exemple, la réflexion sur l’approche queer et les identités de genre a été alimentée par divers artistes et penseurs. «On pense, entre autres, à l’écrivain et philosophe transgenre d’origine espagnole Paul B. Preciado ou à l’artiste cri Kent Monkman, dont les peintures, les films, les performances et les installations explorent les thèmes de la colonisation, de la sexualité, du désir, de l’’identité et de la liberté», relève la professeure.

Thérèse St-Gelais mentionne également la parution récente de l’essai Vers la normativité queer, dans lequel le philosophe Pierre Niedergang soulève des questions complexes concernant le rapport entre normes et queer, qui pourront être débattues lors du colloque. Si le mouvement queer se définit par opposition aux normes dominantes de l’hétérocentrisme, faut-il en déduire qu’il rejette toute norme?, demande l’auteur. Si oui, comment construire en son sein des rapports avec, par exemple, les mouvements féministes actuels préoccupés par la question de ce qui est acceptable ou non dans les rapports sociaux? Le queer peut-il être aveugle à ses propres processus de normalisation, aux relations de pouvoir et de domination qui y circulent sans être perçues?

À la clôture du colloque, un «cahier de doléances» sera mis à la disposition des personnes participantes qui souhaitent exprimer des demandes ou des désirs par rapport à ce que le milieu universitaire et la société en général pourraient faire en vue d’être plus sensibles et ouverts au monde queer. Une lecture publique sera faite des doléances recueillies.

«Tout comme le féminisme, qui se transforme et se pluralise, l’IREF évolue avec le temps. Aujourd’hui, les apports théoriques et politiques queers occupent une place importante dans nos orientations.»


Exposition de l’artiste Smith, queer et transgenre

En marge du colloque, une exposition consacrée à l’artiste français queer et transgenre Smith (Ph.D. études et pratiques des arts, 2022), commissariée par Thérèse Saint-Gelais, sera présentée à la galerie Vox, le 23 novembre. Son œuvre transdisciplinaire se décline sous la forme de photographies, d’installations, de vidéos, de sculptures et de performances. Elle décrit des existences d’un nouveau type, à la frontière du réel et de la science-fiction, entre le vivant et l’informe.

«C’est un artiste fascinant, soutient Thérèse St-Gelais. Dans le cadre d’un projet conçu avec un astrophysicien, Smith s’est implanté un fragment de météorite dans l’avant-bras, voulant rappeler à l’organisme humain son origine cosmique. L’exposition présentera des vidéos et, surtout, des photos prises avec une caméra thermique qui permet de voir l’intériorité des corps.»


Événement à l’Usine C

Le 20 novembre, l’Usine C accueillera Identités en mutations, une émission de Radio Spirale X, où des voix diverses s’interrogeront sur les devenirs possibles des corps et de la subjectivité. Se faisant l’écho d’un dossier de la revue Spirale consacré au philosophe Paul B. Preciado l’événement donnera la parole à l’artiste Smith et à la professeure de l’École supérieure de théâtre Angela Konrad, qui lira des textes du philosophe.


 L’IREF et le queer

Depuis sa création, il y a plus de 30 ans, l’IREF reconnaît les contributions de divers courants féministes dans l’évolution de ses activités, de ses publications et de son offre de cours. «À l’UQAM, les perspectives queers sont de plus en plus reconnues, indique Thérèse St-Gelais. Cela se traduit, entre autres, par la création de nouveaux cours, comme Approches queers des arts, Perspectives critiques du genre en sciences de la gestion et Introduction aux féminismes noirs, par l’accueil d’étudiantes et étudiants issus de la diversité sexuelle et de genre, ou par l’utilisation de l’écriture inclusive.»

En octobre dernier, le conseil de l’IREF a adopté une position en soutien aux personnes de la diversité sexuelle et de genre au Québec. La résolution demande, notamment, au gouvernement du Québec et aux milieux scolaires de «s’engager explicitement dans la lutte active contre les discriminations des personnes de la diversité sexuelle et de genre dans les milieux d’éducation et dans la société québécoise en général».

«Tout comme le féminisme, qui se transforme et se pluralise, l’IREF évolue avec le temps, souligne sa directrice. Aujourd’hui, les apports théoriques et politiques queers occupent une place importante dans nos orientations. Nous accueillons de nouvelles membres, professeures et étudiantes, qui sont sensibles au queer et qui souhaitent mettre en valeur ses contributions.»

C’est dans cet esprit que le comité organisateur du colloque souhaite donner une plateforme à l’échange d’expériences et de travaux témoignant de l’actualité des perspectives queers ainsi que des écueils et des défis qui les accompagnent.