Pour plusieurs personnes, le loisir remplit essentiellement des fonctions de détente et de divertissement. Pourtant, le rôle de ce secteur d’activités dans la société va bien au-delà de ces fonctions. «Le loisir représente un vecteur de développement à la fois personnel et social, contribuant à l’épanouissement des individus et à la qualité de vie de la collectivité», souligne la professeure du Département d’organisation et ressources humaines de l’ESG UQAM Annie Camus, co-autrice du rapport de recherche 35 ans de rapports entre les organisations nationales de loisir et l’État québécois (1976-2011).
Menée en partenariat avec le Conseil québécois du loisir (CQL), cette recherche a permis la création d’une ligne du temps, produite sous la direction d’Annie Camus et de Sonia Vaillancourt du CQL, portant sur l’évolution des relations entre le secteur associatif du loisir et l’État, du milieu des années 1970 à aujourd’hui. Ces travaux ont bénéficié de l’appui financier du CRSH, du Service aux collectivités (SAC) de l’UQAM et du CQL.
«Comme le dit la sagesse populaire, pour savoir où l’on va, il est bon de savoir d’où l’on vient», note Annie Camus. Le rapport de recherche et la ligne du temps visent à outiller les intervenantes et intervenants du milieu du loisir sur l’histoire de leurs rapports avec les différents gouvernements qui se sont succédé à la tête de l’État, une histoire ayant influencé la capacité d’action de ces acteurs aux niveaux local, régional et national. «Étudier ces rapports permet de mieux comprendre l’évolution du loisir au Québec et de se donner des leviers pour infléchir cette évolution», insiste la professeure.
«Le loisir représente un vecteur de développement à la fois personnel et social, contribuant à l’épanouissement des individus et à la qualité de vie de la collectivité.»
Annie Camus,
Professeure au Département d’organisation et ressources humaines
Le rapport de recherche et la ligne du temps s’insèrent dans la foulée de plusieurs études menées par Annie Camus depuis 2009, en partenariat avec le CQL. «À l’origine, nos travaux s’inscrivaient dans le cadre de l’Alliance de recherche université-communautés en économie sociale, laquelle comprenait un chantier consacré au secteur du loisir», rappelle la chercheuse.
Cinq champs d’intervention
Le Conseil québécois du loisir représente aujourd’hui 35 organismes nationaux, lesquels rassemblent plus de 4 500 organisations locales et régionales, appuyées par des milliers de bénévoles. Ces organisations œuvrent dans cinq principaux champs d’intervention: le loisir culturel, scientifique, socio-éducatif, touristique et de plein air.
«Depuis le milieu des années 1990, les organismes de loisir, portés par le mouvement citoyen et associatif, se reconnaissent dans les principes et règles de fonctionnement qui définissent l’économie sociale», observe Annie Camus. Ces organismes sont à but non lucratif et porteurs d’objectifs sociaux. Leur finalité n’est pas de faire des profits, mais de servir leurs membres et la collectivité. Favorisant la participation, ils sont basés sur un processus de prise de décision démocratique impliquant les usagers ainsi que sur un mode de gestion autonome par rapport à l’État.
«Depuis le milieu des années 1990, les organismes de loisir, portés par le mouvement citoyen et associatif, se reconnaissent dans les principes et règles de fonctionnement qui définissent l’économie sociale.»
Des relations structurantes
Les relations entre le secteur du loisir et l’État ont toujours joué un rôle structurant, car elles influencent la façon dont le loisir est organisé et pratiqué, tout en affectant les ressources consenties au secteur ainsi que les politiques publiques mises en place pour le soutenir et l’encadrer.
«La nature de ces relations a aussi un impact important sur la démocratisation du loisir, souligne la professeure. Pour le CQL, le droit au loisir est une valeur fondamentale et il est primordial de s’assurer que tous aient accès aux activités et services, aux lieux de pratique et aux divers équipements.»
Au Québec, la mission d’accessibilité au loisir est d’ailleurs inscrite dans la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale, adoptée par l’Assemblée nationale en décembre 2002. La loi stipule que les personnes en situation de pauvreté doivent avoir accès à la culture, aux loisirs et aux sports et que l’on doit soutenir les actions bénévoles et communautaires contribuant à leur inclusion sociale.
Tendances lourdes
La ligne du temps permet d’identifier les tendances lourdes qui caractérisent l’évolution des relations entre l’État et les organismes de loisir. «L’une des tendances concerne la transformation du rôle de l’État-providence qui, dans le domaine du loisir, devient un État plus contractuel, porté sur la sous-traitance avec le secteur privé et privilégiant les enjeux économiques de rationalisation et de rentabilité des services», indique Annie Camus.
«Sans nier l’importance de la santé physique, on ne doit pas négliger les volets culturels, éducatif et scientifique du loisir, qui sont aussi essentiels au vivre-ensemble.»
Entre 1976 et 1985, le loisir est reconnu comme un service social, avec ce que cela suppose de prise en charge par l’État québécois. Les relations entre le milieu du loisir et l’État sont caractérisées par la mise en œuvre de la première politique de reconnaissance et de financement des organismes de loisir ainsi que par la structuration des instances représentatives du milieu.
La deuxième période (du milieu des années 1980 au milieu des années 1990) s’amorce avec le virage vers la dimension économique du secteur du loisir, porté par le gouvernement libéral élu en décembre 1985. À la suite de compressions budgétaires, les organismes de loisir doivent défendre leur financement considéré comme minimal.
À cette époque, l’aide financière de l’État s’avère de plus en plus fluctuante, voire irrégulière. L’enveloppe budgétaire consacrée au loisir passe ainsi de 3,5 millions de dollars en 1989 à moins d’un million de dollars en 1997. «Ce désinvestissement n’est pas étranger à la logique néolibérale qui imprègne alors les actions de l’État dans plusieurs domaines, remarque la professeure. La mobilisation du milieu du loisir a permis de rééquilibrer les rapports de force et de limiter les dégâts concernant l’offre de services.»
La période des années 1995 à 2002 s’amorce avec le retour au pouvoir du Parti québécois, lequel manifeste une volonté de redéfinir les liens avec les organismes de loisir, malgré des ressources limitées. Par rapport aux années précédentes, on observe un retour à une vision sociale et culturelle du loisir, sans que sa dimension économique ne soit pour autant négligée.
Politique de modernisation
Les 10 dernières années ont été ponctuées, notamment, par la publication en 2017 d’une politique de l’activité physique, du sport et du loisir intitulée Au Québec, on bouge, suivie en 2018 de la nouvelle politique culturelle Partout, la culture. «Ces énoncés témoignent de la volonté de l’État de moderniser sa politique du loisir, tout en nourrissant la réflexion et le dialogue, et ce, malgré un contexte d’instabilité politique et ministérielle», souligne Anne Camus. Il s’agit, tant pour l’État que pour les acteurs du milieu, d’être en phase avec l’évolution des pratiques du loisir, lesquelles se sont particulièrement diversifiées et professionnalisées.»
Cela dit, le loisir, tel que conçu par l’État, demeure réduit au loisir actif et de plein air, au détriment d’autres types d’activités. «Sans nier l’importance de la santé physique, on ne doit pas négliger les volets culturels, éducatif et scientifique du loisir, qui sont aussi essentiels au vivre-ensemble, estime la chercheuse. Parce qu’il est une occasion de rencontres, d’échanges et d’apprentissages, le loisir favorise l’éclosion des solidarités et participe à l’insertion sociale de celles et ceux qui s’y adonnent.»
Bien qu’il ait été sérieusement affecté par la pandémie, le secteur du loisir reste bien vivant et mobilisé. Il est toutefois confronté à un manque de ressources et à un renouvellement de ses effectifs.
Forum sur la vie associative
Une nouvelle édition du Forum québécois du loisir aura lieu les 23 et 24 mars 2023. Organisé par le CQL et présidé par Annie Camus, l’événement sera consacré à la vie associative, qui est au cœur des activités de loisir. «Ce sera l’occasion de rassembler les organismes nationaux de loisir et leurs membres, mais aussi des représentantes et représentants des pouvoirs publics et des milieux partenaires, comme celui de l’éducation », note Annie Camus.
Pour les deux prochaines années, la professeure a obtenu une subvention de 150 000 dollars du Fonds des services aux collectivités du ministère de l’Enseignement supérieur dans le but de soutenir la formation et le développement professionnels des membres des directions générales des organismes nationaux de loisir. «Dans un contexte de renouvellement du personnel, il est important d’aider ces personnes, qui ne sont pas toutes issues du monde du loisir et de l’économie sociale, à acquérir des outils en matière de gouvernance démocratique et de vie associative», conclut Annie Camus.