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Le Centre-Sud d’hier à aujourd’hui

Une balade du Cœur des sciences fait découvrir le patrimoine d’un quartier populaire parmi les plus pittoresques de Montréal.

Par Claude Gauvreau

21 août 2023 à 14 h 52

Mis à jour le 23 août 2023 à 9 h 14

C’est sous un soleil radieux qu’une vingtaine de personnes ont participé, le 15 août dernier, à une balade historique dans le quartier Centre-Sud, à quelques pas de l’UQAM. Organisée par le Cœur des sciences, la balade était animée par Annick Desmarais, candidate à la maîtrise en histoire. D’une durée de deux heures environ, l’excursion propose de découvrir l’histoire de ce quartier populaire ainsi que son patrimoine culturel, commercial et industriel. Depuis 2020, Annick Desmarais anime cette balade, qui a été créée par la professeure du Département d’histoire Joanne Burgess.

Le Centre-Sud désigne aujourd’hui un territoire délimité par la rue Saint-Hubert (ouest), la voie ferrée du Canadien Pacifique (est), le fleuve Saint-Laurent (sud) et la rue Sherbrooke (nord). À compter de la deuxième moitié du 19e siècle, il devient une sorte de village où s’imbriquent des commerces familiaux, des usines, des églises, des écoles et des espaces résidentiels.

Avant de se rendre dans le quartier, Annick Desmarais réunit les membres du groupe sur la place Pasteur de l’UQAM et distribue des cahiers de photos d’archives du Centre-Sud, issues de ses recherches. En guise d’introduction à la promenade, elle rappelle brièvement la naissance de l’Université et du Quartier latin qui, au tournant du 20e siècle, était considéré comme le foyer intellectuel de l’Amérique francophone.


Sur la place Émilie-Gamelin

D’un pas alerte, les participantes et participants se dirigent d’abord vers la place Émilie-Gamelin, à l’angle des rues Sainte-Catherine et Berri. C’est là où se trouvaient jadis la maison mère et la chapelle des Sœurs de la Providence, l’une des congrégations religieuses les plus importantes à Montréal au 19e siècle, fondée par Émilie Gamelin (1800-1851).

«Cette place porte le nom d’une femme qui a consacré sa vie aux plus démunis, explique Annick Desmarais. Elle était surnommée “l’ange des prisonniers”, car elle rendait visite et apportait de la nourriture aux personnes incarcérées à la prison Au-pied-du-courant, construite entre 1831 et 1840. Émile Gamelin accueille chez elle des malades et fonde l’asile de la Providence en 1843, un refuge pour personnes indigentes, situé au coin des rues Sainte-Catherine et Saint-Hubert.» On peut voir une statue d’Émilie-Gamelin à l’entrée de la station Berri-UQAM, rue Sainte-Catherine.


Dupuis Frères: un grand magasin

Face à la place Émilie-Gamelin, rue Saint-Hubert, se trouve la Place Dupuis, site de l’ancien magasin Dupuis Frères. Fondée en 1868, cette entreprise familiale, symbole de la réussite économique canadienne-française, a fermé ses portes en 1978. Plus grand magasin de Montréal dès les années 1920, Dupuis Frères connaît son apogée dans l’après-guerre, occupant alors un édifice de plusieurs étages rue Sainte-Catherine, entre Saint-Hubert et Saint-André.

«Ses employés sont francophones et catholiques, une spécificité inscrite dans les valeurs de l’entreprise, indique l’étudiante. Autre particularité, Dupuis Frères est le premier commerce à offrir aux ménagères une garderie gratuite afin qu’elles puissent faire leurs emplettes. Pendant 40 ans, le catalogue de Dupuis Frères et son comptoir postal ont été des éléments essentiels du magasinage des Fêtes – et du reste de l’année – pour des clients répartis dans tout le Canada francophone.»

Le groupe s’arrête ensuite devant un édifice de cinq étages, rue Sainte-Catherine. Il s’agit de l’un des derniers bâtiments art déco à avoir été construits à Montréal, qui a abrité la pharmacie Montréal de 1923 à 1985. Plus grande pharmacie au Québec, la pharmacie Montréal est la première au Canada à ouvrir ses portes 24 heures sur 24, en plus de faire la livraison gratuitement jour et nuit.

«Son fondateur, Charles Édouard Duquette, a révolutionné l’univers des pharmacies, observe Annick Desmarais. Il est le premier à offrir une gamme de produits inédite dans ce type d’établissement: parfums, maquillage et développement de photos. Estimant que l’accès aux médicaments est difficile, il réduit les prix pour tous les clients, au grand dam de ses concurrents. Pour cette raison, on lui a intenté 22 procès qu’il a tous gagnés.»


Cinéma et théâtre

La randonnée se poursuit jusqu’à un édifice où logeait l’ancien cinéma Ouimetoscope, première salle au Canada dédiée au 7e art. «Fondé en 1906 par Léo-Ernest Ouimet, ce cinéma devient une salle de 1 200 places avec air climatisé, fait rarissime à l’époque, rappelle l’étudiante. La programmation incluait des courts métrages québécois, dont ceux de Ouimet, ainsi que des productions françaises et américaines.»

En 1922, des problèmes financiers forcent Ouimet à vendre la salle, qui ferme ses portes deux ans plus tard. Le cinéma est réouvert en 1967 et présente des films de répertoire jusqu’à sa fermeture définitive en 1993. Depuis, l’immeuble abrite un restaurant et des logements.

Un peu plus loin, au 1220, rue Sainte-Catherine, se trouve le National, l’ancien théâtre National, l’un des plus vieux de Montréal. «Ce théâtre a contribué à la vitalité culturelle du quartier, note Annick Desmarais. Pendant plusieurs années, il attire les vedettes québécoises du burlesque.» Depuis 2006, la salle propose, notamment, des concerts rock et de chanson francophone.


Une église somptueuse

Le groupe continue sa route vers l’est, jusqu’à la somptueuse église Saint-Pierre-Apôtre, rue de la Visitation, près du boulevard René-Lévesque. Construite en 1851 par les pères oblats de Marie-Immaculée, cette église de style néo-gothique se trouve sur un site classé historique en 1977. Celui-ci inclut la résidence des religieux et une ancienne école devenue le Centre d’éducation populaire Saint-Pierre-Apôtre. Préoccupés par l’impact de la croissance urbaine et du développement économique sur les populations exposées aux tentations de la ville, les oblats encadrent la vie des résidants du quartier et leur offrent divers services.

«L’église se trouve dans l’ancien “Faubourg à m’lasse”, appellation familière désignant ce secteur où vivait une population ouvrière francophone peu scolarisée et peu qualifiée», explique Annick Desmarais. Au 19e siècle et dans la première moitié du 20e siècle, plusieurs établissements industriels importants se trouvent dans les environs, notamment la brasserie Molson, des usines de verre (Dominion Glass), de linoleum (Dominion Oil Cloth) et de caoutchouc (Dominion Rubber).

Après la Seconde Guerre mondiale, plusieurs entreprises quittent le quartier pour s’établir dans de nouveaux espaces industriels, tandis que d’autres disparaissent. Ces changements coïncident avec de grands travaux d’aménagement urbain visant à moderniser Montréal. «L’élargissement du boulevard Dorchester (René-Lévesque), en 1956, et l’implantation de la Société Radio-Canada, au début des années 1960, témoignent des bouleversements que connaît alors le Centre-Sud», rappelle l’étudiante.

Derrière l’église, Annick Desmarais attire l’attention du groupe sur de vieux édifices en brique rouge, dont les portes cochères, typiques des quartiers ouvriers de la fin du 19e siècle, donnent accès à un espace intérieur abritant des logements dits de fond de cour. «Chauffés au charbon et souvent sans eau courante, ces logements accueillaient des familles dont plusieurs enfants mouraient en bas âge en raison des mauvaises conditions sanitaires.».

À quelques pas de là, à l’angle des rues Sainte-Catherine et Panet, les participantes et participants font une halte au Parc de l’espoir, inauguré en 1994. Lieu de recueillement et de rassemblement, notamment pour les membres des communautés LGBTQ+, le parc est dédié à la mémoire des victimes du VIH/sida au Québec. Un long ruban rouge, symbole universel de la lutte contre le sida, est dessiné sur le sol.


Fleuron du patrimoine industriel

Un peu plus loin, rue Panet, se dresse la façade de l’ancienne entreprise Alphonse Raymond, dont les marinades ont fait le bonheur de nombreuses familles québécoises pendant près de sept décennies. Fondée en 1905, l’entreprise familiale devient dans les années 1930 la plus grande fabrique de conserves alimentaires au Québec et l’une des plus importantes au Canada. «À son apogée, dit l’étudiante, elle comptait environ 200 employés permanents et 800 employés temporaires, et s’approvisionnait auprès de quelque 800 agriculteurs du Québec.»

Après la fermeture de l’usine, au tournant des années 1970, quelques édifices, dont une passerelle reliant les deux parties du complexe, ont été conservés. «Depuis 1995, l’Usine C, un centre de création et de diffusion culturelles occupe l’entrepôt et la chaufferie de l’ancien complexe, permettant ainsi de sauvegarder une pièce importante du patrimoine industriel montréalais», note Annick Desmarais.


Le plus vieux marché public

La balade se termine sur le site du marché Saint-Jacques, le plus vieux marché public de Montréal, situé rue Ontario. «Ce marché est né au début des années 1870, à la suite d’une pétition signée par une centaine de résidants du quartier, rappelle l’étudiante. Véritable place publique, le marché représente aussi un lieu de socialisation pour la population.»

En 1931, le marché Saint-Jacques est entièrement reconstruit dans un style art déco. «Le nouveau bâtiment compte trois étages. Les commerçants sont installés au rez-de-chaussée et l’étage supérieur fait place à une grande salle qui accueille, entre autres, des matchs de boxe et des assemblées politiques.»

Quelques mètres plus loin, rue Atateken (anciennement Amherst), se trouve l’Écomusée du fier monde, qui loge dans les locaux de l’ancien bain public Généreux. Fondé en 1980, ce musée citoyen met en valeur le patrimoine du Centre-Sud ainsi que l’histoire industrielle et ouvrière de Montréal.

Il est maintenant 16 h 30. Tout le monde applaudit et félicite Annick Desmarais pour son travail. Sur le chemin du retour, quelques membres du groupe échangent des commentaires sur la balade. «Moi qui vit à Montréal, je suis contente d’avoir découvert ce quartier que je n’avais jamais visité», confie une dame. «Ce fut une promenade enrichissante, dit un autre participant. Elle fait prendre conscience de l’importance de conserver et de transmettre la mémoire des quartiers de la métropole.»

D’autres balades seront organisées par le Cœur des sciences d’ici la fin octobre. Pour connaître la programmation, on clique ici.