Voir plus
Voir moins

La révolution ChatGPT

Depuis sa mise en ligne, l’application d’intelligence artificielle fait trembler le milieu de l’enseignement.

Par Marie-Claude Bourdon

31 janvier 2023 à 11 h 48

Mis à jour le 1 février 2023 à 15 h 41

Au Carrefour pédagogique et technopédagogique de l’UQAM, les demandes du personnel enseignant se multiplient depuis le début du trimestre. ChatGPT, une application de la compagnie OpenAI dont personne n’avait entendu parler il y a quelques mois, est en train de créer un tremblement de terre dans le milieu de l’enseignement. À l’université, mais aussi au cégep et dans les écoles secondaires. «C’est un peu la panique», dit Yves Munn, chargé de projets technopédagogiques au Service de l’audiovisuel, qui suit le dossier depuis la mise en ligne de l’application, fin novembre.

«Par rapport à l’enseignement supérieur, il s’agit d’une révolution magistrale», croit la professeure du Département de marketing de l’ESG UQAM Sandrine Prom Tep, qui s’intéresse aux robots conversationnels depuis leur apparition. «C’est équivalent à l’arrivée d’internet en ce qui a trait à ce que cela va changer dans nos habitudes. Cela va révolutionner notre quotidien tel qu’on le connaît.»

Pour ceux qui ne sont pas encore familiers avec la bête, ChatGPT est un robot conversationnel qui répond à des questions et produit sur demande des textes originaux sur à peu près n’importe quel sujet. «ChatGPT, fais-moi un texte de 500 mots sur l’histoire de la Révolution chinoise». En un clic, l’application s’exécute. «ChatGPT, explique en 150 mots l’origine du système solaire.» Et hop! La réponse apparaît. On peut aussi lui demander des listes, des résumés, des tableaux, des plans de cours…

«ChatGPT n’est pas un moteur de recherche, précise Yves Munn. Il s’agit d’un système d’intelligence artificielle (IA) basé sur des algorithmes d’apprentissage nourris par des bases de données énormes.» GPT est l’acronyme de Generative Pre-trained Transformer, un agent conversationnel conçu pour comprendre et générer du langage naturel. Les habiletés de ChatGPT sont plus grandes en anglais qu’en français, mais l’application se débrouille déjà très bien dans la langue de Molière. Et ses compétences ne font que s’améliorer.

La version 3.6 de GPT, actuellement disponible, repose sur 175 milliards de paramètres différents, indique le chargé de projets. Des rumeurs veulent que la prochaine, qu’on attend d’ici moins d’un an, dispose d’une base de 100 000 milliards de paramètres!

«Un professeur de philosophie a tenté de coincer l’application en lui posant huit questions sur un sujet théorique, raconte Yves Munn. À la fin, il trouvait que ChatGPT l’avait fait progresser dans sa réflexion. Le professeur avait eu l’impression de discuter avec un étudiant de doctorat!»


Loin d’être infaillible

Mais attention. ChatGPT est loin d’être infaillible. Dans un article paru sur le site 24 heures.ca, le professeur de l’École des médias Jean-Hugues Roy raconte avoir demandé à l’application de fournir trois faits sur chacun des premiers ministres du Québec depuis 1867. Il a donné une note de 59,2% à ChatGPT pour sa réponse, jugée trop vague. Le robot s’est aussi trompé en répondant à une question de mathématiques de secondaire 4 proposée sur le site Alloprof.

«Les réponses de ChatGPT peuvent être impressionnantes, commente Sandrine Prom Tep. Mais le robot peut aussi produire des réponses erronées, difficiles à détecter si on n’est pas un expert du sujet. En plus, il ne cite pas ses sources.»

ChatGpt ne cite pas ses sources… pour l’instant. Mais cela est prévu dans une prochaine version, précise la professeure.

Des ressources pour réfléchir à l’utilisation de l’IA en enseignement

Les membres du Carrefour pédagogique et technopédagogique ont mis en ligne une liste d’activités et de ressources pour soutenir le personnel enseignant dans la découverte et l’appropriation des agents conversationnels.

Entre autres, on peut trouver deux articles sur ChatGPT et l’IA publiés par le Collimateur – Veille technopédagogique: ChatGPT expliqué par des vingtenaires passionnés de l’IT et Apprendre à parler IA. On peut aussi suivre le fil Twitter du Carrefour pour en apprendre davantage sur le sujet.

Les 9, 15 et 23 février, Yves Munn et ses collègues animeront un groupe d’échange: L’intégration de ChatGPT dans l’enseignement: questionnements, opportunités et enjeux. Le 22 février, il animera également une table de discussion sur le sujet dans le cadre de la Semaine de l’enseignement à distance avec la professeure du Département d’analytique, opérations et technologies de l’information de l’ESG UQAM Claudine Bonneau: ChatGPT, IA et formation à distance: une nouvelle ère de l’apprentissage.

Grâce à une subvention obtenue dans le cadre du Pôle montréalais d’enseignement supérieur en intelligence artificielle, Sandrine Prom Tep et ses partenaires du Collège de Bois-de-Boulogne et d’Eductive préparent une série d’ateliers pour les enseignantes et enseignants de l’enseignement supérieur. Les ateliers, qui commencent le 2 février, seront offerts par le Laboratoire pédagogique de littératie en intelligence artificielle.

«Les gens qui utilisent ChatGPT ont l’impression de discuter avec une vraie personne, observe Yvves Munn. Mais ce n’est pas une personne. C’est une machine qui calcule des probabilités à partir des mots que vous utilisez.»

«C’est une intelligence artificielle au sens pur du terme, renchérit Sandrine Prom Tep. Elle n’a ni conscience ni jugement. Elle génère du texte en fonction de vos questions.»

Même si chaque échange la rend plus intelligente («c’est le fameux apprentissage profond ou deep learning de l’IA», remarque la professeure), l’application n’a pas de mémoire à long terme des échanges qu’on a avec elle. Elle ne se souviendra pas de vous. Par contre, elle a une mémoire du dialogue en cours et peut raffiner ses réponses en fonction des informations qu’on lui fournit. Ce n’est donc pas une bonne idée de terminer un échange qui n’a pas donné les résultats escomptés pour ensuite repartir à neuf avec une nouvelle requête. Il vaut mieux persévérer, formuler sa demande autrement, préciser.

«La façon dont vous posez des questions va générer des réponses différentes, précise Sandrine Prom Tep. C’est l’art de bien formuler ses requêtes ou ses prompts, comme on dit en anglais.» Déjà, les sites qui expliquent comment utiliser la machine se multiplient. Ainsi, dans ChatGPT expliqué par des vingtenaires passionnés de l’IT, un lien mène à un extrait vidéo où de jeunes Français échangent des trucs pour tirer le maximum du robot.


Une nouvelle façon d’évaluer

Que faire devant cette nouvelle génération de jeunes qui vont apprendre à utiliser l’IA plus rapidement que leurs profs? Ces derniers ont-ils raison de s’inquiéter? Pour Sandrine Prom Tep et Yves Munn, il ne fait pas de doute que le corps enseignant devra s’adapter. «Devant ce genre d’outil, il faut changer son mode d’évaluation, affirme le spécialiste en stratégies technopédagogiques. De plus en plus, il faudra évaluer le processus d’apprentissage, plutôt que le résultat final.»

Il y a 50 ans, la diffusion à large échelle de la calculatrice scientifique a causé une commotion semblable dans le milieu de l’enseignement, notent les experts. Et les enseignants se sont adaptés. «Au lieu de la réponse à la résolution d’une équation, on a demandé aux étudiantes et étudiants d’indiquer leur démarche», rappelle Sandrine Prom Tep.

Depuis l’apparition de ChatGPT, certains ont évoqué la nécessité de revenir à des évaluations en classe, avec papiers crayons. Yves Munn croit qu’il existe d’autres façons de faire. «On peut exiger que l’étudiante ou l’étudiant fasse un travail à partir des discussions qui ont eu lieu en classe (que le robot n’a pas entendues…) ou qu’il fasse un lien avec l’actualité récente, suggère-t-il. Pour l’instant, les données auxquelles ChatGPT a accès s’arrêtent en 2021.»

Des stratégies telles que la double évaluation, qui ont fait leurs preuves dans le contexte de l’évaluation à distance, peuvent être envisagées. «Après la remise d’un texte, on demandera à l’étudiant ou à l’étudiante d’expliquer oralement ce qu’il a voulu dire dans son deuxième paragraphe, par exemple», explique Yves Munn. Impossible avec un groupe de plus de 50 étudiants? On applique la stratégie de façon aléatoire…

Si des outils permettant de détecter qu’un texte a été produit à l’aide de ChatGPT commencent à apparaître sur le marché – la jeune pousse montréalaise Draft & Goal propose déjà une version beta  –, Yves Munn ne croit pas que ce sera la panacée. «Oui, on aura accès à ce genre d’outils, mais il y aura d’autres applications d’IA pour les contourner, dit-il. ChatGPT, c’est le modèle T de l’intelligence artificielle. Ce que l’on voit aujourd’hui, ce n’est que la pointe de l’iceberg.»

Selon lui, l’utilisation à large échelle des outils d’intelligence artificielle devrait plutôt conduire les enseignantes et enseignants à miser de plus en plus sur les évaluations formatives, qui permettent de suivre le processus d’apprentissage, plutôt que sur une évaluation finale.


Chat GPT, ajoute 10 % de fautes…

Plusieurs se disent qu’il sera facile de voir si un devoir a été fait par ChatGPT: une copie trop bien rédigée, sans fautes d’orthographe, paraîtra tout de suite suspecte. Sauf que… «Il est possible de dire à la machine de rédiger comme un élève de cinquième secondaire, affirme Yves Munn. On peut même lui demander d’ajouter 10% de fautes!»

Pour lui comme pour Sandrine Prom Tep, il ne faut cependant pas diaboliser l’application. «Si tu rédiges un travail sur l’Islande, c’est correct de commencer par consulter l’article de Wikipedia sur l’Islande, note Yves Munn. Mais si tu recopies une partie de l’article pour ton travail sans faire de vérifications, sans pousser tes recherches plus loin, ça, évidemment, ce n’est pas correct. C’est la même chose avec ChatGPT.»


Sensibiliser la communauté étudiante

Selon lui, il faudra sensibiliser la communauté étudiante à l’utilisation de l’IA, comme on le fait pour le plagiat, la citation des sources ou d’autres sujets. Il imagine des discussions en classe sur l’éthique de l’IA, des séances où l’on pourrait tester le robot et voir comment s’en servir de façon constructive.

«C’est incroyable tout ce que l’on peut obtenir de ChatGPT, dit Sandrine Prom Tep. Mais il ne faut jamais prendre ce qu’il dit pour du cash.» Dans le dialogue avec la machine, on peut aller chercher énormément d’information, trouver des idées, des exemples. Mais il faut constamment vérifier l’information fournie par le robot. «Si on le prend comme un assistant, c’est très utile, dit-elle. Si on le prend pour Dieu, c’est un problème.»

Selon les deux experts, ChatGPT pourra être très utile à la vie académique. Le personnel enseignant pourra s’en servir pour construire des plans de cours, rédiger des exercices, des questionnaires ou produire différentes versions d’un examen.

«Quand la calculatrice scientifique est apparue, on a dit que les gens ne sauraient plus compter, rappelle Sandrine Prom Tep. On a continué à savoir compter, mais au lieu de perdre notre temps à faire des calculs de base, on a passé plus de temps à faire du raisonnement. Même chose pour Internet. Tout le monde n’est pas devenu légume parce qu’on pouvait trouver des réponses sur Internet. Mais oui, cela a profondément changé la vie académique, et l’on va voir la même chose avec l’IA .»