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La parole citoyenne au cœur de la transition socio-écologique

Ancré dans Rosemont–La Petite-Patrie, un projet partenarial permet de donner un sens à la transition.

Par Claude Gauvreau

17 janvier 2023 à 10 h 29

Mis à jour le 26 janvier 2023 à 8 h 28

Pour faire face à la crise environnementale, divers acteurs sociaux et politiques au Québec font la promotion, depuis quelques années, d’une transition sociale et écologique. De quoi s’agit-il au juste? «Tous les acteurs ne s’entendent pas sur le sens qu’il faut donner à cette transition, comme ce fut le cas avec la notion de développement durable lorsque celle-ci est apparue dans les années 1980», observe le professeur du Département de stratégie, responsabilité sociale et environnementale René Audet, titulaire de la Chaire de recherche sur la transition écologique, «Pour de plus en plus d’organisations de la société civile, la transition socio-écologique doit répondre aux aspirations des citoyennes et citoyens et être perçue comme un processus de transformation sociale», souligne le professeur.

C’est pour offrir une vision de la transition socio-écologique portée par la parole citoyenne que la Chaire de René Audet a participé à un projet de recherche partenarial avec l’organisme à but non lucratif Solon, situé dans le quartier Rosemont–La Petite-Patrie à Montréal, et l’organisme de transfert Territoires innovants en économie sociale et solidaire (TIESS). Appuyé par le Service aux collectivités de l’UQAM, ce projet a donné lieu à deux publications: le Récit collectif de la transition sociale et écologique. Raconter des histoires à partir de propos citoyens et De nouvelles histoires pour changer la société. Guide pratique de coconstruction d’un récit collectif de la transition sociale et écologique à l’échelle du milieu de vie.

Né en 2019, le projet a été mis en place par un comité de pilotage composé de membres de la Chaire, de Solon et de TIESS, en vue de définir la démarche à suivre ainsi que la forme et le contenu du récit collectif. L’année suivante, quatre ateliers de réflexion et de discussion, réunissant notamment des citoyennes et citoyens de l’arrondissement Rosemont–La Petite-Patrie, ont été mis sur pied autour des thèmes du rapport au temps, de la réappropriation de l’économie, de la résilience et de la justice sociale.

«Produire un récit (…) permet aux citoyennes et citoyens de donner un sens à la transition en partageant leurs aspirations actuelles, la vision d’un avenir désirable et des recherches sur des expériences concrètes.»

René Audet

Professeur au Département de stratégie, responsabilité sociale et environnementale

Pourquoi avoir choisi une approche misant sur la mise en récit de la transition socio-écologique? «Produire un récit fait appel à l’imaginaire, indique René Audet. Cela permet aux citoyennes et citoyens de donner un sens à cette transition en partageant leurs aspirations actuelles, la vision d’un avenir désirable et des recherches sur des expériences concrètes. Enfin, cela contribue à la formation d’une identité, d’une cohésion sociale et d’un mouvement collectif.»

Le récit collectif s’inscrit dans la foulée de plusieurs autres projets menés en partenariat par la Chaire et Solon depuis 2016. «Le récent projet participatif “Nos milieux de vie”, par exemple, a permis l’aménagement de deux places publiques dans l’arrondissement Rosemont–La Petite-Patrie, rappelle le professeur. En expérimentant la transition socio-écologique au niveau local, il y a l’idée de favoriser le pouvoir d’agir de la population.»


Des «briques de sens»

Les ateliers ayant donné naissance au récit ont fait émerger des idées, des écrits et des illustrations, lesquels ont été analysés et catégorisés pour devenir ce que l’équipe partenariale appelle des «briques de sens» (12 au total). Chacune de ces briques ou thématiques, qui ont donné forme au récit, est constituée de quatre sections: une définition du thème, une réflexion critique sur celui-ci, une vision des aspirations collectives et une marche à suivre pour les réaliser. Les liens sociaux et la communauté, la coopération, le rapport au territoire, la société post-croissance et la réorganisation du travail figurent parmi les thèmes abordés dans le récit.

La démarche de construction du récit se voulait novatrice en matière de diffusion des connaissances. Illustré de dessins produits par les participants aux ateliers, le récit a inspiré la création d’une pièce de théâtre, laquelle a été présentée dans des parcs de l’arrondissement Rosemont–La Petite-Patrie et dans le cadre d’événements organisés par Solon. Le récit a même permis de créer un jeu de construction pour les enfants.

«Le récit va bien au-delà des enjeux strictement environnementaux, comme la réduction des émissions de gaz à effet de serre et le déploiement de technologies vertes. Sa vision de la transition socio-écologique est celle d’un autre mode de vie, d’une nouvelle organisation sociale et économique.»


Un autre mode de vie

«Le récit va bien au-delà des enjeux strictement environnementaux, comme la réduction des émissions de gaz à effet de serre et le déploiement de technologies vertes, souligne René Audet. Sa vision de la transition socio-écologique est celle d’un autre mode de vie, d’une nouvelle organisation sociale et économique.» Ce nouveau mode de développement est fondé, entre autres, sur la satisfaction des besoins essentiels de tous les citoyens – logement, nourriture, transport, santé, éducation –, sur la justice sociale, la solidarité, l’action collective pour le changement, et non pas sur l’accumulation de biens de consommation et de capital.

«Le récit remet en question des valeurs et des normes sociales dominantes, indique le chercheur. Intervenir sur le plan des représentations du monde relève de l’ordre du symbolique, mais cela a aussi un impact sur la façon de se comporter en société. Voilà pourquoi nous croyons que le récit peut favoriser le passage à l’action par l’émergence de nouveaux projets collectifs dans les arrondissements montréalais.» Il peut s’agir de projets associés à la lutte contre la pollution urbaine, au verdissement d’espaces publics, à la création de modes de transport alternatifs, au recyclage de matières plastiques  ou à l’aménagement des berges du Saint-Laurent.

«Nous croyons que le récit peut favoriser le passage à l’action par l’émergence de nouveaux projets collectifs dans les arrondissements montréalais.»


Un récit évolutif

Le récit collectif de la transition se veut évolutif, d’où la production d’un Guide de co-construction pouvant être utilisé par des citoyennes et citoyens d’autres quartiers. «Le guide permet de bonifier le récit et de l’adapter à des besoins locaux», note René Audet. La Coalition montréalaise des tables de quartier a d’ailleurs présenté le projet de récit collectif à ses membres afin qu’ils abordent eux aussi la question de la transition socio-écologique dans leur milieu.

«Le récit et son guide de construction représentent une première au Québec, dit le professeur. Parce qu’ils sont des biens communs, ils appartiennent à tout le monde. Ils aident à rapprocher le mouvement de la transition sociale et écologique et le mouvement communautaire.»

Les initiatives en matière de transition venant de la participation citoyenne dans les quartiers sont de plus en plus reconnues par les instances politiques, notamment par la Ville de Montréal. Solon, TIESS, des chercheurs de l’UQAM, la Ville de Montréal et plusieurs autres organisations de la société civile comptent parmi les partenaires de la nouvelle alliance Transition en commun, dont la mission est de favoriser la transition dans les arrondissements de la métropole.

«Chose certaine, remarque René Audet, une vision plus globale de la transition socio-écologique est en voie de se former, dans laquelle les citoyennes et citoyens ont un rôle important à jouer. Les changements à venir impliquent de repenser les rapports sociaux et les modes de gouvernance à tous les échelons ainsi que des choix politiques.»