Plusieurs personnes étaient réunies à la Galerie de l’UQAM, le 11 mai dernier, à l’occasion du double lancement de l’exposition virtuelle et de la publication intitulées Françoise Sullivan. Une ligne imaginaire / An Imaginary Line. Sous le commissariat de la directrice de la Galerie, Louise Déry, ces deux projets dévoilent plusieurs œuvres inédites de Françoise Sullivan, qui permettent de retracer les expérimentations menées par l’artiste québécoise dans les années 1970. L’événement, qui s’est déroulé en présence de Françoise Sullivan, constituait le coup d’envoi des célébrations de son centième anniversaire de naissance.
Accessibles en français et en anglais, l’exposition virtuelle et la publication reprennent le contenu de l’exposition Françoise Sullivan. Les années 1970 présentée à la Galerie de l’UQAM au printemps 2021. Les deux projets concluent un vaste chantier de recherches et de réalisations témoignant des liens féconds entre l’artiste et l’UQAM, qui lui a décerné un doctorat honorifique en 2000, et avec Louise Déry, qui a exposé son travail à de nombreuses reprises en plus de lui dédier plusieurs publications.
Née le 10 juin 1923 à Montréal, Françoise Sullivan est l’une des figures marquantes de l’histoire de l’art du Québec et du Canada. Membre du groupe des Automatistes et signataire du manifeste Refus global en 1948, elle s’est illustrée comme danseuse, chorégraphe et artiste en arts visuels. Ses œuvres chorégraphiques, ses sculptures, ses peintures et ses œuvres conceptuelles jalonnent une longue carrière marquée par de très nombreuses expositions individuelles et collectives au Canada, aux États-Unis et en Europe. De nombreuses distinctions lui ont été décernées, dont le prix Paul-Émile Borduas et le Prix du Gouverneur général du Canada. Membre de l’Ordre de Montréal, de l’Ordre du Québec et de l’Ordre du Canada, elle détient deux doctorats honoris causa (Université York et UQAM).
«Une citoyenne d’honneur de l’UQAM»
Après un mot de bienvenue de Louise Déry, le recteur Stéphane Pallage a pris la parole lors du lancement, soulignant que Françoise Sullivan a toujours été une artiste engagée. «Votre contribution artistique est immense. En signant Refus Global avec 15 autres de vos pairs, vous avez changé la vie de milliers de gens au Québec. Vous êtes un modèle de courage pour nous toutes et tous. Par votre audace et celle des autres signataires du manifeste, vous avez préparé le Québec pour la Révolution tranquille, sans laquelle notre Université ne serait sans doute pas née. Vous êtes une citoyenne d’honneur de l’UQAM.»
Avant de s’entretenir brièvement avec Françoise Sullivan, Louise Déry a insisté sur la place unique que celle-ci occupe dans le monde de l’art, ici et ailleurs. Elle a rappelé, notamment, que Françoise Sullivan fut la première femme artiste à faire l’objet d’une rétrospective au Musée d’art contemporain de Montréal, en 1981, ouvrant la voie à d’autres créatrices. «On peut dire que Françoise Sullivan donne du travail aux historiens de l’art et aux muséologues, a souligné Louise Déry. Il faut se mettre à plusieurs pour à peine s’approcher de tout ce qu’elle a réalisé.»
Une période de découvertes
Présentement en ligne, l’exposition virtuelle s’intéresse plus particulièrement aux œuvres créées par Françoise Sullivan pendant les années 1970, une époque où elle découvre de nouveaux courants artistiques tels que l’art conceptuel et l’arte povera. Une «ligne imaginaire», comme dit l’artiste, est tracée alors que son travail s’ancre dans la photographie, le film, le texte et les actions performatives.
La navigation de l’exposition couvre les années 1970 à 1980, une des périodes les moins étudiées de la carrière artistique de Françoise Sullivan, et se fait à partir de deux points d’entrée, chronologique et thématique. Les œuvres peuvent ainsi être découvertes en suivant une ligne du temps ou selon cinq thématiques élaborées par Louise Déry: la relation au présent et aux mouvements de contestation qui secouent la société; le lien entre l’art et la vie, et les concepts impliquant la famille; le rapport au corps, le geste et l’exploration performative; le rapport au temps historique et l’intérêt pour l’archéologie et la mythologie; les réseaux de communication, la liberté d’expression et la censure.
La longue carrière de l’artiste se structure au fil de plusieurs phases de travail, qui offrent des repères essentiels à la traversée de son œuvre: les jeunes années marquées par la peinture, la danse et la rencontre avec les Automatistes à la fin des années 1940; le développement de l’œuvre chorégraphique et la réalisation de plusieurs projets en danse; la pratique de la sculpture à partir de 1960 ; le recours à la photographie et au film pendant la décennie suivante; puis la peinture d’inspiration mythologique, se poursuivant au cours des années 1990 dans l’abstraction picturale caractérisée par l’expressionnisme vibrant de la couleur.
Un ouvrage pour fédérer les connaissances
Françoise Sullivan. Une ligne imaginaire / An Imaginary Line prend le relais du catalogue d’exposition Françoise Sullivan. Trajectoires resplendissantes / Radiant Trajectories (Galerie de l’UQAM, 2017) pour fédérer les connaissances récemment mises à jour et les contextualiser dans le sens d’une interaction entre le développement de la pensée de l’artiste et son corpus des années 1970. Tel un récit qui s’incarne dans les lieux où a vécu l’artiste, en particulier l’Italie, l’ouvrage s’intéresse particulièrement à son travail lié à l’art conceptuel.
On y retrouve de nombreuses citations et informations, souvent nouvelles, provenant de l’artiste elle-même ou de ses archives. Au fil des pages, on découvre des œuvres en contexte d’exposition, dont plusieurs sont inédites, de même qu’une section portfolio qui décrit et illustre une trentaine d’œuvres. Agissant comme un album de souvenirs, la dernière partie se compose de photographies, de notes et de documents qui, à leur tour, affinent notre compréhension de cette période charnière dans la pratique de Françoise Sullivan, au plus près de sa dimension fusionnelle de femme, de mère, d’artiste et de citoyenne. Le livre se clôt sur un texte hommage de Gianfranco Sanguinetti, célèbre auteur et complice italien de Guy Debord, fondateur de l’Internationale situationniste, deux personnalités que Françoise Sullivan a fréquentées en Toscane.
Dans la sphère numérique et internationale
Les deux projets Françoise Sullivan. Une ligne imaginaire / An Imaginary Line visent la large diffusion d’un corpus méconnu de l’artiste québécoise. La Galerie de l’UQAM a par ailleurs contribué à la faire découvrir dans le cadre du partenariat international AWARE X CANADA présidé par Louise Déry. «Il s’agit de tendre une main à la société entière, toutes générations confondues, pour qu’elle découvre plus largement la place immense qu’occupe l’artiste dans notre histoire», souligne la directrice de la Galerie. Par le déploiement d’œuvres, d’archives et de témoignages, l’exposition virtuelle et la publication contribuent à confirmer la place de Françoise Sullivan parmi les plus grandes femmes artistes de son temps.