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Jean-Philippe Riopel à la défense du Quartier chinois de Montréal

Le candidat à la maîtrise en muséologie se bat pour sauvegarder le patrimoine bâti et matériel de ce quartier historique.

Par Claude Gauvreau

26 janvier 2023 à 16 h 36

En mai dernier, l’étudiant à la maîtrise en muséologie Jean-Philippe Riopel a reçu la Médaille de l’Assemblée nationale des mains de Manon Massé, députée de Québec solidaire dans la circonscription de Sainte-Marie–Saint-Jacques, pour son engagement dans la défense et la sauvegarde du patrimoine bâti du Quartier chinois de Montréal. Depuis quelques années, il mène une bataille, loin d’être terminée, afin que le gouvernement du Québec préserve un noyau d’édifices historiques en leur accordant un statut patrimonial.

Le Quartier chinois constitue un témoin privilégié du développement du faubourg Saint-Laurent dans la première moitié du 19e siècle, alors que Montréal connaît une croissance importante, souligne Jean-Philippe Riopel. «Plusieurs de ses bâtiments rappellent les différentes phases de développement du secteur, notamment sa densification et son industrialisation dans les dernières décennies du 19e siècle et l’établissement des communautés juive et chinoise au tournant du 20e siècle», explique-t-il.

L’étudiant connaît bien le Quartier chinois, où il habite depuis près de 20 ans et où il agit comme guide touristique. «J’ai d’abord grandi dans ce quartier, alors que mon père y exerçait le métier de policier communautaire, raconte-t-il. Je ne prétends pas être un spécialiste de la culture chinoise, mais mon travail de guide m’a conduit à m’intéresser à son histoire, particulièrement riche, ainsi qu’à celle de ses habitants.»

Jean-Philippe Riopel a fait des études en techniques de muséologie au Collège Montmorency, de 2009 à 2012, et a travaillé par la suite dans différentes institutions muséales québécoises. «Durant mes études au certificat en muséologie à l’UQAM, j’ai rencontré le professeur du Département d’histoire de l’art Yves Bergeron, qui a été une personne importante pour moi. Il m’a encouragé à entreprendre une maîtrise et m’a soutenu dans mes actions en matière de patrimoine dans le Quartier chinois.»


Des bâtiments d’intérêt patrimonial

Plusieurs édifices de l’îlot bordé par les rues Saint-Urbain, de la Gauchetière Ouest, Côté et Viger, ont été acquis par l’entreprise de développement immobilier Investissements 1000 Saint-Urbain, une filiale de Hillpark Capital. Jean-Philippe Riopel et des organismes voués à la préservation du patrimoine sont préoccupés par ces récentes acquisitions, car la reconversion de ces bâtiments pourrait transforment irrémédiablement le visage du Quartier chinois.

Deux bâtiments situés dans l’îlot présentent un intérêt patrimonial en raison de leur valeur historique et architecturale. Il s’agit de l’ancienne manufacture de cigares S. Davis and Sons et de l’ancienne British and Canadian School, aussi appelée Maison Wing du nom de l’entreprise familiale Nouilles Wings, le plus important fabricant de produits  alimentaires orientaux au Québec, qui occupe les deux édifices depuis le milieu des années 1960. Fondée en 1897 par un immigrant chinois, Hee Chong Lee, cette compagnie est aujourd’hui la propriété de l’un de ses petits-fils, Gilbert Lee.

«Construite en 1826, la British and Canadian School a été la première au Canada à offrir une éducation non confessionnelle aux garçons et filles de milieux populaires», rappelle Jean-Philippe Riopel. Son édifice de style classique est l’un des seuls témoins subsistant au Québec des réalisations de l’architecte James O’Donnell, dont l’œuvre majeure est la basilique Notre-Dame de Montréal. «Quant à l’ancienne manufacture S. Davis and Sons, elle a été bâtie en 1884 à partir des murs d’une ancienne église presbytérienne, construite au même emplacement 40 ans auparavant», note l’étudiant. Il s’agit d’un rare exemple où deux bâtiments destinés à des fonctions aussi différentes que le culte et la production manufacturière ont été intégrés dans un même ensemble.


Mobilisation citoyenne

Si l’entreprise Wings occupe toujours l’ancienne British and Canadian School ainsi que l’ancienne manufacture S. Davis and Sons, et si les bâtiments ont été préservés jusqu’à maintenant, c’est grâce au mouvement de mobilisation citoyenne enclenché au printemps 2021 par Jean-Philippe Riopel et son amie Élyse Lévesque (B.A. journalisme, 2011; M.A. science politique, 2020), lauréate du prix de la Relève 2022 du Conseil de diplômés de la Faculté de science politique et de droit. Ce prix vise à valoriser les personnes diplômées dont les réalisations ont eu des retombées humaines, sociales, culturelles ou communautaires.

«Véritable lanceuse d’alerte, Élyse Lévesque a joué un rôle clé dans la campagne de visibilité des enjeux patrimoniaux urgents auxquels fait face le Quartier chinois», observe l’étudiant. Cette campagne a reçu l’appui de résidents du quartier, d’Héritage Montréal, de Québec solidaire, de la Clinique juridique CSU Concordia et du ministère de la Culture et des Communications du Québec (MCCQ).

Jean-Philippe Riopel et la diplômée sont, notamment, à l’origine d’une pétition signée par près de 7 000 personnes, réclamant la désignation du Quartier chinois en tant que site patrimonial. Ils ont aussi conçu la stratégie communicationnelle entourant le rachat des bâtiments de l’ancienne British and Canadian School et de l’ancienne manufacture S. Davis and Sons, et procédé à des recherches documentaires et à des demandes de classement auprès du MCCQ afin de préserver les édifices. «Nos recherches nous ont permis de découvrir que les nouveaux propriétaires avaient légalement le droit de construire une tour de 20 étages sur le site des édifices, d’où l’importance de leur attribuer rapidement un statut patrimonial», indique l’étudiant.

En janvier 2022, le MCCQ, en collaboration avec la Ville de Montréal, a finalement annoncé un avis d’intention de classement patrimonial pour le site du Noyau-Institutionnel-du-Quartier-Chinois ainsi que pour les édifices de l’ancienne British and Canadian School et de l’ancienne manufacture S. Davis and Sons.


Des objets historiques

L’étudiant à la maîtrise a contacté Gilbert Lee, propriétaire de l’entreprise Wings, pour examiner avec lui la possibilité de recueillir et protéger de nombreux objets anciens inutilisés qui se trouvent dans sa manufacture. Pendant des mois, Jean-Philippe Riopel a bâti une collection de quelque 1 000 objets présentant un intérêt patrimonial, en lien avec l’histoire de la compagnie et du quartier.

«On a trouvé, entre autres, des malles remplies de photos de la communauté chinoise de Montréal, des archives, des échantillons de produits chinois de la compagnies Wings et d’autres entreprises, un jukebox appartenant à l’ancien Lotus café, un établissement important du quartier dans les années 1940 et 1950, de la vaisselle ancienne et même la base d’une pagode commandée pour le centenaire, en 1967, de la Confédération canadienne.»

Un appel a été lancé auprès des organismes du milieu du patrimoine au Québec afin de trouver des locaux permettant d’entreposer la collection d’objets, dont 400 ont été documentés jusqu’à maintenant. «La Ville de Montréal nous a accordé une subvention pour que l’on puisse déménager, entreposer et documenter la collection», note Jean-Philippe Riopel.

Les objets seront conservés dans un entrepôt muséal à Montréal afin de les protéger et de poursuivre leur documentation. «Des démarches seront entreprises au cours de l’année pour que la collection soit hébergée de manière pérenne dans un musée, dit l’étudiant. La famille Lee, toujours propriétaire des objets, m’a mandaté pour assurer la gestion de la collection.»


Un trésor archéologique

Pendant la pandémie, alors qu’il effectuait des travaux d’aménagement dans la cour arrière de son immeuble de la rue De la Gauchetière, dont la construction remonte au 19e siècle, Jean-Philippe Riopel a découvert à sa grande surprise quelques centaines d’objets pour le moins inusités.

«Moi qui suis un collectionneur dans l’âme, j’ai déterré une pléthore d’artéfacts datant du 19e siècle: des vestiges d’anciennes fondations enfouies dans le sol, de nombreux accessoires de couture, des fioles médicales pouvant avoir servi à l’ancien hôpital chinois de Montréal, qui a occupé le bâtiment voisin de 1921 à 1962, et même un vieux revolver de type British Bulldog.»

Avec l’appui d’Élyse Lévesque, l’étudiant a fait une déclaration de «découverte fortuite», relative aux artefacts trouvés dans sa cour arrière. «Le gouvernement du Québec a réagi en désignant le secteur où j’habite “zone d’intérêt archéologique à fort potentiel”. Cela signifie qu’aucune entreprise ne peut y effectuer des travaux sans que des fouilles archéologiques complètes ne soient effectuées.» Les objets trouvés s’ajouteront à ceux recueillis dans les locaux de la compagnie Wings.

En janvier 2021, l’édifice où habite Jean-Philippe Riopel a été racheté par les promoteurs immobiliers d’Investissements 1000 Saint-Urbain. «Ils sont venus me voir et m’ont dit qu’ils pourraient m’offrir quelque chose si je quittais les lieux. Je leur ai répondu que j’étais attaché au quartier et que je n’avais pas l’intention de partir. Aujourd’hui, je suis le dernier locataire du bâtiment, tous mes voisins ayant déjà quitté leur appartement.»

En septembre dernier, le candidat à la maîtrise a fondé un organisme à but non lucratif, appelé Objets de mémoire – groupe d’action muséologique, qui réunit des professionnels du milieu de la muséologie et des historiens de l’art. «Son rôle consiste à documenter la collection d’objets de la compagnie Wings et à produire un catalogue. Nous voulons aussi travailler à d’autres projets de recherche en lien avec la protection du patrimoine.»

Jean-Philippe Riopel est fier des efforts qui ont été déployés jusqu’à présent, même si beaucoup de choses restent à accomplir. «La communauté chinoise et son quartier font partie intégrante de l’histoire de Montréal, Il faut que les traces matérielles de cette histoire soient conservées et protégées.»