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Intégrer les personnes vivant avec un trouble de santé mentale

Une nouvelle intervention psychosociale vise à favoriser leur inclusion professionnelle et leur maintien en emploi.

Par Claude Gauvreau

21 juin 2023 à 14 h 58

Mis à jour le 22 juin 2023 à 16 h 26

Au Canada, on estime que la prévalence des troubles de santé mentale graves, causant des incapacités fonctionnelles significatives et prolongées, touche environ 3 % de la population adulte. Parmi ces personnes, 60 % à 80 % sont sans emploi, malgré un désir et une capacité de travailler chez la plupart d’entre elles si elles reçoivent le soutien et les traitements adéquats pour stabiliser leurs symptômes. «Cela représente un nombre important d’individus qui pourraient bénéficier des avantages associés à l’occupation d’un emploi, comme l’amélioration de leurs symptômes, de leur qualité de vie et de leur estime de soi», souligne la professeure du Département d’éducation et pédagogie Geneviève Sauvé, détentrice d’un doctorat en psychologie (2021) de l’UQAM et d’un doctorat en psychiatrie (2018) de l’Université McGill.

Du point de vue de la société, une présence plus forte de ces personnes sur le marché de l’emploi représente une réduction importante des coûts de santé. «Des études montrent que le fait de travailler a des effets positifs sur la santé psychologique de ces individus et participe à la baisse des hospitalisations et de la prise de médicaments», note la chercheuse.

Grâce à une bourse de carrière Chercheurs-Boursiers Junior 1 financée par le Fonds de recherche du Québec – Santé pour le programme de recherche intitulé «Améliorer l’inclusion professionnelle et le maintien en emploi des personnes vivant avec un trouble mental», la professeure développera une nouvelle intervention psychosociale pour aider ces individus à surmonter les obstacles professionnels auxquels ils font face.

Les troubles de santé mentale renvoient à un spectre très large: trouble dépressif caractérisé, trouble bipolaire, trouble d’anxiété généralisée, etc. Une partie de la littérature scientifique classe ces troubles dans deux grandes catégories: celle des troubles dits courants, comme les troubles anxieux et dépressifs, et celle des troubles mentaux plus sévères, tels que les troubles psychotiques, incluant la schizophrénie, dont les symptômes sont davantage chroniques et peuvent avoir un impact sur les capacités des personnes à fonctionner au quotidien. «Ces catégories ne font pas l’objet d’un consensus, car elles n’incluent pas tous les troubles mentaux», dit Geneviève Sauvé.


Discrimination à l’embauche

Les premiers symptômes de plusieurs troubles de santé mentale apparaissent souvent à la mi-vingtaine, une période charnière de la vie où plusieurs jeunes adultes font leur entrée sur le marché du travail, rappelle la professeure. Or, les personnes vivant avec un trouble de santé mentale sont victimes de préjugés et subissent des formes de discrimination en lien avec leur condition. «Démontrer qu’il y a eu discrimination, en particulier dans le processus d’embauche, demeure toutefois difficile, observe Geneviève Sauvé. Des enjeux importants sont aussi associés au dévoilement du diagnostic. Certaines personnes n’osent pas en parler, par crainte de ne pas obtenir un emploi ou de le perdre.»

Au Québec, les personnes qui éprouvent des problèmes de santé mentale peuvent compter sur des conseillères et conseillers en développement de carrière ou en orientation ayant reçu une formation dans ce domaine. Elles peuvent aussi recourir à des programmes de soutien en emploi, offerts surtout en milieu communautaire et dans les établissements de santé.

Ces programmes sont essentiels, mais ils comportent des limites, relève la chercheuse. «Plusieurs s’avèrent efficaces pour aider les personnes à trouver du travail, moins pour les maintenir en emploi. Il faut donc combiner ces programmes avec d’autres, plus ciblés, comme ceux qui apportent une aide sur le plan cognitif: concentration, mémoire, planification, organisation, etc.»


Une intervention psychosociale novatrice

Pour améliorer l’inclusion et le maintien en emploi, Geneviève Sauvé étudiera les effets, l’efficacité et la faisabilité d’une nouvelle intervention psychosociale baptisée Cerveaux@Travail, qui vise deux populations: les personnes ayant un trouble psychotique et celles vivant avec un trouble déficitaire de l’attention, avec ou sans hyperactivité (TDA/H).

«L’intervention touche ce qu’on appelle les prédicteurs spécifiques de l’inclusion professionnelle et du maintien en emploi, soit la motivation à travailler, la résolution de problèmes, l’attention et la mémoire, la gestion des émotions, la communication et les interactions interpersonnelles, précise la chercheuse. Son aspect novateur réside dans le fait de cibler, dans le cadre d’une seule et même intervention, ces différentes catégories de prédicteurs, ce qui n’a pas été fait auparavant.»

Développée par Geneviève Sauvé dans le cadre de sa recherche doctorale, l’intervention se fera auprès de groupes de personnes, plutôt que sur une base individuelle. «L’intervention de groupe favorise le sentiment de normalité de chacun des participants grâce aux échanges avec d’autres individus vivant ou ayant vécu des expériences similaires, souligne la professeure. Une centaine de personnes, des femmes comme des hommes, pourront bénéficier de l’intervention.»

La chercheuse vérifiera l’acceptabilité de l’intervention, tant auprès des personnes qui la reçoivent qu’auprès des celles qui l’offrent, comme les intervenants en employabilité. Elle examinera également les effets de la combinaison de différentes caractéristiques individuelles et sociales – sexe, âge, appartenance ethnoculturelle – sur l’inclusion professionnelle et le maintien en emploi des personnes vivant avec un trouble mental. «L’addition de ces facteurs et leurs interactions aident à comprendre les obstacles à l’intégration au marché du travail et au maintien en emploi», note Geneviève Sauvé.

La recherche sera menée en collaboration avec des organismes communautaires offrant des services d’employabilité à travers le Québec. «Grâce à une formation particulière, les intervenants des organismes seront outillés afin, notamment, de participer à l’animation des interventions de groupe. Cela facilitera l’implantation de l’intervention auprès des partenaires communautaires.»

La professeure estime que les connaissances issues de la recherche permettront, à plus long terme, de continuer à améliorer Cerveaux@Travail afin qu’elle soit encore plus sensible aux enjeux d’équité, de diversité et d’inclusion.

Geneviève Sauvé est membre de l’Institut des sciences cognitives, de l’Institut Santé et société et du Centre de recherche Douglas, affilié à l’Université McGill et au Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS) de l’Ouest-de-l’Île de Montréal. Elle dirige le Laboratoire de santé mentale axé sur la réintégration au travail (SMART).