À l’occasion du centième anniversaire de naissance de Françoise Sullivan, l’organisme MU a produit la plus haute murale jamais réalisée à Montréal pour rendre hommage à cette figure incontournable de l’art visuel québécois, un projet dont l’UQAM est partenaire. Intitulée Damiers 2023, cette œuvre monumentale de près de 21 000 pieds carrés (surface de 300 pieds de hauteur par 81 pieds de largeur) comprend 33 carreaux colorés de différentes dimensions et se déploie sur la façade de l’hôtel Hyatt Place, à l’angle des rues Sainte-Catherine et Saint-Hubert. Elle a été inaugurée le 2 octobre dernier, en présence de plus de 200 personnes.
«Modèle de courage et d’audace, Françoise Sullivan est une amie et une citoyenne d’honneur de l’UQAM, a souligné le recteur Stéphane Pallage. Cette murale apporte un réel éclat au Village, à notre quartier, à notre milieu de vie. Elle contribue à la dynamisation du centre-ville, à la revitalisation du Quartier latin, un enjeu qui m’est cher et qui nécessite des efforts concertés.»
Présente à l’inauguration de la murale, Françoise Sullivan était visiblement touchée de l’hommage qui lui a été rendu. «Je suis profondément émue, a -t-elle lancé. C’est un événement que je ne pouvais pas attendre ni imaginer. C’est extraordinaire.»
Un travail conjoint
Les maquettes de la murale (une vingtaine) conçues conjointement par Françoise Sullivan et MU s’inspirent de plusieurs des œuvres de l’artiste issues de la série Les damiers. La murale a été réalisée par une équipe de MU, composée de Marianne Blondeau-D’Amour (B.A. arts visuels et médiatiques, 2014), Benjamin Tran, Corinne Lachance, Diane Roe, Jenna Schwartz, Julie Legault-Béliveau et Nikki Küntzle, sous la supervision des artistes Arnaud Grégoire (M.A. arts visuels et médiatiques/création, 2016) et Julien Sicre, coresponsables du projet.
Cette œuvre est la 30e murale de la collection des Bâtisseur·e·s culturel·le·s montréalais·es, lancée par MU en 2010. La collection vise à mettre en valeur la contribution de créatrices et créateurs de la métropole, provenant de différentes disciplines artistiques, au rayonnement local, national et international de la scène culturelle montréalaise. Depuis 2007, MU a réalisé plus de 200 murales dans différents quartiers de Montréal.
Née le 10 juin 1923 à Montréal, Françoise Sullivan est l’une des figures marquantes de l’histoire de l’art du Québec et du Canada. Membre du groupe des Automatistes, elle compte parmi les signataires du manifeste Refus global en 1948. Artiste multidisciplinaire, elle a exprimé son talent à travers la danse, la chorégraphie, la peinture, la sculpture, la photographie et la vidéo au cours d’une carrière de plus de 70 ans, ponctuée par de nombreuses expositions individuelles et collectives au Canada, aux États-Unis et en Europe. Françoise Sullivan a obtenu plusieurs distinctions, dont le prix Paul-Émile Borduas (1987) et le Prix du Gouverneur général du Canada (2005). Membre de la Société royale du Canada, de l’Ordre de Montréal, de l’Ordre du Québec et de l’Ordre du Canada, elle a reçu quatre doctorats honoris causa (Université York, UQAM, Concordia et McGill).
Un legs pour Montréal
«Je suis particulièrement fière de cet hommage monumental, s’est réjouie Elizabeth-Ann Doyle, directrice générale et artistique de MU. Réalisée pour le centenaire de Françoise Sullivan, la murale célèbre le potentiel révolutionnaire de son art et sa contribution exceptionnelle à la scène artistique contemporaine. Ce legs marquera le panorama de Montréal pour les générations à venir.»
«L’œuvre se trouve à un endroit tout indiqué, créant un trait d’union entre le Quartier latin et le Village, a souligné Valérie Plante, mairesse de Montréal et de l’arrondissement de Ville-Marie. La murale apporte un dynamisme unique à un secteur qui a besoin de beauté et d’amour.»
«La murale que nous inaugurons aujourd’hui va non seulement embellir le Quartier Latin de Montréal, elle inspirera les générations futures à poursuivre leur propre quête artistique, à explorer de nouvelles frontières et à repousser les limites de l’expression créative», a poursuivi Chantal Rouleau, ministre responsable de la Solidarité sociale et de l’Action communautaire.
Évoquer une émotion pure
Chez Françoise Sullivan, la couleur évoque une émotion pure et résonne de manière instinctive. «Mon but est de capturer la vibration du moment où l’on ressent une vie intense, de susciter cette sensation d’être pleinement présent dans un instant éphémère», décrit-elle. Cette impression est accentuée par les coups de pinceau expressifs qu’elle utilise et son penchant pour les toiles de grande taille. «Sa technique a souvent consisté à appliquer la peinture avec une spontanéité et une gestuelle rapide, capturant ainsi l’énergie du moment, indique Élizabeth-Ann Doyle. C’est ce que l’équipe de MU a voulu transmettre avec Damiers 2023.»
L’œuvre a été conçue et produite en fonction de la structure verticale et étroite de la façade de l’hôtel Hyatt Place. Les premières semaines, les efforts de l’équipe de MU ont porté sur les couleurs et leur combinaison, puis sur les textures, en tenant compte des demandes de Françoise Sullivan, qui venait observer l’avancement des travaux sur le chantier.
La directrice de la Galerie de l’UQAM, Louise Déry, qui connaît bien le travail de Françoise Sullivan, considère la murale comme une œuvre originale. «Elle reprend le motif du damier. Des décisions formelles et chromatiques ont engendré une configuration nouvelle, principalement le long rectangle vertical, une forme que Françoise Sullivan a très peu utilisée.»
Artiste de la relève montréalaise qui collabore avec MU depuis 2012, le diplômé Arnaud Grégoire a co-supervisé durant deux mois l’équipe ayant travaillé sur la murale. «Ce fut un privilège de collaborer avec Françoise Sullivan, un monument de l’art au Québec, raconte-t-il. À la fois généreuse et exigeante, elle sait ce qu’elle veut. Cette murale plus grande que nature est à sa mesure. La réalisation de l’œuvre a représenté plusieurs défis, dont celui de faire interagir peinture et architecture, ce qui n’est pas fréquent en art mural.»
Attachée au Quartier latin
«Françoise Sullivan est très attachée au Quartier latin où des écrivains et artistes qu’elle admire ont vécu et se rencontraient, note Louise Déry. Pendant les années 1940, la mère de Claude et Pierre Gauvreau, autres membres du groupe des Automatistes, organisait des soirées littéraires et des expositions, et accueillait régulièrement les jeunes artistes liés à l’automatisme, dont Françoise Sullivan.»
Selon Louise Déry, cette appréciation est vérifiable si l’on considère l’œuvre réalisée par Françoise Sullivan pour l’exposition Corridart en 1976, La légende des artistes, «laquelle consistait en un parcours de plusieurs vitrines le long de la rue Sherbrooke renfermant des documents sur ses héros légendaires, notamment Paul-Émile Borduas, Jean-Paul Riopelle et Claude Gauvreau.» Comme cette œuvre, et l’ensemble de l’exposition Corridart, a été démantelée en pleine nuit par l’administration de l’ancien maire Jean Drapeau, mais qu’il en est resté quelques fragments découverts dans ses archives, Françoise Sullivan a repris le propos en 2016 pour l’exposition Trajectoires resplendissantes. Elle a alors créé Obscène, qui se trouve maintenant dans la collection de l’UQAM. Œuvre-manifeste, Obscène constitue une mise en garde contre les possibles dérives du conservatisme culturel et de la censure.
Liens féconds avec l’UQAM
Des liens féconds ont été tissés entre Françoise Sullivan et l’UQAM, notamment avec Louise Déry, qui a exposé son travail à de nombreuses reprises en plus de lui dédier plusieurs publications. Le 11 mai dernier, la Galerie de l’UQAM, sous le commissariat de Louise Déry, a procédé au double lancement de l’exposition virtuelle et de la publication intitulées Françoise Sullivan. Une ligne imaginaire / An Imaginary Line. Ces deux projets dévoilent plusieurs œuvres inédites de Françoise Sullivan, qui permettent de retracer les expérimentations menées par l’artiste dans les années 1970. Cet événement, qui s’est déroulé en présence de Françoise Sullivan, constituait le coup d’envoi des célébrations de son centième anniversaire de naissance.
Plusieurs autres personnalités ont assisté à l’inauguration de la murale, dont Laura Montereau, chargée de communication à Art of Canada, Manuela Goya, vice-présidente – Développement de la destination et Affaires publiques de Tourisme Montréal, Louis Barruel, vice-président/gestion des actifs à Hyatt Place Montréal Centre-Ville, ainsi que des représentantes et représentants de différents organismes partenaires du projet.
Une œuvre rare à l’encan
Un encan spécial est organisé pour financer la phase 2 du projet de murale Damiers 2023, Le collectif Art of Canada, principal partenaire du projet, met à l’encan une œuvre rare de Françoise Sullivan. Faisant partie de la série des Damiers, l’œuvre Red Only No, 1 est vendue au profit de MU afin de bonifier la murale avec éclairage et projections vidéo d’œuvres diverses de l’artiste. Ainsi, la murale pourra être visible de jour comme de nuit.
L’encan est ouvert en ligne et par rendez-vous téléphonique jusqu’au 18 novembre 2023 à 14 h.