Pratiquer des sports d’hiver lorsque le mercure indique -14 degrés Celsius n’est pas inhabituel sous nos latitudes. Ce qui l’est, c’est d’installer deux stations météorologiques mobiles avec leur lot d’appareils de mesures, dans le froid mordant, à mains nues pour arriver à serrer les boulons convenablement. C’est le défi qu’ont relevé six étudiantes et deux étudiants en deuxième année du baccalauréat en sciences de la terre et de l’atmosphère (météo et climat), le 24 février dernier, à la station météo située sur le toit du pavillon Président-Kennedy (PK). «C’est la première fois de leur parcours qu’elles et ils manipulaient ces instruments de mesure», souligne la professeure Julie Thériault.
Il est neuf heures en ce vendredi matin et nous sommes dans une salle de classe au sixième étage du pavillon PK. Le cours auquel nous assistons, Laboratoire II, constitue une introduction à l’utilisation de l’instrumentation et de l’observation en sciences de l’atmosphère.
C’est le doctorant et chargé de cours Mathieu Lachapelle qui anime la séance. «Aujourd’hui, nous allons aborder notre troisième expérience du trimestre, soit le déploiement d’un réseau de stations météorologiques, annonce-t-il au petit groupe. L’objectif est de se familiariser avec les différentes étapes d’une sortie sur le terrain: la planification, l’installation des instruments de travail, l’analyse des données, l’explication des mesures avec des notions des sciences de l’atmosphère et la synthèse des résultats.»
Les étudiantes et étudiants sont entre bonnes mains, car Mathieu Lachapelle est rompu aux campagnes de terrain, ayant participé avec Julie Thériault aux projets SPADE dans les Rocheuses en 2019, SAJESS au Nouveau-Brunswick en 2021 et WINTRE-MIX dans la vallée du Saint-Laurent, la vallée du Richelieu et la vallée du Lac Champlain en 2022. Sa thèse en cours porte sur la formation du grésil et la mesure de la neige et du grésil avec un disdromètre optique.
«Une campagne de terrain permet aux météorologues de caractériser la performance d’instruments météorologiques grâce à la redondance des mesures, explique-t-il. Plus on récolte de mesures, mieux on peut comparer l’efficacité de nos différents instruments. Être sur le terrain permet également d’étudier un ou des phénomènes météo en particulier et de comprendre les limites et les avantages des différents modèles numériques.»
Ce matin, deux équipes devront installer chacune un trépied sur le toit du PK et y accrocher les différents instruments de mesure – thermomètre/hygromètre, anémomètre sonique, pluviomètre à bascule, pyranomètre et baromètre – ainsi qu’y raccorder quatre mini stations mesurant également la température et l’humidité. Elles devront ensuite s’assurer de la mise en marche et du bon fonctionnement de l’enregistreur de données et de chaque appareil.
À partir de ces données, les étudiantes et étudiants devront calculer l’incertitude et le biais des thermomètres et des hygromètres, faire des liens entre les mesures réalisées et différents concepts de météorologie vus depuis le début de leur cursus, et comparer les mesures réalisées à la prévision.
Julie Thériault rejoint le groupe tandis que Mathieu Lachapelle termine ses explications. «Avez-vous apporté des vêtements chauds? demande la professeure. Je vous préviens, il faut travailler à mains nues, car c’est impossible de serrer des boulons avec des gants ou des mitaines. Cela dit, remettez rapidement vos mains au chaud lorsque vous n’avez pas à les utiliser.»
Avant de monter sur le toit, on passe au laboratoire pour y récupérer les trépieds et les instruments, bien rangés dans de gros caissons. Mathieu Lachapelle en profite pour expliquer l’utilité de chacun des instruments, la manière de les fixer au trépied et les raccordements à effectuer. Le groupe est prêt à affronter Mère Nature!
«Comme un plan IKEA!»
Sur le toit du pavillon PK, la vue sur le Quartier des spectacles est splendide, mais les étudiantes et étudiants n’auront pas le temps de l’admirer. Mathieu Lachapelle déneige la plateforme sur laquelle sont installés à l’année les instruments fixes de la station météo de l’UQAM, question de faire de la place à chacune des équipes, qui s’affairent déjà à disposer leur trépied. «C’est comme un plan IKEA!», rigole une étudiante en prenant connaissance des instructions détaillées en 17 étapes. Le doctorant Tangui Picart, auxiliaire d’enseignement pour le cours, se joint au groupe pour donner un coup de main.
«Il y a des spécialistes en météorologie qui passent beaucoup d’heures sur le terrain à installer des équipements pour récolter des données, tandis que d’autres sont derrière un écran d’ordinateur toute la journée à analyser les modèles pour effectuer des prévisions et ne mettent jamais les pieds dehors», observe Julie Thériault tandis que les deux équipes effectuent leur tâche. «Au niveau de la maîtrise et du doctorat, il est possible de se spécialiser dans le travail de terrain ou l’analyse de modèles, poursuit-elle. C’est la beauté de la discipline.» La seule constante: il faut maîtriser les outils mathématiques comme les intégrales et apprendre les bases de la programmation pour pouvoir analyser les données. «Ça, on n’y échappe pas!», ajoute-t-elle en riant.
Pendant ce temps, les étudiantes et les étudiants se relaient pour serrer les différents boulons et se réchauffer les mains. «Il faut s’assurer de positionner le trépied face au sud, sinon la tige principale fera de l’ombre au pyranomètre, qui mesure la puissance du rayonnement solaire», prévient Mathieu Lachapelle.
Bientôt, les deux équipes ont fixé la barre transversale qui leur permettra d’accrocher les instruments de mesure. Mathieu Lachapelle fixe les trépieds au sol en les vissant dans la plateforme. «On ne voudrait surtout pas qu’un coup de vent les entraîne», précise-t-il.
Une fois les instruments bien installés sur le trépied, les deux équipes s’attaquent aux quatre mini stations. «En temps normal ce sont des mini stations que l’on positionne à environ 500 mètres l’une de l’autre et qui communiquent avec la station principale, explique Julie Thériault. Les agriculteurs s’en servent souvent pour évaluer la variation des conditions météo dans leurs champs. Pour les besoins de l’expérience de ce matin, les équipes doivent simplement les attacher au trépied principal.»
Pas si simple toutefois, car, pour ce faire, il leur faut utiliser des attaches autobloquantes. Serrer ces attaches par grand vent provoque quelques grimaces, mais les deux équipes y parviennent sans peine. Elles tentent ensuite d’activer les équipements… qui ne répondent pas tout de suite. «Ce doit être à cause du froid», analysent Mathieu Lachapelle et Tangui Picart, qui leur donnent un coup de main.
Une fois le travail complété, les deux équipes prennent fièrement la pose devant leur installation respective. En un peu plus d’une heure, les deux stations météorologiques sont désormais fonctionnelles. «À partir de maintenant, elles transmettront des données aux 10 minutes au logiciel du laboratoire pendant un peu plus d’une semaine», précise Mathieu Lachapelle.
Le doctorant devra ensuite démonter le tout en prévision de la suite, car la séance de ce matin constituait un exercice pour une expérience similaire de récolte de données qui aura lieu au mont Saint-Hilaire à la fin mars. «Je ne nous aurais pas imaginés arriver là-bas sans avoir expérimenté le montage une première fois», souligne une étudiante.
«L’année dernière, nous avons effectué cet exercice en avril, il faisait un peu plus chaud. Si on répète l’expérience dans le froid l’année prochaine, je vais apporter du chocolat chaud pour tout le monde!», promet Julie Thériault.
Les météorologues de l’UQAM
Seule formation dans le domaine à être offerte dans une université francophone en Amérique du Nord, le programme de bac en météorologie de l’UQAM a célébré l’an dernier ses 50 ans d’existence.
Chaque année, plusieurs diplômés sont embauchés comme météorologues ou prévisionnistes à Environnement et Changement climatique Canada ou à MétéoMédia, dont le chef de service, André Monette (M.Sc. sciences de l’atmosphère, 2012), a été formé à l’UQAM.
À l’écran, les météorologues sont devenus, au fil des ans, des pros de la vulgarisation scientifique des phénomènes météo. On doit beaucoup, à cet égard, à la regrettée Jocelyne Blouin (B.Sp. sciences physiques, 1974), qui fut une pionnière à Radio-Canada. Son successeur, Pascal Yiacouvakis (B.Sc. géographie physique, 1985; M.Sc. sciences de l’atmosphère, 1994), qui a pris sa retraite au printemps dernier, maîtrisait lui aussi avec brio la vulgarisation scientifique des phénomènes météo. Il a passé le flambeau à Waldir Da Cruz (B.Sc. sciences de la Terre et de l’atmosphère/météorologie, 2015), auquel Julie Thériault a enseigné.