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Étudier les guerres pour comprendre les sociétés

Un colloque international dressera un bilan des recherches en histoire de la guerre, de 1950 à aujourd’hui.

Par Claude Gauvreau

16 octobre 2023 à 15 h 35

La violence guerrière s’est-elle intensifiée à l’époque moderne? Peut-on faire l’histoire des guerres au prisme des enjeux environnementaux? Quel statut donner aux témoins des conflits? Ces questions et bien d’autres seront débattues lors du colloque international Étudier la guerre qui, du 23 au 25 octobre, réunira à l’UQAM (salle des Boiseries) une soixantaine de spécialistes venus de quatre continents. Organisé par le Groupe de recherche en histoire de la guerre (GRHG), le colloque vise à dresser un bilan de plus de 70 ans de recherches sur l’histoire des guerres, soit depuis les années 1950 jusqu’à nos jours.

«Cet état des lieux transcendera les périodes historiques, les espaces géographiques et les distinctions disciplinaires, adoptant différentes perspectives, qu’elles soient  politiques, sociales, culturelles ou économiques», indique le professeur du Département d’histoire Benjamin Deruelle, directeur du GRHG.

La première partie du colloque portera sur l’historiographie de la guerre et du fait militaire, alors que la seconde abordera les concepts, les outils et les sources mobilisés dans les études. Enfin, la troisième partie décrira les nouveaux domaines de recherche et esquissera les perspectives d’avenir de ce champ d’études que constitue l’histoire de la guerre.

«La particularité de l’histoire de la guerre est d’aborder la guerre comme un objet permettant de comprendre les sociétés du passé et les sociétés actuelles sous différentes facettes.»

Benjamin Deruelle,

Professeur au Département d’histoire

«La programmation du colloque témoigne de la diversification et du renouvellement, depuis 1950, des objets, des sources et des méthodes de la recherche dans le champ des études en histoire de la guerre, observe Benjamin Deruelle. Dans les années 1970 et 1980, par exemple, plusieurs travaux en histoire sociale ont porté sur les combattants: qui ils étaient, d’où ils venaient, pourquoi ils s’engageaient et quelle était leur expérience du combat. Puis, dans les années 1990 et 2000, la violence guerrière, peu abordée jusque-là, est devenue un objet de réflexion important pour les historiens et historiennes, notamment ses fonctions symboliques, stratégiques et politiques.»


De l’histoire militaire à l’histoire de la guerre

Les participants et participantes au colloque se pencheront sur la manière dont l’histoire militaire est devenue l’histoire de la guerre et sur ce qui les distingue. «L’histoire militaire s’est longtemps attachée aux grandes batailles, aux chefs de guerre et aux institutions militaires, note le professeur. Aujourd’hui, l’histoire de la guerre ne s’est pas détournée de ces questions, mais elle est plus englobante. Sa particularité est d’aborder la guerre comme un objet permettant de comprendre les sociétés du passé et les sociétés actuelles sous différentes facettes: les relations entre hommes et femmes, le rôle des pouvoirs politiques et religieux, les rapports entre civils et militaires, les tensions entre histoire et mémoire, etc.»

«Certains historiens insistent sur le fait que l’époque moderne est liée à une volonté  d’humaniser la guerre. D’autres études, au contraire, associent la modernité à une croissance de l’intensité et de la brutalité des conflits, laquelle aurait préparé les guerres totales du 20e siècle.»

Le renouvellement des réflexions sur la guerre se traduit, entre autres, par des questionnements sur la violence. Benjamin Deruelle et la professeure de l’Université de Cergy Émilie Dosquet présenteront justement une communication sur la violence guerrière à l’épreuve de la modernité. «Certains historiens insistent sur le fait que l’époque moderne est liée à une volonté d’humaniser la guerre, relève le chercheur. D’autres études, au contraire, associent la modernité à une croissance de l’intensité et de la brutalité des conflits, laquelle aurait préparé les guerres totales du 20e siècle.» L’objectif de la communication sera de poser les termes du débat et de comprendre pourquoi des chercheurs qui travaillent sur une même époque en arrivent à des conclusions opposées.


Nouveaux domaines de recherche

Le colloque sera l’occasion de s’interroger sur le statut à accorder aux témoignages oraux, écrits ou visuels quand on étudie la guerre. Plusieurs réflexions sur ce sujet ont été menées récemment, notamment à l’occasion de la commémoration de la fin de la Première Guerre mondiale. «Que peut-on tirer des témoignages des personnes qui ont vécu un conflit, ou encore des images de guerre, illustrations, photos, films?, demande Benjamin Deruelle  Comment les interpréter? Ces questions renvoient à l’utilisation des sources dont disposent les historiens, à la façon dont ceux-ci doivent se positionner vis-à-vis de la documentation. Le témoignage peut-il être à la fois un atout et un désavantage pour l’historien?»

Il sera aussi question de l’histoire des guerres en lien avec les enjeux environnementaux et de genre, de la guerre et des milieux naturels ou encore de «l’histoire émotionnelle des expériences d’occupation militaire durant les deux guerres mondiales au 20e siècle».

«La nature elle-même est devenue une arme. On l’a vu récemment en Ukraine quand la Russie a fait sauter des barrages hydro-électriques, entraînant l’inondation de milliers d’hectares et le déplacement de populations.»

Ces domaines de recherche permettent de relire des pans entiers de l’histoire de la guerre et de produire de nouvelles connaissances, estime le professeur. Les historiens se nourrissent, par exemple, des préoccupations contemporaines relatives à l’environnement pour interroger les guerres actuelles et du passé. «Les guerres ont toujours causé des ravages à l’environnement, bien que les armes dont on disposait au Moyen Âge et celles dont on dispose aujourd’hui n’ont pas le même impact, observe Benjamin Deruelle. La nature elle-même est devenue une arme. On l’a vu récemment en Ukraine quand la Russie a fait sauter des barrages hydro-électriques, entraînant l’inondation de milliers d’hectares et le déplacement de populations.»

L’histoire des émotions reliées aux conflits guerriers fait également partie des nouveaux champs d’étude. «Cette histoire a le vent en poupe depuis les années 2000, dit Benjamin Deruelle. Elle s’est surtout développée en histoire médiévale, puis en histoire moderne et en histoire contemporaine. Pensons, notamment, aux études sur la psychiatrie militaire ou encore sur les émotions des combattants.»


Cinéma, affiches et table ronde

Le lundi 23 octobre, à 19 h, un spécialiste des rapports entre le cinéma et l’histoire des guerres, Gaspard Delon, viendra présenter le film Il faut sauver le soldat Ryan, réalisé par Steven Spielberg en 1998. «Ce chercheur expliquera ce que le cinéma de guerre peut apporter à la compréhension du fait militaire et parlera des relations que l’on peut établir entre le cinéma et les questions politiques et de propagande», note le professeur

Des affiches scientifiques réalisées par des étudiantes et étudiants de cycles supérieurs de différentes universités, dont l’UQAM, seront exposées devant la salle des Boiseries tout au long du colloque. Les affiches aborderont différentes thématiques, telles que l’internement des civils au Canada et le rôle des universités québécoises durant la Seconde Guerre mondiale, ou les relations intimes avec l’ennemi durant l’Occupation en France (1940-1944)».

Selon Benjamin Deruelle, le champ des études sur la guerre suscite un intérêt grandissant chez les jeunes chercheurs et chercheuses en histoire, mais aussi en sciences humaines. «Cet intérêt est lié à l’actualité internationale, dont l’avant-scène a été occupée par d’importants conflits militaires depuis le début des années 2000, ainsi qu’au dynamisme de chercheuses et chercheurs qui travaillent au renouvellement des études sur la guerre, souligne Benjamin Deruelle. Les organismes subventionnaires et les universités, qui soutiennent la recherche dans ce domaine, ont saisi l’importance de mieux comprendre les conflits contemporains en travaillant sur ceux du passé.»

Au lendemain du colloque, le jeudi 26 octobre, une table ronde animée par Benjamin Deruelle aura lieu à la librairie Zone libre sur le thème «Pourquoi étudier les guerres du passé aujourd’hui?» L’événement se déroulera de 17 h 30 à 19 h 30 et réunira quatre spécialistes, dont Clifford Rogers, chercheur à la célèbre académie militaire de West Point, aux États-Unis.