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Éruptions volcaniques et glaciation sturtienne: un mystère est résolu

Une équipe de recherche tranche le débat quant aux causes probables d’une ère glaciaire survenue entre 717 et 661 millions d’années.

Par Pierre-Etienne Caza

15 septembre 2023 à 9 h 10

La théorie de la Terre boule de neige (snowball Earth) est un modèle décrivant la Terre comme presque entièrement couverte de glace durant l’ère glaciaire sturtienne, survenue entre 717 et 661 millions d’années. «Le volcanisme constitue l’explication la plus probable à l’origine de cette glaciation qui a duré 56 millions d’années, mais les géochronologues avaient avancé deux hypothèses quant aux mécanismes en cause. Nos recherches ont réussi à trancher le débat», affirme Frédéric Dufour (Ph.D. sciences de la Terre et de l’atmosphère, 2023), premier auteur d’un article faisant état de cette découverte dans Earth and Planetary Science Letters.

Cet article est tiré de sa thèse, dirigée par le professeur du Département des sciences de la Terre et de l’atmosphère Ross Stevenson et codirigée par son collègue Joshua Davies. Les deux professeurs figurent également parmi les cosignataires de l’article.

À la recherche de zircon

Dans le cadre de sa thèse, Frédéric Dufour s’est intéressé à deux épisodes volcaniques importants: l’épisode Mackenzie, survenu il y a environ 1,2 milliard d’années et l’épisode Franklin, survenu entre 725 et 712 millions d’années. «Il s’agit d’éruptions massives ayant duré 1 à 2 millions d’années, ce qui signifie un rejet important de lave et de roches volcaniques, mais on n’avait jamais réussi à obtenir une datation précise des roches issues de ces périodes», souligne Frédéric Dufour. L’article publié dans Earth and Planetary Science Letters concerne l’épisode Franklin.

Frédéric Dufour analysant les roches de l'épisode Franklin du bassin de Fury et Hecla au nord-ouest de l'île de Baffin au Nunavut. Photo: Département des sciences de la Terre et de l’atmosphère, UQAM.

En 2018-2019, le doctorant s’est rendu sur l’Île de Baffin, au Nunavut, un peu au nord-ouest du Groenland, afin de valider les données cartographiques compilées par le passé par d’autres géologues, les mettre à jour et, surtout, récupérer des kilos de roches afin d’en analyser la composition chimique et d’en effectuer la datation. «Évaluer la composition chimique des échantillons est une tâche simple, mais la datation est plus complexe, car pour obtenir des données fiables, il faut y retrouver des minéraux spécifiques», explique-t-il.

Une fois rejeté par un volcan, le magma volcanique se refroidit lentement et se solidifie au fil des ans, en profondeur, avec ou sans cristallisation des minéraux le composant. Les roches magmatiques les plus courantes sont les granites et les basaltes (ou les gabbros). «L’un des minéraux qui permettent de dater une roche avec le plus de précision est le zircon, car il contient de l’uranium et du plomb, formés d’isotopes radioactifs qui renseignent sur l’âge de la roche, explique Frédéric Dufour. Or, le zircon est fréquemment retrouvé dans les granites, mais rarement, ou en très petites quantités, dans les basaltes et les gabbros, qui composaient la majeure partie de mon échantillon.»

Et l’hypothèse retenue est…

L’ère glaciaire sturtienne ayant débuté il y a 717 millions d’années pouvait être expliquée par deux hypothèses, rappelle Frédéric Dufour. «Soit il y a eu une éruption volcanique à la même époque qui a libéré une grande quantité de dioxyde de soufre dans l’atmosphère, ce qui a contribué au refroidissement soudain de la planète, soit la glaciation a été induite par un mécanisme d’altération intensive des basaltes, qui aspirent le CO2 de l’atmosphère pour former des minéraux carbonatés, ce qui réduit drastiquement la température de l’atmosphère. Ce phénomène, appelé basalt weathering, aurait dû survenir 1 à 2 millions d’années avant la période glaciaire pour entraîner cette dernière.»

Les roches du type de celles que Frédéric Dufour a rapportées du Nunavut avaient été datées de manière imprécise il y a une quarantaine d’années. Les résultats des géologues variaient, dans certains cas, de dizaines de millions d’années par rapport à l’âge d’autres roches de l’épisode Franklin, un écart ne permettant pas de départager quelle hypothèse était la plus juste.

Le traitement des roches pour trouver les zircons a demandé beaucoup de temps. «Après quelques analyses infructueuses, j’ai décidé de tenter autre chose en broyant toutes mes roches de gabbro et ça a fonctionné: j’ai pu y découvrir, en minuscules fragments, suffisamment de zircon pour entamer le processus de datation», raconte le chercheur.

Les analyses ont révélé que les roches de l’épisode Franklin se sont formées il y a environ 718 millions d’années. «C’est un million d’années avant la glaciation, et c’est ce qui nous permet d’affirmer que c’est le mécanisme d’altération des basaltes qui est en cause, et donc que la deuxième hypothèse est la bonne», conclut Frédéric Dufour. Les roches magmatiques ont parlé !