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Enquête internationale sur le financement public des musées

Une équipe uqamienne soutenue par le Conseil international des musées vise à repérer les meilleures pratiques.

Par Claude Gauvreau

2 novembre 2023 à 12 h 53

La Chaire de recherche UQAM sur la gouvernance des musées et le droit de la culture a été choisie par le Conseil international des musées (ICOM) pour mener une enquête sur l’état du financement public des musées à travers le monde. Son dossier a été retenu par des instances de l’ICOM dans le cadre d’un appel de recherche lancé l’an dernier. L’équipe de la Chaire qui dirigera l’enquête est composée de son titulaire, le professeur du Département d’histoire de l’art Yves Bergeron, de la professeure du Département des sciences comptables de l’ESG UQAM Lisa Baillargeon et de la juriste Michèle Rivet, vice-présidente du conseil d’administration du Musée canadien pour les droits de la personne.

«L’enquête internationale a pour objectifs d’identifier les principaux facteurs ayant un impact sur le financement public et le fonctionnement des musées», précise Yves Bergeron, qui est aussi directeur de l’Institut du patrimoine de l’UQAM.

Pour mener l’enquête à bien, la Chaire a créé l’Alliance internationale de recherche sur le financement public des musées (IRAPFM). Celle-ci regroupe le Musée national des beaux-arts du Québec, l’Université Te Herenga Waka Victoria de Wellington, en Nouvelle-Zélande, l’Université de Barcelone, en Espagne, et l’Universidade Federal Do Est Ado do Rio de Janeiro, au Brésil. Des chercheuses et chercheurs de l’Inde et de l’Afrique du Sud se sont joints également à l’Alliance.

Organisme voué à la conservation et à la transmission du patrimoine culturel mondial, l’ICOM a été fondé par l’UNESCO en 1946. Chapeautant le réseau international des musées, il a créé des comités nationaux dans différents pays, dont le Canada, et comprend aussi des comités thématiques associés aux diverses catégories de musées. «Lors de son assemblée générale à Kyoto, au Japon, en 2019, l’ICOM avait soumis une nouvelle définition des musées, insistant sur leur rôle social, leur contribution au développement durable, à la démocratisation de la culture et à la justice sociale, rappelle le professeur. Cela témoignait de changements importants au sein de la culture muséale.»

Le fait que l’ICOM ait choisi la Chaire constitue une belle marque de reconnaissance de l’expertise de l’UQAM dans les domaines de la muséologie et du patrimoine, mais aussi dans ceux de la gouvernance et du droit de la culture, note Yves Bergeron. «Aux étudiantes et étudiants en muséologie, qui sont emballés par la culture, je dis toujours que les musées, c’est aussi de la politique, de l’économie et du droit. Au Canada, nous avons des lois et des codes d’éthique qui réglementent et encadrent la gestion des musées.»


Crise financière et pandémie

Le projet d’enquête internationale répond à une préoccupation présente dans le réseau muséal de plusieurs pays. En effet, depuis quelques années, divers gouvernements ont eu tendance à réduire leur appui financier aux musées.

«Depuis la crise financière de 2007-2008, notamment, on a observé des transformations majeures dans les modes de financement des musées, souligne le professeur. Alors que les États choisissaient d’investir moins d’argent dans le réseau muséal, le mécénat et les revenus autonomes – billetterie, commandites, location d’espaces, vente de produits dérivés – sont devenus des facteurs clés du développement des musées. Pensons aussi aux grandes expositions de type blockbuster qui attirent les foules et les commanditaires, permettant ainsi de renflouer les caisses.»

La pandémie a eu, par ailleurs, un impact important sur les revenus des musées, contribuant à les fragiliser. «Tout s’est trouvé bloqué, notamment les expositions internationales qui circulent d’un pays à l’autre, illustre Yves Bergeron. Cela a fait réfléchir les musées sur les risques que comportent de tels projets. Montrer une exposition internationale, cela peut représenter cinq à sept années de travail.» Comparativement à d’autres pays, le Canada s’en est plutôt bien sorti. «Plusieurs musées canadiens ont bénéficié de fonds publics supplémentaires pour traverser la crise sanitaire et développer l’offre numérique. Les musées qui offraient des sites web intéressants et des expos virtuelles ont réussi à tenir le coup.»

On a vu également des citoyens se mobiliser pour soutenir les musées. Ce fut le cas aux États-Unis, où les fondations des musées ont perdu des sommes importantes. Mais le capital a été reconstitué grâce aux dons des mécènes et des citoyens. De plus, le nombre de souscripteurs et d’amis a connu une hausse importante, permettant d’empêcher la fermeture de musées dans certains centres urbains.

L’enquête tracera l’évolution récente du financement public et vérifiera dans quelle mesure celle-ci menace le développement des musées. «Nous voulons identifier les stratégies de financement et les modes de gestion adoptés par les musées, note le professeur, tout en sachant que les conditions varient beaucoup selon les pays et leur contexte économique et politique. Le Brésil, par exemple, a été peu affecté, car il abrite plusieurs musées communautaires fonctionnant avec de petits budgets et reposant sur le bénévolat. En Chine, qui a inauguré le plus grand nombre de musées depuis 20 ans, tout relève de l’État et le financement est stable. Dans d’autres pays, toutefois, des musées ont dû fermer leurs portes.»


Une enquête à deux volets

Le projet d’enquête comporte deux volets complémentaires, statistique et qualitatif. Un questionnaire a été envoyé aux 124 comités nationaux de l’ICOM. «Ce volet statistique représente le principal défi parce qu’il faut s’assurer que tous les pays répondent et que les données soient fiables», observe Yves Bergeron. Le questionnaire vise à identifier des tendances. Par exemple, que recouvre aujourd’hui l’expression financement public? Celui-ci est-il plus ou moins élevé qu’avant la pandémie? Quels types de baisses se produisent et avec quel impact? Comment les musées réagissent-ils?

Pour le volet qualitatif, l’Alliance créée par la Chaire a formé cinq équipes de recherche et chacune d’elles ciblera sur tous les continents une vingtaine de musées. L’enquête qualitative, pilotée par Michèle Rivet, vise à dresser un panorama des différents modes de financement (publics, privés, mixtes), en identifiant les musées qui ont le plus recours à l’aide publique et ceux qui innovent afin de repérer les meilleures pratiques. «Dans plusieurs pays anglo-saxons, le financement privé occupe une place importante, alors que d’autres pays ont adopté des modèles hybrides, indique le professeur. Il n’est pas rare, par exemple, de voir des musées privés recevoir une aide financière par l’entremise de programmes gouvernementaux en culture, en sciences ou en tourisme.»

L’enquête couvrira les plus importantes catégories de musées – art, sciences et technologies, société –, en accordant une attention particulière aux musées nationaux financés par l’État. «Les musées d’art sont souvent les mieux financés, notamment parce que les mécènes et les grandes entreprises aiment être associés à la culture avec un grand C, remarque Yves Bergeron. Les musées de sciences et de société ont plus de difficulté à trouver du financement privé.» Quant aux musées nationaux, ils donnent le ton et servent de baromètre pour l’ensemble des institutions muséales. «Ils sont des outils de développement identitaire, voire de diplomatie culturelle, dit le professeur. Il suffit de penser aux négociations d’accords internationaux pour la circulation des grandes expositions.»

Amorcé en juillet 2023, le projet de recherche se poursuivra jusqu’à la fin de 2024. Le rapport final sera diffusé via une série de webinaires et une publication. Les résultats circuleront dans le vaste réseau de l’ICOM et dans celui des universités offrant des programmes en muséologie et patrimoine.


Fréquentation en hausse

Malgré les difficultés économiques, la fréquentation des musées ainsi que des lieux de patrimoine culturel et historique est en hausse partout dans le monde depuis une vingtaine d’années, y compris au Québec et au Canada.

Selon Yves Bergeron, plusieurs facteurs expliquent ce phénomène. «Le fait que le niveau de scolarité des populations ait augmenté dans plusieurs pays alimente l’intérêt pour la culture. Les gens voyagent aussi davantage et la visite de musées est l’une des activités privilégiées des touristes. Enfin, les musées offrent plus d’expositions, d’événements et d’activités éducatives ou ludiques, notamment pour les jeunes.»

Voilà autant de raisons qui militent en faveur du financement public des musées, croit le professeur. «L’enquête permettra d’élaborer des recommandations à l’intention des musées – notamment des modèles économiques adaptés à leurs besoins –, des agences de financement et des gouvernements nationaux. Elle pourra aussi servir de levier dans les représentations des musées auprès de leurs gouvernements.»