Le cours Langues autochtones de l’Amérique du Nord présente les aspects linguistiques, historiques et sociaux des langues autochtones sur le continent nord-américain. «Nous analysons les débats sur les origines, la classification et la diversification des langues autochtones, faisons un survol de leurs propriétés grammaticales les plus intéressantes et identifions les facteurs de mise en péril ainsi que les approches pour les préserver», mentionne Richard Compton, professeur au Département de linguistique et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en connaissance et transmission de la langue inuite, qui a créé le cours en 2017 et qui l’enseigne encore aujourd’hui.
Lors de la séance du 22 février, Richard Compton avait invité la linguiste Véronique Legault (B.A. linguistique, 2019) à raconter l’évolution de la langue kanien’kéha – aussi connue sous le nom de langue mohawk – à Kahnawà:ke. Cette communauté de la Rive-Sud de Montréal compte quelque 10 000 habitants, dont moins de 10 % parleraient le kanien’kéha. «C’est très difficile d’obtenir des statistiques démographiques précises, puisque les gens de notre communauté sont réticents à répondre au recensement de Statistique Canada», souligne la linguiste, dont le père est francophone et la mère est autochtone, et qui fait partie d’une minorité de Kanien’kehá:ka à avoir le français comme langue maternelle.
Valoriser la langue et la culture
Le kanien’kéha est une langue polysynthétique, c’est-à-dire que les mots sont composés de plusieurs morphèmes. «Par exemple, la phrase “Nous y retournons acheter du poli noir pour le four à bois” s’écrit en un mot et devient “tontaionkwatenonhsatariha’tahkhwahtsherahontsistahkhwahtsherastarathe’-tahkhwahtsheratkehrontakwenhátie”», illustre Véronique Legault.
La langue a connu un important déclin au tournant des années 1900. Les écoles étaient alors administrées par les religieux. «Nos écoles n’étaient pas des pensionnats à proprement parler puisque les enfants retournaient à la maison le soir, mais l’impact sur notre langue a été aussi dévastateur que dans les pensionnats, raconte la linguiste. Seulement une poignée de famille ont réussi à transmettre le kanien’kéha de génération en génération.»
Le mouvement de revitalisation de la langue a débuté à la fin des années 1970. À l’automne 1978, des étudiants autochtones fréquentant l’école secondaire Howard S. Billings de Châteauguay ont créé, avec l’aide de leurs parents et de membres de la communauté, la Kahnawà:ke Survival School, dont la mission est de préserver la langue, les croyances et les traditions de la communauté. Un centre culturel visant à revitaliser la langue et la culture est également créé la même année, puis le Centre d’éducation chapeautant les deux écoles primaires et l’école secondaire de Kahnawà:ke est fondé au début des années 1980.
En 1988, des mères autochtones fondent l’école indépendante Karihwanoron, qui accueille un très petit nombre d’élèves par classe. «La particularité de cette école est que l’on y parle uniquement le kanien’kéha, explique Véronique Legault. Bien que fréquentée par un petit nombre d’enfants, cette école a eu des impacts positifs importants sur la revitalisation de notre langue.»
D’autres institutions ont aussi été créées pour préserver la langue. Au milieu des années 2000, une aînée de la communauté a fondé le Iakwahwatsiratátie Language Nest, un lieu d’immersion où les parents et leurs enfants de moins de quatre ans peuvent apprendre la langue dans un milieu familier. «Joindre ce groupe a été la meilleure décision de toute ma vie, raconte la maman de deux jeunes enfants. Les jeunes apprennent beaucoup en faisant des activités, comme aller recueillir de l’eau d’érable dans le bois.» La linguiste ajoute que l’aînée qui a démarré ce groupe a des connaissances d’une richesse inestimable, tout comme toutes les personnes qui ont le kanien’kéha comme langue maternelle. «Chaque fois que nous perdons un aîné, c’est une véritable catastrophe pour notre communauté.»
Selon Véronique Legault, certains événements de l’histoire du Québec, comme la loi 101, la crise d’Oka et la loi 96, ont galvanisé la communauté. «Les Kanien’kehá:ka ont la réputation d’être les premiers peuples autochtones à se fâcher et à revendiquer, commente-t-elle. Cette résilience fait en sorte que notre langue, dont on prédisait qu’elle allait s’éteindre il n’y a pas si longtemps, est tranquillement en train de revivre.»
Le cours Langues autochtones de l’Amérique du Nord est offert aux étudiantes et étudiants d’une dizaine de programmes de premier cycle et aux personnes qui souhaitent faire des études libres.