La discrimination au travail vécue par les personnes LGBTQ2+ est bien documentée. Plusieurs enquêtes menées à travers le monde – notamment au Canada, aux États-Unis, en France et en Suisse – rapportent que plus de 30 % de ces personnes vivent de la discrimination sur la base de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre. Pour les 70 % de personnes qui ne vivent pas de discrimination, le quotidien au travail n’est pas vraiment plus facile à vivre. «Les personnes LGBTQ2+ doivent constamment adopter des stratégies pour éviter de se retrouver dans des situations de discrimination», affirme la chercheuse postdoctorale Émilie Morand.
Cet état permanent d’hypervigilance alourdit leur charge mentale, souligne la chercheuse. «Chaque jour, les personnes LGBTQ2+ sont confrontées à des choix: dois-je réagir à la petite blague à connotation sexiste ou homophobe d’un collègue? Est-ce que je dévoile mon orientation ou non? Si je le fais, de quelle façon dois-je m’y prendre? La personne qui s’affiche doit aussi en gérer les conséquences: le malaise, la gêne ou la surprise de certains collègues.»
Après avoir fait sa thèse doctorale à l’Université Paris-Descartes sur la diversité sexuelle au travail, Émilie Morand a amorcé son postdoctorat à l’UQAM à l’automne 2020. Elle fait partie de l’équipe de la Chaire de recherche sur la diversité sexuelle et la pluralité des genres, dirigée par le professeur Martin Blais du Département de sexologie, et a contribué au projet de recherche Savoirs sur l’inclusion et l’exclusion des personnes LGBTQ (enquête SAVIE-LGBTQ). Un livre rassemblant ses recherches devrait être publié au cours des prochains mois.
«Une identité qui n’est pas la nôtre»
Le contexte d’hétéronormativité qui prévaut dans de nombreux milieux de travail est particulièrement difficile à gérer pour les personnes de la communauté LGBTQ2+, soutient la chercheuse. «Par défaut, tout le monde est vu comme hétéro, déplore celle qui se définit elle-même comme membre de la communauté. On nous colle une identité qui n’est pas la nôtre et on doit la déconstruire, pour ensuite reconstruire une image qui est en écart par rapport à la norme.»
L’orientation sexuelle et l’identité de genre faisant partie du domaine privé, est-ce vraiment nécessaire de les dévoiler publiquement à ses collègues? «On ne se rend pas compte que les personnes hétéros parlent très souvent de leur vie privée, de leur conjoint ou conjointe, de leurs enfants, rappelle Émilie Morand. Un jour ou l’autre, les questions émergent, on se fait demander si on est en couple ou si on viendra accompagné au souper de Noël.»
Le moment approprié pour dévoiler son orientation sexuelle est aussi un sujet complexe. «Dans l’enquête SAVIE-LGBTQ, des personnes m’ont confié que des collègues leur avaient reproché d’avoir fait leur coming out trop tôt, que c’était indécent de le dire aussi vite, mentionne la chercheuse. À l’inverse, si elles attendaient trop longtemps, elles se faisaient accuser de ne pas l’avoir dit avant. Cette temporalité est très contraignante.»
Lorsque vient le temps d’aborder la vie privée d’une ou d’un collègue de travail, la chercheuse recommande aux personnes hétérosexuelles d’éviter d’«hétérosexualiser» les questions. «Par exemple, si on me demande “As-tu un copain?”, ce sera difficile pour moi de dire “Non, je n’ai pas de copain, mais j’ai une copine”, explique la postdoctorante. Si on me demande “As-tu un copain ou une copine?”, ça offre un espace pour le dire et ça facilite énormément le coming out.»
Émilie Morand affirme que la diversité sexuelle est plus facilement acceptée au Québec qu’en France, mais qu’il y a encore beaucoup de chemin à faire. «Au Québec, on a tendance à normaliser l’homosexualité si elle suit la norme, c’est-à-dire un homme gai ou une femme lesbienne qui est monogame ou qui veut adopter un enfant, dit-elle. Mais pour les personnes qui n’adoptent pas ce mode de vie, comme une femme queer ou un homme bisexuel, dévoiler son orientation au travail est encore très difficile.»