L’innovation sociale est aujourd’hui sur toutes les lèvres. Les gouvernements développent des programmes ou des politiques autour de cette thématique. Des groupes communautaires et entreprises d’économie sociale s’en réclament. Des fondations philanthropiques l’incluent dans leurs orientations stratégiques et les universités créent des programmes d’étude en gestion de l’innovation sociale. Mais qu’en est-il des citoyens et citoyennes qui, à différents niveaux, s’engagent à transformer leur milieu de vie en développant des projets visant à répondre à des problèmes sociaux qui les touchent?
Pour répondre à cette question, le doctorant en administration Marc D. Lachapelle a mis sur pied, en mars 2022, le projet «Perspectives et dialogue en innovation sociale», qui vise à ouvrir le milieu de la recherche à des initiatives citoyennes porteuses d’innovations sociales. Le projet a été financé par le Centre de recherches en innovations sociales (CRISES), auquel le doctorant est rattaché, et par le programme Dialogue – volet relève étudiante – des Fonds de recherche du Québec, dont l’objectif est de soutenir l’engagement de chercheuses et chercheurs universitaires dans des activités de communication et de vulgarisation scientifiques auprès du grand public.
«Quand on parle d’innovation sociale ou quand on cherche à la définir, les voix citoyennes sont trop souvent exclues, affirme Marc D. Lachapelle. C’est pourquoi j’ai voulu, avec d’autres étudiantes et étudiants, aller à la rencontre de citoyennes et de citoyens de différentes régions du Québec – Montréal, Sherbrooke, Québec et le Saguenay-Lac-Jean – tous engagés bénévolement dans des causes porteuses d’émancipation collective et de justice sociale.»
Le projet a germé en 2018-2019 dans le cadre d’un cours de maîtrise, «Concevoir et gérer l’innovation sociale», donné à HEC Montréal par le doctorant et la professeure Chantale Mailhot, directrice adjointe du CRISES. «C’est alors que nous avons eu l’idée de sortir du cercle restreint des spécialistes et de croiser les savoirs, expériences et perspectives en matière d’innovation sociale, issus de la pratique de groupes de citoyens et de la recherche, afin de mieux réfléchir à son potentiel transformateur», explique Marc D. Lachapelle.
Ateliers et balados
Le projet «Perspectives et dialogue en innovation sociale» s’est déroulé en deux étapes. La première consistait à mettre en place des ateliers d’échanges et de réflexion avec des groupes de citoyens, lesquels se sont tenus entre mars et août 2022. Au cours de la seconde étape, une série de cinq balados, destinée au grand public, a été produite afin de décrire les thématiques et questionnements ayant émergé des discussions en atelier.
À Montréal, un atelier s’est tenu dans le cadre de l’école d’été de l’Institut du nouveau monde, dont le thème était la transition socio-écologique et démocratique. «Plus de 300 jeunes se sont réunis pour réfléchir au type de changement qui s’impose dans un contexte d’urgence climatique, afin d’adapter nos modes de vie et nos systèmes de production et de consommation, tout en tenant compte des inégalités sociales», précise Marc D. Lachapelle.
Un autre atelier a eu lieu à Québec. Il réunissait des membres de la Table citoyenne Littoral Est, un organisme communautaire qui vise à mobiliser les citoyens des quartiers Maizarets, Vieux-Limoilou et Vieux-Moulin autour d’enjeux d’aménagement urbain, d’habitation et d’environnement. «La Table a pour projet, notamment, de convertir un garage municipal en centre social autogéré, note le doctorant. Elle s’est aussi opposée à des projets de développement industriel et commercial susceptibles de nuire à la qualité des vie des résidents.»
À Sherbrooke, Marc D. Lachapelle et son équipe ont rencontré des responsables du café de quartier Le Baobab. Ce café organise des événements socio-culturels et crée des projets d’art social avec des artistes professionnels. «Axés sur l’éducation populaire ainsi que sur le rapprochement interculturel et intergénérationnel, les projets du café cherchent à briser l’isolement et à renforcer l’inclusion et la cohésion sociales», indique Marc D. Lachapelle.
Enfin, l’atelier tenu au Saguenay-Lac-Sant-Jean a rassemblé des citoyens impliqués dans l’initiative Le Grand dialogue régional pour la transition. «L’objectif de la démarche est de mobiliser toutes les personnes intéressées, pas seulement des militants, à construire une feuille de route pour la transition socio-écologique, depuis le nord du Lac-Saint-Jean jusqu’à Petit Saguenay.»
Des profils diversifiés
Ces groupes de citoyens n’ont pas été ciblés au hasard, note le jeune chercheur. «Nous voulions rencontrer des groupes avec des profils diversifiés. Certains citoyens en étaient à leur première expérience d’engagement social, alors que d’autres étaient plus aguerris. La plupart des initiatives ou projets avaient un fort ancrage territorial, une dimension chère à leurs protagonistes.»
Tous les citoyens et citoyennes ne percevaient pas l’innovation sociale de la même façon, indique Marc D. Lachapelle. «Si certaines personnes manifestaient un vif intérêt pour le concept et souhaitaient se l’approprier, d’autres exprimaient une forme d’appréhension, considérant l’innovation sociale comme un nouveau buzzword ou un effet de mode. Pour plusieurs citoyennes et citoyens, parler d’innovation sociale, c’est parler de valeurs de justice et de solidarité, d’expérimentations, de créativité, de travail, de petites victoires et de défaites aussi.»
Chose certaine, tous et toutes ont reconnu l’importance de prendre du recul et d’avoir une posture réflexive sur les projets dans lesquels ils sont impliqués et sur leur propre engagement personnel, poursuit le doctorant. «La littérature scientifique nous dit que l’innovation sociale consiste à trouver des solutions à des problèmes sociaux, ou qu’elle renvoie à n’importe quelle initiative contribuant à changer le système social. Mais comment l’innovation sociale prend-elle forme concrètement? Quels résultats peut-elle amener? Et qui fait de l’innovation sociale? En tant que chercheur, les ateliers m’ont permis de prendre davantage conscience de la complexité de l’innovation sociale sur le terrain, et aussi du mélange d’émotions – indignation, frustration, joie, espoir, fierté – qui nourrit l’engagement citoyen. C’est de tout cela dont témoignent les balados.»
Les discussions en atelier ont été enregistrées en vue de nourrir les contenus des balados. «Chacun d’eux porte sur une thématique particulière: l’engagement citoyen, l’enracinement de l’innovation sociale dans un territoire, le processus de l’innovation sociale et ses retombées», note Marc D. Lachapelle. Les balados ont fait l’objet de deux lancements, dont le premier avec les participantes et participants aux ateliers. «Les gens ont pu constater qu’ils étaient confrontés à des défis similaires et partageaient plusieurs valeurs, même s’ils faisaient face à des enjeux différents.»
Outils de communication et de vulgarisation, les balados sont disponibles sur le site web du CRISES et sur plusieurs autres plateformes, dont Spotify et Apple Music. «Nous les avons conçus afin de nourrir la réflexion sur l’innovation sociale et pour stimuler l’engagement citoyen », souligne le doctorant.
L’équipe du projet «Perspectives et dialogue en innovation sociale» était composée également de Mélanie Claude, coordonnatrice scientifique au CRISES, Catherine Boily et François Gélinas, étudiants à la maîtrise en gestion de l’innovation sociale, Marie Beigas, étudiante à la maîtrise en sciences de l’environnement, et Jade St-Georges, doctorante en administration à l’Université Laval.
Marc D. Lachapelle poursuit sa recherche doctorale sous la direction de la professeure du Département d’organisation et ressources humaines Valérie Michaud. «Mon projet de thèse porte, notamment, sur les tensions au sein des groupes communautaires et des organisations militantes entre les objectifs économiques et la mission sociale, entre le fonctionnement démocratique et la recherche de l’efficacité.»