En quelques jours, le nombre d’hectares de forêt qui ont brûlé a fracassé les records enregistrés pour cette période de l’année au Québec. Et tous les experts sont unanimes: avec les changements climatiques qui s’accélèrent, le désastre auquel on est en train d’assister risque de se reproduire de plus en plus souvent. Pour le professeur du Département des sciences biologiques Christian Messier, qui prône depuis des années une nouvelle façon d’aménager la forêt, il serait temps que les autorités se mettent à l’écoute des scientifiques et changent les règles du jeu en matière de foresterie.
Dans La Presse du 9 juin, le professeur cosigne avec des collègues chercheurs un appel dans ce sens: «Pourquoi pas un plan Marshall pour nos forêts?». En référence au célèbre plan adopté après la Deuxième Guerre mondiale pour aider à la reconstruction de l’Europe, le plan proposé par Christian Messier vise à accélérer l’adaptation de la forêt québécoise pour augmenter sa résilience face aux changements climatiques.
«Je veux convaincre le gouvernement que ce que nous proposons ne s’oppose pas à la coupe forestière, souligne le biologiste en entrevue. Au contraire, la coupe peut être utilisée pour mieux aménager la forêt.»
Modifier la réglementation
Pour cela, il faut toutefois une modification de la réglementation encadrant la gestion des forêts, comme il le rappelle dans son texte. «La loi actuelle oblige les compagnies forestières à favoriser quelques conifères vedettes, en gros ceux avec lesquels on fait des deux par quatre, explique Christian Messier. Ce n’est pas ce qu’il faut faire. Il faut profiter des coupes forestières pour favoriser une diversification des espèces.»
Selon la réglementation actuelle, les entreprises forestières doivent s’assurer que la forêt qui repoussera après une coupe sera composée, au cours des 150 prochaines années, des mêmes essences dans les mêmes proportions, précise le chercheur. Ce faisant, la loi favorise le statu quo: des forêts très peu diversifiées, vulnérables au feu, à la sécheresse, aux insectes, aux maladies.
Maximiser la diversité
«La coupe et l’aménagement forestier devraient prioritairement être utilisés pour maximiser la diversité des espèces selon leur capacité à résister et répondre favorablement aux différentes perturbations, suivant le principe de diversification fonctionnelle, sans trop se soucier de l’utilisation commerciale de ces espèces lorsqu’elles deviendront matures dans 50 à 100 ans», écrivent les auteurs de la lettre publiée dans La Presse.
Selon Christian Messier, il est impossible, compte tenu des changements sociaux et technologiques, de prédire quelles essences d’arbres seront les plus rentables économiquement dans un siècle. «Le meilleur exemple, c’est la pâte à papier journal, dit-il. Comment aurait-on pu prévoir, il y a 100 ans, que nos besoins en pâte à papier allaient chuter comme c’est le cas aujourd’hui? Ce qu’il faut, c’est viser une forêt résiliente, qui s’adapte aux nouvelles conditions climatiques. Si on a une forêt adaptée et en santé dans 50 ou 100 ans, il n’y pas à s’inquiéter: il y aura des débouchés commerciaux pour les arbres.»
Le but, mentionne-t-il, n’est pas de transformer la forêt boréale du tout au tout, mais de mettre fin au règne sans partage de l’épinette. Dans les zones les plus sensibles au feu, il faudrait viser l’établissement de peuplements mixtes, avec des essences adaptées au feu comme les pins gris et rouge et le peuplier, en plus d’y maintenir une certaine proportion d’épinette noire, de sapin et de bouleau blanc. Plus au sud de la forêt boréale, le professeur croit qu’on doit accélérer la migration naturelle d’espèces comme le chêne rouge ou encore l’érable à sucre, des feuillus qui résistent mieux au feu et qui en réduisent la propagation.
Un écosystème en santé et dynamique
La même logique de diversification s’applique au portefeuille financier dans lequel on place ses fonds de pension, note le professeur. «Pour minimiser les risques, on fait des placements dans différents domaines économiques: dans les mines, dans l’immobilier, dans les technologies. Dans la forêt, on veut des espèces tolérantes à la sécheresse, d’autres qui se régénèrent bien après le feu, des feuillus versus des conifères, des arbres qui ont des enracinements profonds les rendant résistants aux vents, d’autres qui favorisent le recyclage des éléments nutritifs dans le sol. Ce sont des fonctions différentes qui améliorent la capacité de maintenir un écosystème en santé et dynamique, plus résilient.»
Contrairement à ce qui se fait dans l’Ouest, où l’on plante beaucoup d’arbres, on laisse souvent la forêt québécoise se régénérer naturellement après une coupe forestière. Environ 30% seulement des surfaces coupées sont replantées. «Comme il y a souvent une bonne régénération des sapins baumiers et des épinettes dans le sous-bois, on laisse les arbres pousser et on intervient seulement pour éliminer les feuillus», explique Christian Messier.
Avec le plan qu’il propose, il faudrait, au contraire, encourager la croissance des feuillus, soit en les laissant pousser naturellement, soit en implantant de nouvelles espèces dans la forêt boréale. «Cela se fait déjà en Colombie-Britannique, où on a commencé à planter des arbres qui poussent naturellement en Oregon, dans l’État de Washington et même en Californie, observe Christian Messier. Cela se fait aussi en Europe.»
Des érables à sucre en Abitibi
Au Québec, où la réglementation interdit pour l’instant de changer la composition de la forêt, les essais visant à implanter de nouvelles essences au nord sont encore timides. Mais il y en a, assure le chercheur, et cela fonctionne. «Il y a des chercheurs du gouvernement qui font des expériences depuis quelques années. En Abitibi, mon collègue Yves Bergeron a planté de l’érable à sucre et ça pousse très bien! Il y a 40 ans, cela n’aurait pas été possible, mais aujourd’hui oui, à cause du réchauffement climatique, et ce sera encore plus vrai dans 40 ans.»
Selon le professeur, on aurait tout avantage à favoriser la migration de l’érable à sucre, car le sud du Québec pourrait devenir, d’ici 75 à 100 ans, trop chaud et trop sec pour cette espèce. Considérant que la capacité de se déplacer de cet arbre emblématique est de seulement un kilomètre tous les 100 ans, il faudra l’aider un peu. «Si on laisse faire la nature, on n’y arrivera pas, dit Christian Messier. Les changements climatiques sont beaucoup trop rapides.»
L’ampleur des feux qui ont embrasé le Québec et le reste du Canada cette année pourrait servir de déclencheur auprès des politiciens, espère le chercheur. Déjà, la ministre des Ressources naturelles et des forêts, Maïté Blanchette Vézina, a exprimé son désir d’adopter un plan pour améliorer la résistance de la forêt québécoise. Christian Messier en a un à lui proposer.