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Cyberdépendance chez les ados?

La professeure Magali Dufour amorce une étude sur l’utilisation des écrans chez les jeunes de 11 à 14 ans.

Par Pierre-Etienne Caza

10 octobre 2023 à 10 h 44

De plus en plus de jeunes âgés entre 11 et 14 ans se présentent dans les centres de traitement des dépendances, avec leurs parents, pour réclamer de l’aide concernant leur utilisation d’Internet. «Ce n’est pas étonnant en soi que le problème touche désormais des jeunes de ces âges-là, mais c’est surprenant qu’ils viennent frapper aux portes des centres de traitement, analyse la professeure du Département de psychologie Magali Dufour. Habituellement, ils consultent plutôt en CLSC ou en psychologie.»

Apparue sur le radar des experts en santé publique il y a une vingtaine d’années, la cyberdépendance est désormais mieux connue et traitée. Spécialiste du domaine, Magali Dufour a participé au développement d’un modèle de traitement, baptisé Virtu-A, auprès des jeunes adultes âgés entre 15 et 25 ans. «Il s’agit d’un traitement en huit séances destiné aux personnes qui présentent un trouble d’utilisation problématique d’Internet, principalement en lien avec les jeux vidéo et les médias sociaux», précise-t-elle.

Le traitement Virtu-A s’inspire de la tradition cognitivo-comportementale, explique la professeure. «Les premières séances permettent de comprendre la fonction de la dépendance et ses répercussions. Nous travaillons également la gestion des émotions, les habiletés sociales et les compétences de résolution de problèmes. Enfin, nous aidons la personne à mieux comprendre les déclencheurs de ses envies de jouer ou d’utiliser Internet.» Son équipe a formé 125 intervenantes et intervenants dans 20 centres de traitement répartis au Québec. «Nous effectuons un suivi du traitement afin d’en valider l’efficacité», ajoute-t-elle.

C’est cette communauté de pratique avec laquelle la professeure demeure en contact qui a remarqué une demande accrue de traitement chez les plus jeunes. Pour mieux cerner l’ampleur du phénomène, le Fonds de recherche du Québec – Société et culture a lancé le Programme de recherche sur l’utilisation des écrans et la santé des jeunes, dans le cadre duquel Magali Dufour vient d’obtenir un peu plus de 275 000 dollars sur trois ans. «L’objectif de ce nouveau projet de recherche est de dresser un portait des 11-14 ans et de leur famille, précise-t-elle. Nous voulons comprendre pourquoi ils demandent de l’aide, quelles sont les habitudes des jeunes et quels sont leurs besoins.»

Dépendance ou pas?

L’utilisation des écrans constitue un sujet de frictions, voire de conflits perpétuels dans plusieurs familles, la multiplication des appareils et leur miniaturisation ayant facilité l’accès à Internet (et aux jeux vidéo) pour les parents comme pour les enfants. Il y a toutefois une gradation dans l’utilisation des écrans, note Magali Dufour. «Il peut s’agir d’une mauvaise utilisation ou d’une utilisation à risque, mais pas nécessairement de cyberdépendance, explique-t-elle. La cyberdépendance, cela implique l’idée d’obsession et de perte de contrôle avec des conséquences négatives dans la vie du jeune.» Son projet vise à déterminer si on peut réellement nommer «dépendance» ce que vivent ces jeunes âgés entre 11 et 14 ans, et le niveau d’intervention à envisager le cas échéant.

«La cyberdépendance, cela implique l’idée d’obsession et de perte de contrôle avec des conséquences négatives dans la vie du jeune.»

Magali Dufour

Professeure au Département de psychologie

Une chose est certaine: les parents ont souvent tendance à dramatiser l’utilisation des écrans chez leurs enfants, tandis que ces derniers minimisent le temps passé devant la tablette, la console ou la télévision. D’où l’importance d’une étude sur le terrain pour obtenir un portrait juste de la situation.

Pour cela, Magali Dufour souhaite recruter un échantillon de 50 jeunes avec au moins un parent afin de réaliser des entrevues dans les centres de traitement qui accepteront de collaborer au projet. «Une ou deux doctorantes me donneront un coup de main dans le cadre de cette étude», indique-t-elle.

Un réseau structuré

Magali Dufour rappelle que les centres de traitement des dépendances existent depuis de nombreuses années au Québec, offrant des thérapies pour les dépendances aux substances (alcool et drogues) et pour les dépendances comportementales (jeux de hasard et d’argent, Internet). «La dépendance constitue l’un des seuls problèmes de santé mentale qui bénéficie d’un réseau identifié, gratuit et relativement accessible», observe-t-elle.

La question demeure de savoir s’il s’agit du bon endroit pour aider les jeunes de 11 à 14 ans, insiste-t-elle. «Devrait-on offrir des soins dans les écoles? Mieux équiper les CLSC? C’est à ces questions que nous tenterons de répondre.»

Bonifier Virtu-A

Si le portrait confirme un besoin de traitement chez les 11-14 ans, Magali Dufour souhaiterait adapter et bonifier le programme Virtu-A pour en faire un traitement incluant les membres de la famille. «Il faudra alors prévoir une phase de test pour s’assurer de la justesse des interventions proposées», précise-t-elle.

Et les plus jeunes?

Verra-t-on dans quelques années des enfants de 7-10 ans frapper aux portes des centres avec leurs parents? «J’espère que nous n’en arriverons pas là, répond Magali Dufour. La bonne nouvelle, c’est que les parents se préoccupent davantage de l’utilisation des écrans par leurs enfants aujourd’hui qu’il y a 20 ans. À l’époque, on était dans le plaisir, la découverte, les outils d’apprentissage. Aujourd’hui, il y a davantage de campagnes de prévention et de reportages soulignant les impacts néfastes de la surutilisation des écrans.»

On peut trouver des trucs et conseils sur le site pausetonecran.com, qui invite les jeunes adultes, les enfants et leurs parents à poser des gestes pour améliorer leurs habitudes numériques afin de profiter des avantages d’Internet sans en subir les méfaits.