Ghina El Haffar
(Ph.D. administration, 2023)
Titre de sa thèse: «Trois essais sur l’écart entre attitude, intention et comportement de consommation écoresponsable.»
Direction de recherche: Fabien Durif, professseur au Département de marketing de l’ESG UQAM
C’est dans le cadre de sa maîtrise en marketing, réalisée au Liban, que Ghina El Haffar a découvert la consommation écoresponsable. «J’étais intriguée de constater que plusieurs personnes aiment les produits écoresponsables, mais ne les consomment pas. Ce phénomène, qu’on appelle en anglais le green gap, c’est l’écart entre l’intention et l’action en matière d’écoresponsabilité», souligne la jeune chercheuse, qui a soutenu sa thèse en octobre dernier.
Passionnée par son sujet, Ghina El Haffar a créé un blogue et un compte Instagram afin de simplifier et de vulgariser pour le grand public des sujets en lien avec sa thèse. «Je donne régulièrement des ateliers en français et en anglais sur la psychologie de la consommation responsable», ajoute celle qui a été assistante de recherche au Green UX Lab dirigé par Fabien Durif pendant son parcours uqamien, et qui est également chargée de cours au Département de marketing.
Arrivée au Québec en 2017 pour effectuer son doctorat sous la direction du professeur Durif, Ghina El Haffar a réalisé sa thèse par articles. Son premier article a été publié dans le Journal of Cleaner Production. «Il s’agissait de faire une revue de littérature afin d’observer les différentes méthodologies utilisées dans les études antérieures traitant et/ou analysant le green gap, explique la chercheuse. Mon principal constat était que l’on pouvait améliorer les outils pour comprendre le phénomène et qu’il y avait un besoin pour des études qualitatives et la réalisation de devis expérimentaux sur le sujet.»
Les coûts de transfert
Modifier ses habitudes de consommation implique parfois un coût financier (lorsque le produit de remplacement est plus cher) et, à tout coup, un ou des coûts de transfert (switching costs). Après avoir sondé des centaines de participantes et participants, et réalisé des entretiens avec plusieurs d’entre eux, Ghina El Haffar a été en mesure d’élaborer une typologie de ces coûts de transfert ainsi que des échelles de mesure afin d’évaluer les probabilités qu’un consommateur adopte un produit écoresponsable. C’est l’objet du deuxième article de sa thèse.
«Les coûts de transfert sont des coûts comportementaux et/ou psychologiques. Par exemple, le coût d’apprentissage est lié aux efforts pour s’informer sur les produits écoresponsables, connaître les différentes marques et les magasins où il est possible de se les procurer», illustre la chercheuse.
Au début de l’ère de la consommation écoresponsable, la perception générale était que ces produits étaient moins performants, rappelle Ghina El Haffar. «Pour ceux et celles qui étaient convaincus et qui souhaitaient les adopter, il y avait donc un coût lié au manque de performance à surmonter, explique-t-elle. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, car il existe d’excellents produits, mais cette perception a tout de même perduré dans le temps.»
En revanche, le coût lié au manque de variété s’applique encore dans certaines catégories de produits, fait remarquer Ghina El Haffar. «Si on prend les déodorants, par exemple, le choix demeure mince au-delà des grandes marques.» Et il y a le coût lié au plaisir sensoriel: les produits conventionnels sont souvent présentés dans de plus beaux emballages que les produits écoresponsables. «Même les odeurs des produits industriels sont plus marquées pour faire vendre», ajoute la chercheuse.
Modifier ses comportements de consommation implique donc de renoncer à une certaine forme de confort et d’habitude, pour ensuite s’adapter à de nouveaux produits, que l’on doit parfois acheter auprès de nouveaux détaillants avec lesquels on ne faisait pas affaire auparavant. «Tous ces coûts jouent un rôle important dans le phénomène du green gap, constate Ghina El Haffar. L’analyse effectuée à l’aide des échelles que j’ai créées permet d’octroyer un pointage à ce qui compte pour chaque consommateur, et à prédire s’il modifiera ses comportements pour tendre vers l’écoresponsabilité.»
L’étude de Ghina El Haffar lui a permis également de conclure qu’il existe divers degrés de green gap à travers les multiples profils de consommateurs.
Trois segments cibles
Le troisième article de Ghina El Haffar visait à tester différentes interventions pour inciter les gens à faire des choix écoresponsables. «J’ai étudié deux types de cadrage utilisés en marketing: la manière abstraite et la manière concrète, précise-t-elle. L’objectif de mon expérimentation était de déterminer le cadrage optimal pour convaincre le plus de gens possible et pouvoir ainsi fournir les bons outils aux entreprises afin de participer à la transition écologique.»
La méthode abstraite consiste, par exemple, à présenter un produit en soulignant qu’il est bon pour l’environnement. «Cela active un réseau abstrait dans notre cerveau, car l’environnement est un concept à géométrie variable pour chacune et chacun. Et tout ce qui est abstrait n’est pas relié à l’action. C’est l’une des causes de l’existence du green gap», explique la chercheuse. En revanche, si on indique au consommateur comment faire pour adopter un produit écoresponsable dans son quotidien, le passage à l’acte devient concret.
«Par exemple, nous avons testé la réaction des participants lorsqu’on leur présentait un message visant à réduire l’utilisation des bouteilles de shampoing en plastique. Dans la version abstraite, la formulation était “Pourquoi réduire l’utilisation des bouteilles de shampoing en plastique? “, avec des arguments environnementaux à propos des sites d’enfouissement et des matières toxiques émises par le plastique. Dans la version concrète, la formulation était plutôt “Comment réduire l’utilisation des bouteilles de shampoing en plastique? “, avec une marche à suivre en cinq étapes», illustre Ghina El Haffar.
Après avoir testé les deux types de cadrage avec trois segments cibles – les verts, les non-verts et les green gapers –, la doctorante a constaté que les verts ont une réaction positive aux communications écoresponsables, qu’elles soient cadrées de manière abstraite ou concrète. Les green gapers ont des réactions similaires, sauf qu’ils ne passent pas à l’action.
Les non-verts, par contre, réagissent différemment aux types de cadrage. «Le cadrage abstrait ne résonne pas chez ce segment de consommateurs, mais le cadrage concret, oui. Cela suscite chez eux une réflexion. Donc, si une entreprise veut promouvoir ses produits écoresponsables, elle ne doit pas systématiquement mettre de côté les non-verts en pensant qu’il ne s’agit pas de son segment cible. Elle raterait alors une chance de susciter chez eux un début de réflexion. Donc, pour réussir la transition écologique, on ne peut pas se fier uniquement au segment vert», conclut Ghina El Haffar, qui poursuit actuellement un postdoctorat à l’Université McGill, se penchant cette fois sur les produits financiers durables et écoresponsables.